[CRITIQUE] : Les Traducteurs
Réalisateur : Régis Roinsard
Acteurs : Lambert Wilson, Olga Kurylenko, Sidse Babett Knudsen, Eduardo Noriega, Alex Lawther, Riccardo Scamarcio, Frédéric Chau, Sara Giraudeau, Anna Maria Sturm, Manolis Mavromatakis, Maria Leite,...
Distributeur : Trésor Cinéma / Mars Films
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Français.
Durée : 1h47min
Synopsis :
Isolés dans une luxueuse demeure sans aucun contact possible avec l'extérieur, neuf traducteurs sont rassemblés pour traduire le dernier tome d'un des plus grands succès de la littérature mondiale. Mais lorsque les dix premières pages du roman sont publiées sur internet et qu'un pirate menace de dévoiler la suite si on ne lui verse pas une rançon colossale, une question devient obsédante : d'où vient la fuite ?
Critique :
Mécanique divertissante à défaut d'être implacable, bien incarné et emballé mais méchamment plombé par son manque de maîtrise et de sobriété, #LesTraducteurs séduit avant de laisser s'effilocher ses bonnes intentions au coeur d'un piège certes ludique mais trop ambitieux pour lui pic.twitter.com/zPG4yYXZG3— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) January 30, 2020
Les cartons successifs - et mérités - du Crime de l'Orient Express de Kenneth Branagh et À Couteaux Tirés auront au moins eu le bon ton de remettre un brin au goût du jour, le si délectable sous-genre du " whodunit ", même au sein de notre bon vieux septième art hexagonal, comme le prouve en ces dernières heures de janvier, le sacrément alléchant Les Traducteurs de Régis " Populaire " Roinsard, qui avait tout en lui - sur le papier - pour confirmer que le cinéma FR n'allait pas freiner sa fougueuse foulée qualitative dès l'arrivée de la nouvelle décennie.
Un whodunit/film à énigmes assez singulier au casting joliment hétéroclite et européen, ou le premier crime n'est pas physique mais... littéraire, et articulé autour d'une petite bande de traducteurs professionnels regroupés dans un bunker pendant deux mois, histoire de retranscrire à la perfection et dans neuf langues différentes, le troisième volume d'un best-seller international à l'auteur inconnu.
Mais le hic, car il y a toujours un hic, quelques pages du pavé fuitent sur le net, une demande de rançon débarque et la suspicion générale commence à gangrèner l'atmosphère, au point qu'il devient vital de démasquer la taupe...
Huis clos plus ou moins prenant façon Cluedo grandeur nature, nourrit dans sa seconde moitié par des flashbacks/explications visant à faussement bonifier la densité fragile d'une écriture qui se veut maline en s'amusant avec les codes du genre (ou une exfiltration de textes remplace un meurtre de chair et de sang, avec un peu de crimes et de romance dans le tas), sans pour autant s'exempter de grosses ficelles narratives (notamment une course aux rebondissements/révélations souvent dispensable même si étonnamment généreuse), aboutissant à un twist final tombant un poil à plat; Les Traducteurs se prend constamment les pieds dans le tapis du jeu du chat et de la souris qu'il concocte lui-même avec une invraissemblance parfois étonnante là ou, pourtant, il pointe habilement du bout de la caméra l'aspect foutreusement cynique d'une industrie littéraire ou les lois du marché sont devenues un facteur plus important que l'art et la créativité, tout autant que de la nécessité de conserver la magie d'une histoire, à une époque 2.0 ou le spoiler est monnaie courante.
Un constat froid - le profit avant tout - et mine de rien assez fouillé (toute la chaîne d'une publication est décortiqué), mettant en lumière le travail frustant mais essentiel du traducteur, ici décrit à travers une multitude de personnages joliment dissemblables (avec un renforcement rafraîchissant de leur identités culturels propre), aux personnalités aussi complexes que mystérieuses, même si loin d'être aidé par des dialogues bien trop simplistes et un ton furieusement théâtral.
Mécanique divertissante à défaut d'être totalement implacable et infaillible (voire même cohérente), plutôt bien incarné (Sidse Babett Knudsen, Alex Lawther et Lambert Wilson en tête, totalement en roue libre en pervers narcissique) et emballé (beau sens du cadre de Roinsard), mais douloureusement tronqué par son manque de maîtrise et de sobriété, Les Traducteurs séduit avant de lentement laisser s'effilocher sa belle ambiance et ses bonnes intentions au coeur d'un piège ludique et faussement prestidigitateur bien trop ambitieux pour lui, malgré un regard clinique sur une industrie littéraire déclinante.
La volonté est louable, l'exécution elle l'est nettement moins...
Jonathan Chevrier