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[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #98. Grave of The Fireflies (Hotaru No Haka)

© 1988 - Toho Company


Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !



#98. Le Tombeau des Lucioles de Isao Takahata (1988)

Il arrive parfois qu’un film soit un tel choc, une telle expérience viscérale que mettre des mots dessus semble un exercice parfaitement vain. Dans le cas du Tombeau des Lucioles, c’est un euphémisme de parler de choc tant le film a dévasté l’âme de tous les imprudents s’étant égaré en son sein, un véritable télescopage émotionnel qui nous a tous marqué au fer rouge sans espoir de cicatrisation futur, simplement la promesse d’une plaie à vif et pour toujours incurable. Un film que l’on est beaucoup à placer sur un piédestal mais qu’on ne veut paradoxalement surtout pas revoir de peur de se heurter à nouveau à ces sentiments si difficiles. Et si s’exprimer sur une expérience intime aussi forte est en effet probablement un petit peu vain, ça peut aussi avoir des vertus thérapeutiques alors on va tout de même essayer ça ensemble, si ça vous dit. En spoilant comme des bourrins, il va de soi, voyez ce billet comme un groupe de soutien pour ceux qui ont vu leur vie bouleversée par l’histoire tragique mais tellement pleine de poésie de ces deux orphelins japonais seuls face à un monde d’horreur régit par l’absurdité de la guerre et l’égoïsme des adultes. Vous n’êtes pas seuls.
Si le film est aussi fort, c’est probablement parce que qu’il ne préserve jamais le spectateur de l’horreur des évènements et des souffrances de ses personnages, mais en contrepartie qu’il parvient à l’embarquer avec lui dans ses moments de beauté et d’insouciance absolument miraculeux d’authenticité au milieu du chaos ambiant. Le film épouse le point de vu de Seita, le grand frère, qui passe le film à se sacrifier pour préserver l’innocence et la joie enfantine de sa petite sœur en dépit de toutes les épreuves traversées. Son comportement tout au long du métrage n’est presque fait que d’actes dévoués d’amour d’une pureté phénoménale, il ne laisse jamais rien transparaitre auprès de Setsuko : il crée une bulle autour d’elle vouée à la préserver des atrocités de l’extérieur, s’offrant comme une barrière humaine la peau à découvert entre elle et le monde qui n’aspire qu’à les broyer. 


© 1988 - Toho Company


Et il y parvient, pendant quelques moments fugaces il crée autour d’eux un espace hors du temps, où l’extérieur disparait en emportant la souffrance avec lui, ne laissant de place qu’à la puissance de leur lien. Pendant ces brefs instants, ils semblent insubmersibles. Cet espace de rêve volatile qu’il crée pour sa petite sœur, il finit par s’y projeter également et son bonheur à elle devient seul vecteur du sien, c’est la seule chose qui compte et tout l’enjeu du film : préserver l’innocence face à l’égoïsme insensible et la barbarie du monde. Et c’est bien là le grand drame de cette histoire. Seita échoue.
Il échoue parce qu’il ne peut pas éternellement lutter contre la réalité avec le rêve. Il peut les en préserver, brièvement l’oublier, mais la faim et la maladie son bien présentes. Et ainsi coupés du monde, elles ne tarderont pas à les rattraper. Son échec était annoncé, la première scène du film étant consacré à sa propre mort. On le voit seul, maladif, chétif, et s’éteindre dans l’indifférence générale. Puis son âme quitte son corps, Setsuko vient l’accueillir aux portes de l’au-delà, lui prends la main et l’emmène. Et c’est quelque-chose qui m’avait échappé lors du premier visionnage : la mort de Setsuko est annoncée dès cette introduction et nous est rappelée tout au long du film pendant les scènes teintées de rouge, symbolisant le monde des esprits. C’est en fait la ligne narrative du film : l’esprit de Seita revisitant ses souvenirs.

Il vient un moment où l’on comprend. Un moment où l’on sait que le rêve ne suffira plus, et que la malnutrition emportera la petite. Et ce moment, c’est le point de départ d’un torrent de larmes incontrôlable allant crescendo qui ruissellera à la cadence de notre petit cœur se brisant au gré de ses battements de plus en plus éreintés. « Merci pour tout ». Après ces mots tout devient flou, le deuil est impossible, la vie c’est de la merde et rien ne sera plus comme avant. L’innocence est morte. La pureté, la bonté sont mortes. L’espoir est mort. Et sans sa petite sœur, Seita lui aussi s’éteindra bientôt. Et la cerise sur ce gâteau déjà bien salé et malheureusement pour eux métaphorique, le pinacle de l’absurdité tragique : la guerre est terminée. Ils l’ont fait, ils lui ont survécu ! Mais ils ont à peine vécu assez longtemps pour le savoir, et pour eux, ça n’aura rien changé. Ils n’existaient plus que l’un pour l’autre et le monde se moque bien de leur sort aussi funeste soit-il.
Ce film aussi beau qu’impitoyable du regretté Isao Takahata est un film à voir absolument. C’est un chef d’œuvre total : l’animation est d’une beauté lyrique dont seuls les studios Ghibli ont le secret, elle s’articule à merveille avec la musique merveilleuse de Michio Mamiya et c’est une véritable masterclass en terme de scénario. Parce que entendons-nous bien : il est facile d’émouvoir les gens en tuant des enfants. C’est quelque-chose que même les pubs pour la sécurité routière ont compris, c’est une corde sensible chez beaucoup.
Vous voulez un tire larme ? Butez des gosses. C’est pas compliqué.

© 1988 - Toho Company


Le Tombeau des Lucioles va bien au-delà, parce que s’il est facile de faire pleurer dans les chaumières, c’est une performance unique d’avoir laissé chez la quasi-totalité des spectateurs une marque aussi indélébile que l’on peut presque qualifier de traumatique. En traitant au même niveau avec une fluidité sans pareil les scènes atroces de la réalité et le cocon psychique poétique créer par Seita autour de Setsuko, le film crée un sentiment unique. Un sentiment d’injustice très fort, évidemment, mais aussi le sentiment que les moments de vie et d’amour que vous vous efforcez de créer pour ceux que vous aimez représentent tout, et que si la vie est souvent cruelle et absurde, ces moments seront à jamais gravés dans l’éternel. 


Kevin

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