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[CRITIQUE] : Whiplash


Réalisateur : Damien Chazelle
Acteurs : J.K. Simmons, Miles Teller, Melissa Benoist, Paul Reiser,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Drame, Musical.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h47min.

Synopsis :
Andrew, 19 ans, rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s’entraîne avec acharnement. Il a pour objectif d’intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher, professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l’excellence...


Critique :

Après avoir été l'une des attractions majeurs du film événement de l'édition 2013 de Sundance, The Spectacular Now signé James Ponsoldt (même si il n'est sorti chez nous qu'en janvier dernier...), le très prometteur Miles Teller s'est retrouvé dans le même cas de figure cette année avec Whiplash - second long du tout aussi prometteur Damien Chazelle -, ou la sensation number one du circuit indé en 2014.

Est-ce un pur hasard ou le signe que le futur Homme Élastique du reboot de la franchise des Quatre Fantastiques est indiscutablement l'une des jeunes pousses les plus incontournables du moment ?

Difficile de ne pas tendre vers la deuxième réponse, tant le talent du bonhomme explose à l'écran à chacune de ses performances, et que ces choix artistiques sont finement pensés depuis quelques temps maintenant.
Bête de festival méchamment buzzé, acclamé aussi bien au dernier Sundance que sur la Croisette, à Deauville ou au dernier TIFF, Whiplash, qui a pris le temps de joliment alléché son cinéphile avant d'atterrir dans les salles obscures hexagonales, a pourtant été une belle victoire accouchée dans la douleur par son metteur en scène.


Auteur des scripts des très dispensables Le Dernier exorcisme Part II et Grand Piano, mais également réalisateur du musical Guy and Madeline on a Park Bench, Chazelle a du adapter son scénario dans un format court (et faire son petit boucan dans la sélection court-métrage à... Sundance !) avant de trouver le financement de son ambition première.

Et on ne peut que saluer son acharnement puisqu'il nous offre ici ni plus ni moins que l'un des meilleurs films de cette fin d'année ciné de 2014, une péloche à la hauteur de sa belle réputation et tout simplement l'une des plus belles surprises indés de la dernière décennie en salles.

Whiplash donc, ou l'histoire d'Andrew, dix-neuf ans, un jeune artiste talentueux qui rêve de devenir l'un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération, comme son idole Buddy Rich.
Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s'entraîne avec acharnement.
Il a pour objectif d'intégrer le fleuron des orchestres, celui que dirige Terence Fletcher, un professeur féroce et intraitable, qui à des méthodes pour le moins douteuses.

Et lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, à la recherche de l'excellence et de la perfection, quel qu'en puisse être le prix...


Furieuse et bouillonnante chronique au doux parfum autobiographique tournée en à peine dix-neuf jours, pour son second long, Damien Chazelle laisse exploser toute la maestria de sa mise en scène minutieuse et sensorielle ainsi que l'impressionnante force de son storytelling, en se focalisant entièrement sur la caractérisation intense et fascinante de la relation entre le jeune Andrew et le tyrannique Mr Fletcher, réglée au millimètre près comme une horlogerie suisse.

Filmé comme un rapport guerrier entre un maître et son esclave (le titre du film, littéralement " coup de fouet "), une victime et son bourreau, ou les armes prennent la forme (parfois au sens propre du terme) d'instruments et ou chaque affrontement est un sommet d'intensité d'une violence psychologique inouïe, Whiplash, jusque dans son final à couper le souffle, est un merveilleux drame à l'énergie imposante, électrisante et moralement ambigu.

Amoral puisque le cinéaste laisse une place énorme au masochisme et à l'humour sadique, véhiculé par le terrible Terrence Fletcher, un professeur adepte de la souffrance et de l'humiliation facile, un tortionnaire d'une cruauté sans égal pour quiconque ose vouloir être son élève, et en proie à d'incontrôlables et imprévisibles excès de colère.

D'ailleurs, le parallèle dans cet enseignement quasi-militaire à l'aura néfaste, avec celui asséné aux jeunes recrues par le Sergent instructeur Hartman dans Full Metal Jacket, n'est jamais très loin, surtout que les méthodes cruelles de Fletcher ne sont jamais remises en cause (et encore moins punies), tout aussi glaçantes et éprouvantes soient-elles.


Fantastique dans la peau du professeur perfectionniste vachard, détestable et dénué de toute compassion, l'inestimable J.K. Simmons offre l'une - si ce n'est LA - plus imposante et remarquable composition de sa carrière, tandis que le puissant Miles Teller, impliqué comme jamais (70% des solos en batterie sont de lui), bouffe littéralement l'écran et provoque très vite l'empathie chez le spectateur, dans la peau du solitaire Andrew, à la quête de perfection douloureuse, aussi bien physique que morale.

Deux performances de haute volée à la psychologie et à la complexité incroyablement dense, formant un duo à l'alchimie improbable mais tout aussi monstrueuse de génie qu'aérienne.

Mais sous couvert d'une péloche furieusement SM et d'un audacieux portrait adolescent, Chazelle dépeint également avec une intelligence et une honnêteté rare, l'envers du décor, le côté obscur de l'apprentissage de la musique par les grands prodiges qui l'a font vibrer, ses milliers d'heures de répétitions intensives jusqu'au bord de l'épuisement pour maitriser à la perfection la moindre note jaillissant d'un instrument, la moindre parcelle de génie de toute création artistique.

Une mise en chair concrète et implacable de la pratique soutenue d'un art qui n'est réservé qu'à une certaine élite, par un cinéaste profondément mélomane - ici, la musique parle tout autant que les corps -, qui s'amuse à poser des questions pertinentes (que ce soit les limites de l'apprentissage d'un talent, ou encore celles, d'une manière générale, de l'excellence et de l'éducation) tout en ayant la finesse de laisser le spectateur se faire ses propres conclusions.


Bref, un putain de film d'hommes sans fausse note, ou la femme n'a pas réellement sa place (le personnage de Nicole, volontairement limité), ou on joue de la batterie  - chaque solos sont aussi dynamiques qu'haletants - comme on se bastonnerait dans un fight club (la rage au ventre et les poings serrés), ou la douleur s'encaisse et ou le sang et la sueur sont des tributs nécessaires; ou les cris, les insultes et la douleur sont les meilleures façons de communiquer mais surtout, de retranscrire à la perfection la persévérance et l'abnégation de ceux qui s'échinent à tout mettre en œuvre pour que leurs rêves deviennent réalité.

Merveilleuse, jouissive, originale et éprouvante décharge émotionnelle aux multiples niveaux de lectures et ne laissant jamais indifférent son audience, Whiplash est, au bas mot, ce que le cinéma indépendant ricain nous a offert de plus beau et précieux en cette année ciné 2014.

Vivement La La Land donc, prochain long de Damien Chazelle qui contera l’histoire d’une actrice débutante et d’un pianiste de jazz tombant amoureux à Los Angeles, avec pour vedette la douce Emma Watson et une fois encore, le bientôt indispensable Miles Teller.

Dire que son attente est insoutenable est un doux euphémisme...


Jonathan Chevrier