[COOKIE TIME] : #6. Rebelle : Une princesse pas comme les autres
C'est le Cookie Time. Un moment de détente pour parler cinéma. Alors installez vous dans votre canapé, prenez un thé et un cookie. Et c'est parti !
Rebelle, réalisé par Mark
Andrews et Brenda Chapman est le 13ème film du célèbre studio
d'animation Pixar et le tout premier avec un personnage principal
féminin. Oui depuis sa création en 1979 et leur premier film (Toy
Story) en 1995, on pourrait se dire qu'il était temps.
Seulement, à sa sortie, le film n'a pas eu le succès escompté.
Était-ce parce qu'il porte le lourd fardeau d'être le 13ème film ?
Parce que depuis leur rachat par Disney en 2006, Pixar se mettait à
faire un film « de princesse » ? Ou parce que son
héroïne est rousse (cette théorie existe réellement …) ?
Qu'importe la raison, Rebelle n'a pas convaincu et devient le
vilain petit canard du studio, un film mal aimé et sous-estimé.
Pourtant, le film m'a beaucoup plu et je ne comprenais pas la
déception vécue par d'autre fan de Pixar. Au fil des années, j'ai
l'impression que le film a gagné en notoriété (mérité). Mérida
devient la 11ème princesse Disney et seulement la 2ème à ne pas
finir avec un prince à la fin (la première étant Pocahontas,
en 1995). C'est aussi la première à n'avoir aucun love interest
pendant le film. Disney, depuis 2010, modernise ses princesses.
Tiana (La princesse et la grenouille), Raiponse sont
trois fois plus moderne que Cendrillon et compagnie mais restent des
princesses classiques. Mérida bouscule les traditions et c'est un
des points qui font de Rebelle un film réussi. J'ai eu envie
de vous parler du film et de dire pourquoi, de mon point de vue,
Rebelle n'a pas de quoi rougir par rapport aux autres films du
studio.
Cela se résume en trois points : la relation mère/fille
au centre de l'histoire, Mérida qui est une princesse qui se veut
plus dans l'air du temps que ses collègues et ses cheveux (oui oui
vous avez bien lu) symboliquement très parlant.
Le sexisme selon Pixar
Je ne
peux pas parler du film sans m'arrêter sur la production
catastrophique. Il est important de savoir ce qu'il s'est passé car
cela explique pourquoi le scénario est un des plus bancales du
studio et c'est un très bel exemple de sexisme dans le monde de
l'animation et chez Pixar (il existe de plus en plus de témoignages
sur John Lasseter, le fondateur du studio et du climat de travail en
général que je vous invite fortement à lire). Je vais donc vous
parler comment la scénariste et réalisatrice Brenda Chapman a été
évincé de son propre projet.
En premier lieu, Brenda Chapman n'est
pas n'importe qui. Déjà entendu parler de La Belle et la bête
et du Roi Lion ? Elle a fait partie des équipes au
scénario sur ses deux films (elle était d'ailleurs « head of
story » sur Le Roi Lion, la première femme à obtenir
un tel poste). Elle a réalisé Le Prince d'Égypte du studio
Dreamworks et a bossé sur de nombreux films (Chicken Run, Cars, …).
Brenda Chapman a un CV impressionnant et une carrière remarquable.
En 2003, elle rejoint Pixar avec un projet en tête : Rebelle,
inspiré par sa relation compliquée avec son adolescente de fille.
Une pré-production s'installe, le film commence à se créer mais le
timing est mauvais : Disney rachète Pixar en 2006 et veulent
privilégier les suites des anciens succès du studio comme Cars
2. Le projet est mis de côté
pour une durée indéterminée. Elle confiera par la suite que ça
les arrangeaient bien car ils étaient nerveux par rapport à son
film : le projet était centré exclusivement sur les femmes et
la relation mère/fille et le propos avait pour but d'être
extrêmement féministe et libérateur. Sans qu'elle le sache, en
2010, Pixar reprend le film mais en apportant un nouveau
réalisateur : Mark Andrews (réalisateur du court-métrage
L'Homme-orchestre,
projeté avant Cars
et storyboardeur des films Le Géant de fer,
le Spider Man de Sam
Raimi et du pilote de la série de Lucasfilm Star Wars :
the Clone Wars ). Il apporte
bien évidemment des éléments plus masculin et met de côté la
relation Mérida/Elinor pour se concentrer plus sur l'histoire de
l'ours Mor'du. Une projection test a démontré que cette version du
film ne plaisait pas, ce qui a permis à Brenda Chapman de revenir
sur le projet, mais en tant que co-réalisatrice (il ne faut pas
pousser, Pixar n'allait pas virer un réalisateur alors que son film
n'a pas plu au public, enfin ça ne se fait pas. On peut évincé une
réalisatrice de SON projet, mais pas un réalisateur qui s'est foiré
littéralement). Le film reprend donc l'histoire principale du début,
mais en y ajoutant les idées de Mark Andrews. Son nom reprend sa
place de droit au générique en tant que scénariste et
réalisatrice. Le film sort enfin en 2012. En août de cette même
année, Brenda Chapman écrit un article pour le New York Times, se
confiant enfin sur ses déboires. Cette histoire l'a dévastée. « La
voir dérobée (son histoire) et donnée à un autre, qui plus est un
homme, a vraiment été bouleversant à de nombreux niveaux ».
« Parfois,
les femmes expriment une idée et sont stoppées, pour qu'ensuite un
homme exprime la même idée et obtienne l'approbation générale.
Jusqu'à ce qu'il y ait un nombre suffisant de femmes aux postes
exécutifs haut placés, cela continuera de se produire ».
(traduit de l'anglais).
Bataille entre mère et
fille
Le point essentiel
du film de Brenda Chapman est la relation entre Mérida et Elinor.
Relation très houleuse entre une adolescente énergique et
impétueuse et sa mère qui essaye de la canaliser. Pixar, à sa
façon, s'est démarqué des films à princesse Disney, en proposant
un conte moderne sur l'éducation. Les princesses, du côté des
parents, n'ont jamais de chance. Soit orpheline, soit la maman décède
en couche ou meurt jeune, soit les parents sont toujours vivants mais
très absent de l'histoire ou enfin la princesse a le malheur d'avoir
une belle-mère (qui fait souvent office de méchante). Mérida a ses
deux parents, très présents dans l'histoire, mais surtout elle
possède une mère désireuse de lui donner la meilleure éducation
possible. Rebelle les met en opposition au début.
Elinor croit en
l'éducation qu'elle a reçu. Ce n'est pas la reine qui ne sert à
rien qu'on peut parfois voir, jolie mais qui n'a aucun pouvoir. Elle
est cultivée, sait se faire entendre. L'éducation ferme qu'elle a
du avoir lui a été utile pour se faire un nom et avoir du pouvoir,
sauf que dans leur société cela passe par les hommes et donc par le
mariage. Elle veut ça pour sa fille. Elle ne pense bien sûr pas à
mal.
Mérida, quant à
elle, est une adolescente de 15 ans. Les responsabilités en tant que
princesse, elle ne veut pas en entendre parler. Elle a ses propres
désirs, sa propre féminité (elle ne voit aucun mal à manier une
arme, tout en gardant sa belle et longue chevelure et sa robe de
princesse). L'éducation ferme de sa mère lui donne encore plus
envie de s'évader. Elle n'approuve ni le patriarcat, ni les
traditions vieillottes de son clan et n'a pas les outils pour les
exprimer clairement.
Dès le début,
nous voyons nettement que leur point de vue peut être complémentaire
et qu'elles peuvent apprendre l'une de l'autre. Elinor s'apercevrait
que sa façon de prendre le pouvoir n'est pas la seule valable et
qu'une femme peut s'élever toute seule. Mérida pourrait apprendre à
s'exprimer, à prendre ses responsabilités et à réfléchir avant
d'agir. Mais un problème subsiste entre elles : la
communication. L'élément déclencheur du film, le point de non
retour est donc le maléfice de la sorcière, quand Mérida, sans le
vouloir transforme sa mère en ours. Cet élément scénaristique est
ce qui va leur permettre de se comprendre et de s'apprivoiser. Le
rapport de force qu'elles avaient au début laisse place à une
réelle égalité.
Mérida, une princesse
médiévale moderne ?
Mérida
est une princesse en accord avec notre société actuelle, malgré le
fait que cela se passe à l'époque médiéval. Cela passe par
plusieurs choses.
Tout
d'abord, son apparence. Même si elle est encore mince pour nos
standards elle a certaine rondeur par rapport aux autres princesses,
très fine de partout. Elle a de grosses joues, des hanches larges.
Une polémique avait vu le jour quand Disney avait annoncé son
adhésion dans la famille des princesses. Son apparence avait
changé : plus de taches de rousseur, un visage et un corps
affiné car Mérida avait un physique plus différent que les autres.
Au vu des réactions mécontentes, Disney a vite fait reprendre à
Mérida son corps d'origine, pour notre plus grand plaisir.
Notre
princesse rousse aime les activités d'extérieur à caractère
masculin comme le pense la plupart dont sa mère : le tir à
l'arc et l'équitation. Si nous regardons bien dans la liste, aucune
princesse n'aime ce genre d'activité. Elles n'ont d'ailleurs aucune
passion dite sportive. Belle aime la littérature, Tiana la cuisine
(même si l'on voit bien qu'elle travaille jusqu'à l'épuisement),
etc... Mulan est une exception : elle suit un entraînement de
l'armée, mais uniquement parce qu'elle le doit non pas par plaisir.
Mérida aime donc des activités sportives et même mieux : elle
y excelle. Elle peut monter à cheval sans selle (ce qui requiert une
bonne maitrise) et elle est la meilleure au tir à l'arc (comme on
peut le voir pendant le tournoi).
Tout
ce que fait Mérida n'est pas dicté par une malédiction, par une
solution de dernier recours ou par un élément magique. Non. Les
éléments du scénario sont conduit par une seule chose : ses
choix. Les péripétie découlent de ça et non pas d'un fait qu'elle
doit subir. Ceci est un élément important car inédit dans les
films princesse Disney. Bien sûr, elle fait beaucoup de mauvais
choix avec les horribles conséquences qui en résultent mais c'est
ce qui l'a fait avancer et grandir.
Et
enfin et c'est peut-être l'élément le plus important : elle
n'a aucun love interest. Elle ne veut pas se marier car comme la
plupart des princesses Disney elle est horriblement jeune pour
prendre une telle décision. Il y a bien un happy end : la
réconciliation entre les clans et entre Elinor et Mérida. On a
enfin droit à une héroïne qui peut être heureuse tout en étant
célibataire. Il était temps non ?
Les cheveux de Mérida :
la touche l'Oréal du film
Ce
petit titre vous fait rire ? Pourtant, le marketing à l'époque
de la sortie du film tournait principalement autour des cheveux de
Mérida. Pour le côté technique évidemment mais aussi pour le
symbole qu'ils représentent.
Pourquoi
le studio a autant insisté sur la magnifique chevelure de Mérida ?
Ils ont passé presque 3 ans à développer un logiciel pour ça et
l'équipe a bossé 2 ans pour modéliser sa chevelure. Cela vous
paraît trop poussé par les cheveux (blague facile bonjour) ?
Et bien pourtant tout cela est vrai. Avez-vous déjà vu un
personnage avec les cheveux bouclés avant Mérida ? Non ?
Il y a une raison : c'était techniquement quasi impossible.
Pixar
avait bien axé toute la publicité du film sur la tignasse rousse de
Mérida, en expliquant qu'elle représentait son caractère
indomptable. Mais ce n'est pas vraiment sa rousseur (même si on
associe souvent les roux avec un caractère bien trempé) mais ses
boucles qui le représentent. Depuis des siècles, les boucles
représentent la sauvagerie et le mal (peu importe la couleur de
cheveux). Et toutes les princesses Disney ont les cheveux bien lisse
et soyeux. Dans son livre Beauté fatale, Mona Chollet démontre bien
que la façon dont sont représentés les femmes ont un impact sur
les petites filles. D'où l'importance de la diversité de
morphologie, de cheveux, de psychologie, etc... Disney a fini par
comprendre en partie et proposer des femmes racisées (pour changer
de la princesse blonde aux yeux bleus) : une amérindienne, une
chinoise et une femme noire. Mais toujours avec les cheveux lisses …
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais dans notre société, les
publicités ont tendance à présenter des produits pour cheveux pour
« dompter les boucles ». Comme si les boucles étaient
quelques chose de désordonnées où il faudrait mettre de l'ordre.
Et
les boucles de Mérida sont la métaphore de son comportement :
elle ne veut pas se plier aux conventions et veut faire ce qu'il lui
plaît. Plus que sa rousseur (qui vient plus du fait qu'elle soit
écossaise qu'autre chose), ce sont ses boucles qui montrent sa
liberté et le côté précurseur du film. Une prouesse technique
tout d'abord mais aussi symboliquement très parlant. Les enfants ont
enfin un modèle un peu différent et montrer qu'il n'y a pas que du
lisse chez les princesses. Tout le long du film, Elinor va essayer de
discipliner sa fille tout en disciplinant sa chevelure. Elle lui
impose un bonnet. Mérida va tout d'abord faire exprès de faire
dépasser une mèche de cheveu, mais va très vite l'arracher. Ses
cheveux sont une part d'elle et de ses convictions. Elinor va
apprendre à accepter sa fille et donc sa (magnifique) chevelure
« indomptable ».
J'avais
envie de vous parler de Rebelle, ce film Pixar qualifié de
Disney comme si cela était une mauvaise chose. Malgré une
production catastrophique et un bel exemple de comment une grande
entreprise traite une femme qui accède au pouvoir, Rebelle
n'est pas moins réussi que ses prédécesseurs. On peut déjà louer
une prouesse technique assez ahurissante. Mais aussi la proposition
de faire un film Disney princesse en cassant les codes du genre et
faire un film beaucoup plus contemporain. Les déboires de Brenda
Chapman ont eu raison du scénario qui n'est pas aussi structuré que
ce que fait Pixar habituellement. Même avec cette faiblesse, le film
reste bon. Je vous invite grandement à le revoir.
Qui sait, vous
allez peut-être changer d'avis sur le film ?
Laura Enjolvy