[CRITIQUE] : Une Grande Fille
Réalisateur : Kantemir Balagov
Acteurs : Viktoria Miroshnichenko, Vasilisa Perelygina, Timofey Glazkov, Andrey Bykov, ...
Distributeur : ARP Sélection
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Russe.
Durée : 2h17min.
Synopsis :
1945. La Deuxième Guerre mondiale a ravagé Léningrad. Au sein de ces ruines, deux jeunes femmes, Iya et Masha, tentent de se reconstruire et de donner un sens à leur vie.
Critique :
Entre le film d’après-guerre et thriller, avec sa mise en scène au plus près du corps féminin, #UneGrandeFille nous sort de notre zone de confort et aborde le destin de ces femmes d’époque avec modernité dans ses réflexions sur la maternité et la sexualité. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/L0pVIe0pel— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) August 9, 2019
Deux ans après son tout premier long-métrage, Tesnota, présenté au festival de Cannes dans la section “Un Certain Regard” et lauréat du prix FIPRESCI, Kantemir Balagov nous revient avec Une Grande Fille. Pour son deuxième Cannes dans la section “Un Certain Regard”, le réalisateur russe est reparti avec deux prix : celui de la mise en scène et son deuxième prix FIPRESCI. C’est une oeuvre difficile que nous avons devant nous, il ne faut pas avoir peur de se sentir déstabilisé et extrêmement mal à l’aise.
C’est en lisant l’essai documentaire de l’autrice Svetlana Aleksievitch La guerre n’a pas un visage de femme (lauréate du prix Nobel de littérature) que le réalisateur russe a été inspiré pour créer son film. Au lendemain de la guerre, à Leningrad, deux femmes qui sont allées au front et y ont survécu, doivent réapprendre à vivre au quotidien. Mais un drame les lie et un rapport de force dérangeant régit leur relation. Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher Une grande fille d’un autre film sorti plus tôt dans l’année, Sunset de László Nemes. La photographie jaune et léchée, un portrait de femme porteuse de l’Histoire, mélangeant son histoire intime et la révolution, prémisse de la Première Guerre. Ici, nous sommes en 1945, tout juste après la Seconde Guerre Mondiale et le destin de ces deux femmes du front est étrangement lié à Leningrad (dont les conséquences du siège subie pendant la guerre se voient encore aujourd’hui).
Le malaise ressenti par le spectateur est totalement voulu par le réalisateur, qui dès le début du film, avant même la première image, nous met dans la peau de Iya avec les bruits d’une de ses crises. Elle a été démobilisé plus tôt à cause de cela. Incapable de bouger, elle respire difficilement pendant plusieurs minutes. Surnommée la girafe à cause de sa grande taille, elle est infirmière dans un hôpital avec les blessés de guerre et s’occupe de son fils Pachka. S’apparentant à un drame, nous la suivons dans son quotidien difficile, la souffrance de la ville qui se remet doucement, l’âpreté d’un monde post-guerre qui a connu l’horreur, la mort et la misère entourant Leningrad. Mais l’arrivée de Masha change la donne. Une Grande Fille est plus qu’un drame de guerre classique.
Car Pachka est le fils illégitime de Masha, mais un accident soudain et surtout tragique a lieu juste avant son retour. Balagov va alors dresser un portrait de ces deux femmes, aux antipodes l’une de l’autre, qui partagent le même chagrin. Une relation malsaine, où la jalousie, la séduction vont mener à une lutte psychologique. Qui va abandonner la première et se soumettre ?
Balagov mène d’une main de maître l’ambiance anxiogène. D’une part, avec les crises de Iya, éprouvantes à regarder grâce au minutieux travail du son, qui suit la respiration du personnage au plus près et les gros plans, qui mettent en scène un visage de marbre, pourtant en souffrance. Une souffrance qui émane des deux femmes, physique de Iya et mentale de Masha, entourée d’une beauté picturale grâce à la photographie : des intérieurs surchargées de couleurs vives, jaune, rouge, vert, un hôpital nu et blanc.
Ce rapport de force malsain peut s’expliquer par les rares personnages masculins du film qui donnent un bon exemple d’une certaine toxicité masculine. Que ce soit Sacha, le prétendant de Masha, rencontré un soir où il cherchait une femme seule dans la rue le soir pour perdre sa virginité, ou le docteur qui travaille avec Iya, d’abord d’une gentillesse paternelle, il n’hésite pas à la violer sur ordre de Masha pour combler son désir d’enfant. Les autres sont blessés, mutilés à cause de la guerre, dont elles doivent s’occuper. Tirant parfois sur le thriller psychologique, le réalisateur insuffle une violence viscérale dans un écrin de beauté graphique. Des sentiments contradictoires nous traversent.
Une Grande Fille étire son récit avec son rythme lent, entre film d’après-guerre, thriller entre deux femmes dont les sentiments contradictoires se répondent. Avec sa mise en scène au plus près du corps féminin, il aborde le destin de ces femmes d’époque avec modernité dans ses réflexions sur la maternité et la sexualité. Un film qui nous sort de notre zone de confort, dont on sort déstabilisé et mal à l’aise.
Laura Enjolvy