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[CRITIQUE] : Master Gardener


Réalisateur : Paul Schrader
Avec : Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Quintessa Swindell,...
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h50min

Synopsis :
Narvel est un horticulteur dévoué aux jardins de la très raffinée Mme Haverhill. Mais lorsque son employeuse l'oblige à prendre sa petite-nièce Maya comme apprentie, le chaos s’installe, révélant ainsi les sombres secrets du passé de Narvel…



Critique :


L'une des joies les plus simples (il en faut) pour tout cinéphile qui se respecte, est de se laisser emporter par la reconnaissabilité d'une toile connue, d'un schéma narratif où même d'une exploration de thèmes familiers, cette idée de pouvoir retrouver encore et encore un style, une patte que l'on affectionne, et encore plus lorsqu'elle a la capacité de pouvoir se renouveler de film en film, de se bonifier de vision en vision.

Un contentement simple que l'on retrouve instinctivement au cœur du cinéma passionné et passionnant de Paul Schrader, lui-même cinéphile passionné et affirmé dont le propre cinéma n'oublie jamais de rendre un hommage sincère à ses figures tutélaires (Bergman, Peckinpah, Bresson ou encore Ford), tout en s'échinant à continuellement renouveler les déclinaisons de ses thèmes les plus chers : la culpabilité, l'expiation des péchés passés et la rédemption.

Copyright The Jokers Films

Toutes ses - récentes - histoires ne sont finalement que les variantes d'une seule et même déclinaison de cette (sainte) trinité essentielle, prenant ancrage dans le parcours d'une poignée d'hommes tourmentés et solitaires.
Ultime opus de sa trilogie de l'expiation/rédemption (furieusement Fordienne pour le coup), après les monumentaux First Reformed et The Card Counter, Master Gardener creuse encore un petit peu plus cette quête chimérique, en passant cette fois non pas par le sang (où pas totalement) et la foi, mais par la transmission et la terre (mais aussi l'amour, terreau de tous les saluts).

Soit Narvel Roth (Joel Edgerton, tout simplement fabuleux), le fameux " maître jardinier " du titre mais surtout de Gracewood Gardens, propriété de la riche propriétaire - au racisme à peine masqué - Mme Haverhill (à qui il offre des services plus intimes, à l'occasion) qui, comme chaque année, à l'intention de faire participer son jardin à un concours prestigieux.
Se sentant proche de ses derniers jours, elle veut faire la paix avec son arrière-petite-fille Maya, vivant seule depuis la mort de sa mère.
Celle-ci est donc engagée comme apprentie et confiée aux soins et aux enseignements de Narvel.
Peu à peu, la passion naît entre le maître et son disciple (malgré leur différence d'âge,  leurs origines, leurs parcours), générant ainsi à la fois dangereuse triangulation dans la hiérarchie du pouvoir, mais aussi le partage d'un passé douloureux : elle doit se débarrasser d'un ex-petit ami trafiquant de drogue et encaisser un passé récent de toxicomane; lui, doit se repentir d'un passé de militant dans un groupuscule néo-nazis (une mauvaise vie gravée sur sa peau).

Fort en métaphores astucieuses liées au thème de l'horticulture, comme pour mieux symboliser la régénération terrestre des plantes, et celle par la terre que recherche son protagoniste principal, Master Gardener se fait le jumeau presque parfait de The Card Counter avec son anti-héros obsédé par le contrôle, lui dont la manière de cultiver et organiser avec minutie l'harmonie d'un jardin, est une manière de contrôler sans la moindre fioriture la vie, de faire en sorte que les choses se passent dans les règles, sans faux pli.
Évidemment, l'humanité dans toute sa complexité et son imprévisibilité, c'est une autre paire de manche et dans sa volonté de régir les intentions et les actes (souvent impénétrables) de ceux qui l'entoure, la seule manière de rétablir l'ordre des choses et d'éradiquer les mauvaises herbes, est encore une fois de déclencher soi-même le changement - souvent dans le sang et la poudre.

Copyright The Jokers Films

Et c'est à partir de là, comme dans tout bon polar noir qui se respecte, que les éclairs vifs du passé viennent hanter Nervel, nourrissant un voyage aussi bien rédempteur que salvifique, que Schrader capte avec la même horizontalité (et non verticalité, comme pour First Reformed où la rédemption se faisait transcendance) que pour son précédent effort, le personnage recherchant sa rédemption de manière furieusement terrestre : par l'amour - même fragile - et la régénération, de soi comme de l'être aimé, par la volonté de fermement tout remettre à plat pour que l'herbe repousse sainement, que la vie suive à nouveau son court.
Éradiquer le passé, pour créer un nouvel Eden plein d'espoir, cultiver le changement que l'on veut être.

Exploration étonnamment rude, ambiguë et sentimentale du sempiternel western Fordien, dans une terre américaine elle-même ensanglantée et sauvage, Master Gardener se fait une conclusion lancinante à sa trilogie de l'expiation/rédemption, où la violence se fait l'outil d'un ajustement des mauvais choix d'une vie, où Schrader nous confronte une nouvelle fois à la faillibilité humaine et à ses pieuses aspirations, dans une quête de redonner du sens - même naïvement - à une nation qui n'en a plus réellement, de redorer le jardin du présent même s'il est - presque - impossible d'y (sur)vivre.
76 ans au compteur, et ce maître n'a toujours pas fini de nous surprendre...


Jonathan Chevrier