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[CRITIQUE] : Enemy

 

Réalisateur : Denis Villeneuve
Acteurs : Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon, Isabella Rosselini,...
Distributeur : Version Originale / Condor
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Canadien, Espagnol.
Durée : 1h30min.

Synopsis :
Adam, un professeur discret, mène une vie paisible avec sa fiancée Mary. Un jour qu'il découvre son sosie parfait en la personne d’Anthony, un acteur fantasque, il ressent un trouble profond. Il commence alors à observer à distance la vie de cet homme et de sa mystérieuse femme enceinte. Puis Adam se met à imaginer les plus stupéfiants scénarios... pour lui et pour son propre couple.





Critique :

Tourné avant mais bien moins facile à vendre que le puissant Prisoners - dans lequel figurait déjà en vedette Jake Gyllenhaal -, avait pourtant déjà eu droit à sa sortie outre-Atlantique depuis un bon moment maintenant, après avoir squatté joliment tous les festivals du bon gout du globe.
Pire, celui-ci était même déjà présent sur les plateformes de téléchargement, aussi bien dans la langue de Shakespeare que dans celle de Molière...

Deux ans après la fin de son tournage, le voici donc là - et il était temps -, incarnant ni plus ni moins que le second film ayant le double pour thème après l'excellent et étonnant The Double de Richard Ayoade, convoquant ainsi toute une pléthore de références allant bien évidemment, des précieux David Cronenberg à David Lynch, qui ont marqué le genre d'un fer rouge.


Un retour au source de son cinéma pour Villeneuve - on pense à ses courts-métrages -, et une belle invitation pour l'étrange pour des cinéphiles endurcis qui seront très vite conviés à se perdre littéralement en ce qui incarne, au bas mot, le meilleur métrage de son talentueux metteur en scène...

Enemy donc, ou l'histoire d'Adam, professeur à l’université, qui loue un soir, un film conseillé par un de ses collègues.
Là, dans une scène, il remarquera au second plan, qu'un acteur lui ressemblant trait pour trait.
Intrigué voir même très troublé, il va rechercher l’identité de son doppelgänger et enquêter sur lui au point de s'imaginer des scénarios le concernant, pour lui comme pour son couple.

Mais la situation dérapera réellement quand les deux hommes se rencontreront...

Difficile de ne pas admettre qu'il est extrêmement dur de s'épancher longuement sur le nébuleux Enemy sans savoureusement s'y perdre, tant la richesse de son script, qui regorge de fausses pistes et autres détours plus tortueux les uns que les autres, en font instinctivement une expérience de cinéma profondément à part dans les sorties du moment et donc automatiquement, un OFNI au potentiel culte infini.


Construit sur la nouvelle L’Autre comme moi de José Saramago, dont le pitch assez simpliste en apparence, aurait clairement pu être tout droit sorti d'un épisode de La Quatrième Dimension, Denis Villeneuve sonde le parcours existentiel imprévisible de son personnage principal comme un cauchemar éveillé à l'atmosphère pesante, presque effrayante même, ou le sujet se voit peu à peu désarçonné par une situation dont il est lui-même le point de départ et la clé.

Dans un Toronto délétère, vide et au voile jaunâtre, théâtre de son subconscient qui le soumettra aussi bien à ses phobies et ses peurs refoulées (souvent sexuelles et sociales) qu'à des visions effrayantes (l'araignée géante marchant sur Toronto), Adam va se perdre et embarquera dans son étouffante chute le spectateur, au sein d'un ballet des sens ou songe, inconscient et réalité ne forment plus qu'un, et dont il n'est pas toujours aisé d'en décoder tous les tenants.

Intimiste, vénéneux, radical et mystérieux jusque dans son tout dernier plan, à la réalisation aussi millimétrée et précise que son cadre est aéré et que son rythme est étrange, si ce mois-ci, The Double de Richard Ayoade traitait également de la thématique du double dans un hommage non-feint au cinéma de Terry Gilliam, l'efficacité du traitement du trouble mental de Villeneuve convoque logiquement les cinémas de Roman Polanski (l'ouverture cite clairement Rosemary's Baby), de Stanley Kubrick (on remarquera facilement son clin d’œil à Eyes Wide Shut), de David Cronenberg (Faux-Semblants, le rapport violent au sexe mais également le cadre vide effrayant et presque déshumanisé de Toronto) mais surtout de David Lynch, dont la filiation au culte et décalé Lost Highway est une évidence.

Que ce soit par sa narration désarticulée aux récits miroirs, son usage la thématique du double, de la filiation, de la schizophrénie, du pouvoir du subconscient ou même du trouble couple (et de l'étude, certes annexe, des rapports hommes/femmes) - et que dire de l'utilisation de deux blondes fatales au générique -, le cinéaste affirme haut et fort son influence et son héritage Lynchien - tout en rendant son film bien plus connecté à la réalité que Lost Highway, on est d'accord -, comme peu l'auront fait auparavant avec autant de réussite.


Référencé, sophistiqué, élégant, aux multiples niveaux de lectures (le film peut tout simplement se voir comme un homme qui se créer un double pour changer de vie, pour vivre une vie rêvée d'acteur, pour justifier une infidélité et l'adultère - la voie plus crédible -, ou tout simplement pour balayer la frustration de son quotidien) et aux personnages infiniment troubles, Enemy ne serait cependant pas aussi fort sans la composition incroyable de son casting titre, d'une Isabelle Rossellini parfaite en maman purement lynchienne, en passant par la justesse de jeu des sublimes Mélanie Laurent et Sarah Gadon.

Mais surtout, le métrage ne serait clairement pas le même sans le dévouement incroyable d'un Jake Gyllenhaal absolument renversant, et décidément transcendé devant la caméra du cinéaste canadien.
Absolument parfait dans la peau du ténébreux Adam et de son double parfait Anthony, dont les problèmes de l'un renvoient constamment à ceux de l'autre, il démontre si besoin était toute l'infini richesse de sa palette de jeu, dans ce qui est vraisemblablement, l'un si ce n'est LE meilleur rôle de sa carrière.

<< Le Chaos est un ordre qui n'aurait pas encore été déchiffré >>


Singulier et complexe mais étonnement accessible, fascinant, tendu et déstabilisant dans son malaise, le merveilleux Enemy prouve non seulement que Jake Gyllenhaal est bel et bien l'un des talents ricains les plus sous-estimés et sous-utilisés de ses dix dernières années, et que le talentueux Denis Villeneuve est un cinéaste versatile vraisemblablement capable de s'adapter à tous les genres.

Thriller psychologique d'une noirceur aussi redoutable qu'implacable qui implique qu'on ne peut ressortir sain et sauf (aussi bien physiquement que mentalement) d'un combat contre soi-même, même si il a de grandes chances de se mettre une bonne partie du public à dos, par chez nous, il aura amplement valu sa (trop) longue attente.


Jonathan Chevrier


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