[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #32. Body Double
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Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#32. Body Double de Brian De Palma (1984)
Quoi qu'on en dise, si la décennie des 70's fut particulièrement exceptionnelle pour ce bon vieux Brian De Palma, les années 80 l'ont été tout autant si ce n'est même plus, tant le bonhomme a su alterner avec une frénésie proprement indécente, films de commandes imposants et vraies péloches d'auteur aussi singulières qu'exceptionnelles.
Pas forcément le plus cité du lot (on pensera bien plus à Blow Out, Scarface ou même Les Incorruptibles), le sulfureux Body Double n'en est pourtant pas moins l'un des meilleurs films du cinéaste, et clairement l'un de ses plus fascinants tant il semble mettre un terme - pendant un temps - à sa boucle de révérence appliquée au cinéma béni de la légende Hitchcock, dont il est le descendant le plus appliqué et dévoué.
Convoquant rien de moins que les chefs-d'oeuvres Fenêtre sur Cour, Pas de Temps pour Marnie et Sueurs Froides, le Brian déploie le mécanisme tortueux de deux de ses plus grandes obsessions (Hitchcock donc, mais aussi le cinéma érotique, et plus directement même, l'industrie pornographique), pour concocter une oeuvre nébuleuse répondant directement aussi bien à son Obsession qu'à - surtout - son Pulsions, thriller bouillant sentant bon la féticherie transalpine chère aux amateurs des cinoches de Fulci et autres Argento.
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Tout aussi "cul"-tissime (à tel point que Bret Easton Ellis fera de la scène de "la perceuse", celle de chevet de son Patrick Bateman, qui n'arrête pas de s'astiquer dessus), le métrage réussit néanmoins la prouesse rare de s'articuler autour d'une intrigue férocement prévisible (digne d'un téléfilm sans fulgurance, sur un mauvais acteur complexé n'étant lui-même même pas l'acteur de sa propre vie), tout autant qu'il est une péloche proprement... imprévisible dans sa forme, mettant en images avec fureur l’analogie entre le meurtre et le sexe.
Déroutant à tous les niveaux, délice de freudisme impuissant, de manipulation vicieuse catapultés dans un L.A. filmé avec une grandiloquence absolue - et vrai acteur de l'histoire -, le film égraine tous les thèmes phares De Palmien (la claustrophobie, le voyeurisme, la frustration sexuelle et la dualité de l'âme humaine) au sein d'un songe à l'érotisme torride et pervers, un thriller éblouissant ou l'homme et la femme ne sont que des êtres ne pensant qu'à copuler et jouir des plaisirs de la chair, dans la petite comme dans la grande mort, sous les sonorités lancinantes et enivrantes du score dantesque de Pino Donaggio.
Plongée oppressante dans les méandres peu reluisantes d'une Hollywood symbole même du simulacre et du paraître - qu'il démonte sans trembler -, s'amusant autant de son autodérision totalement assumée que de son aspect protéiforme (il est à la fois un thriller cauchemardesque, un film érotique plus ou moins bandant, et même une comédie satirique), Body Double - qui porte justement son titre - est une vraie oeuvre d'obsédé et obsédante, pur vertige érotique décadent semblant tout droit sorti d'un fantasme, sur l'envers du décor du cinéma et même de l'âme humaine.
Bref, du cinéma très 80's dans l'âme, décomplexé et aux multiples niveaux de lecture comme on les aime, tout simplement.
Jonathan Chevrier