[FUCKING SÉRIES] : Preacher : Le jugement dernier ?
(Critique - avec spoilers - de la saison 1)
Au même titre que la vénéré HBO, AMC peut se targuer d'avoir emporter le cœur des sériephiles/sérievores que nous sommes, avec une toute petite poignée de séries majeures : Mad Men, The Walking Dead mais surtout Breaking Bad; trois shows qui ont tous, chacun à leur manière, méchamment révolutionné le petit écran ricain et notre passion pour celui-ci.
Une chaîne à péages amatrice du bon goût (Fear The Walking Dead et Better Call Saul ont beau être des spins-off, elles ont un bel avenir devant elles, tout comme Into The Badlands), ayant suffisamment de courage (couilles ?) et d'engagements artistiques dans sa ligne directrice, pour bien plus nous parler que la majorité de ses concurrentes.
Preuve s'il en est la confiance quasi-aveugle qu'elle a offerte au génial duo Seth Rogen/Evan Goldberg, pour qu'ils puissent réaliser leur rêve de gosses d'adapter pour la petite lucarne, l'un des comics phares des glorieuses 90's : Preacher de Garth Ennis et Steve Dillon.
Culte - et à juste titre - tout en étant, sur le papier, supposément inadaptable (plus d'un s'y est cassé les dents), de par les nombreux thèmes foulés durant les 70 numéros ou la violence outrancière et viscérale qui y est dépeinte; Preacher était non seulement un pari hautement risqué (des attentes des fans purs et durs aux simples spectateurs lambdas abonnés à la chaîne, pouvant être vite décontenancé par son univers et son propos " coloré "), mais avant tout et surtout, le projet télévisé le plus emballant de la saison - avec 11.22.63 et Stranger Things.
Avec Sam " Breaking Bad " Catlin à la barre, les fous furieux Godlberg/Rogen à la prod ainsi qu'un casting d'outsiders du cinéma US ayant ici l'opportunité de briller (les mésestimés Dominic Cooper, Ruth Negga et Joseph " Misfits " Gilgun), la nouveauté estivale de AMC semblait aligner un véritable sans faute, et force est d'avouer qu'après une première salve d'épisodes méchamment calibrée pour séduire, la série est bel et bien à la hauteur des attentes qu'elle a suscitées, en s'imposant comme le show le plus jouissif et barré du moment.
Un classique instantané, tout simplement.
Retranscrivant à merveille l'univers du comics d'origine tout en prenant pleinement ses distances avec celui-ci d'un point de vue narratif, le show happe très vite son auditoire via le destin peu ordinaire de Jesse Custer, pasteur taiseux au lourd passé, qui prêche la bonne parole dans une église d'un bled poussiéreux du Texas, en souvenir de son défunt paternel.
Un quotidien qui sera vite troublé par une entité, Genesis, qui va le posséder et lui conférer un puissant pouvoir; celui de contrôler, littéralement, les faits et gestes de son entourage.
Accompagné de son ex-petite amie, la très badass Tulip et de Cassidy, un vampire/vagabond irlandais, Jesse va tout faire pour mener a bien sa vengeance envers Dieu le Créateur, pour avoir laissé à l'abandon le monde et les êtres humains...
Frappée du saut bénit du B movie avec son habile mélange des genres (on passe du western au drame humain, ou encore à la comédie fantastique et le road movie horrifique, avec une fluidité remarquable) et sa facture visuelle soignée, transpirant bon le cinéma de Quentin Tarantino ou encore celui de Robert Rodriguez (eux-même déjà bourrés jusqu'à la gueule de références); Preacher dépote avec sa folie démesurée - dans tous les sens du terme -, sa volonté louable de ne jamais faire dans la dentelle mais également sa grosse galerie de personnages tous aussi pathétiques et attachants que franchement incontrôlables.
Prenant son temps (certes trop, peut-être) pour poser son intrigue à tiroirs aussi diablement sombre que fun et à la tension grandissante, qui ne décollera vraiment que lors de sa seconde moitié de saison (sans pour autant égaler la folie de l'épisode pilote, le plus réussi avec le sixième), la première fournée du show s’apparente in fine comme une solide et habile mise en place/introduction de la future épopée vengeresse du complexe et possédé Custer; une exposition nécessaire à la présentation colorée d'un anti-héros qui réalisera, dans la douleur, les fêlures de sa foi et son incapacité évidente à sauver tous ceux qui l'entourent, pour mieux embrasser un avenir noir et de plus en plus borderline.
Irrévérencieuse, survoltée et crue sans pour autant être dérangeante (à la différence de la beaucoup plus sombre et perturbante Outcast), portée par des personnages (jusqu'aux seconds couteaux, qui justifient tous leur utilité dans l'histoire) savoureusement imparfaits - Cassidy en tête - et un casting impliqué; la décomplexée Preacher en laissera certainement plus d'un sur le carreau - des fans hardcores au simple sériephile -, là ou elle incarnera, pour d'autres - dont nous -, une série marquante, unique, un poil frustrant mais qui mérite clairement qu'on s'y attarde.
Un nouveau rendez-vous majeur (une seconde saison de 12 épisodes est déjà dans les tuyaux) aussi drôle que (très) gore, grisant tout en laissant l'impression jouissive de n'avoir gratter/mirer qu'une infime partie de la puissance de ses immenses possibilités et de son aura mystique.
L'effet Preacher, tout simplement.
Jonathan Chevrier