Breaking News

[GERARDMER 2023] : Bilan de la 30ème édition


Compte-rendu du 30e festival du film fantastique de Gérardmer 2023 : De la neige, des cris et un anniversaire.


La perle des Vosges paraît calme, en ce vendredi après-midi. Les rues sont enveloppées de neige et quelques skieurs peuvent être aperçus sur les coteaux en hauteur. Pourtant, nous nous dépêchons déjà de dévaler la pente à 45° entre notre logement et la salle Paradiso, dans le centre-ville de Gérardmer. Une fois le précieux badge presse récupéré, c’est l’heure de démarrer la compétition du 30e festival du film fantastique de Gérardmer !


#1 : Blood de Brad Anderson (en compétition)


Dans les premiers rangs du Paradiso, un vieux cinéma ressemblant un peu à un chalet, les premières places sont basses par rapport à l’écran, rendant la vision des sous-titres difficiles. Qu’importe, cela montre que la salle est pleine, et le public impatient de découvrir ce film projeté en ouverture. Le pitch : après un divorce difficile, une infirmière emménage avec ses deux enfants et leur chien dans une vieille maison à la campagne. Là, après s’être perdu, le chien revient et mord le benjamin. Il guérit, mais son comportement devient de plus en plus étrange…

Avec une réalisation sobre et une photographie grisâtre, ce film de Brad Anderson ne surprend pas par son scénario assez convenu. Il est cependant assez facile de rentrer dans cette histoire de famille difficile, et d’être en empathie avec le personnage interprété par Michelle Monaghan. Ses actions, de plus en plus sombres, sont justifiées par son amour inconditionnel pour son fils. L’ambiance rappelle un autre film passé par Gérardmer : La Nuée de Just Philippot. Même décor rural, mêmes relations familiales difficiles, et mêmes sacrifices de la mère. Mais le contexte social y est moins maîtrisée que dans le film français, et s’embourbe un peu dans son propos féministe.
 
Copyright The Jokers Films


#2 : La Tour de Guillaume Nicloux (en compétition) - en salles le 8 février 2023


A peine sortis de la salle, nous retournons immédiatement dans la queue afin d’enchaîner avec le deuxième film de cette compétition : La Tour de Guillaume Nicloux. Le film a déjà été présenté en festival (à l’Etrange Festival notamment). On commence à s’accoutumer à la coutume gérômoise d’hurler au loup, au monstre du lac et à la sorcière à chaque générique du festival, pour un effet cathartique !

Dans une tour de banlieue parisienne, une étrange brume arrive soudainement, enveloppant les fenêtres et le hall de l’immeuble. Impossible de passer au travers, et le monde extérieur devient totalement inaccessible. Si le pitch vous rappelle fortement The Mist de Frank Darabont, c’est normal : son influence transpire dans ce huis clos sous tension permanente. Rapidement, des factions vont se créer et des conflits éclater entre les presque 150 habitants de la tour. Le film sait créer sa propre atmosphère entre les petits appartements et les étroits couloirs, et avec même une introduction du mystique. Mais sa vaste galerie de personnages (à la qualité de jeu assez variable, tout comme les dialogues) et ses enjeux complexes finissent par nous perdre, sans parfois aller nulle part : tout reste mystérieux et aussi opaque que la brume dehors. C’est un film d’une belle ambition mais sans réel message, et qui manque d’équilibre dans sa durée.

Copyright Wild Bunch


#3 : Watcher de Chloe Okuno (en compétition)


Nous changeons ensuite de cinéma pour aller à la Maison de la Culture et des Loisirs, en lisière du centre-ville. Dans le froid, nous pouvons discuter en attendant la séance avec d'autres cinéphiles. Au vu des retours positifs des Etats-Unis sur ce film, on peut sentir les attentes du public!

Un jeune couple vient s’installer en Roumanie, suite à une promotion du mari. Sa femme Julia reste chez elle et découvre ce pays dont elle ne parle pas la langue. S’enfonçant dans la solitude, elle a le sentiment d’être suivie et observée par un de ses voisins. Mené par Maika Monroe, ce film à la prémisse d’ailleurs un peu similaire à It Follows nous balade dans des décors froids et peu accueillants. La réalisatrice prend son temps pour instaurer le malaise, suivant son personnage devenant de plus en plus paranoïaque. Julia est une femme au foyer désoeuvrée, qui recherche le contact d’autres personnes, mais qui pâtit de la barrière de la langue. Si le film ne propose au début que de rares moments de peur, on a pu sentir une montée en tension qui a complètement convaincu la salle.

J’ai donc beaucoup apprécié ce film glaçant, au propos féministe nuancé et qui propose une vraie étude psychologique de son personnage principal. J’ai pensé qu’il serait ainsi un des chouchous du public (on verra plus tard si j’avais raison).

Copyright Courtesy of Sundance Institute


#4 : King on Screen de Daphné Baiwir (hors compétition)


Le deuxième jour du festival démarre avec un documentaire qui m’attirait particulièrement, dans une salle Paradiso à demi-remplie malgré l’horaire matinal. Il s’agit d’un documentaire à la sortie maintes fois repoussée pour cause de covid ! Il retrace, au travers des propos de plusieurs réalisateurs et producteurs, une histoire des adaptations des œuvres de Stephen King au cinéma et à la télévision.

Forcément pas exhaustif, j’ai tout de même été complètement captivée par les récits de ces grands fans de King, Frank Darabont (The Mist, La Ligne Verte, Les Evadés,…) et Mike Flanagan (Jessie, Doctor Sleep,…) en tête. Le rythme du documentaire était parfois un peu erratique, et les différentes époques ne sont pas équilibrées dans le récit ; mais justement ! J’aurai pu regarder 4h de plus de documentaire tellement ce sujet me passionne. Mais peut-être ne suis-je pas objective, et ce documentaire est-il à réserver aux fans de l'auteur.

Yellow Veil Pictures


#5 : Zeria de Harry Cleven (en compétition)


Petit conseil si vous venez un jour : ne planifiez pas vos deux séances à la suite dans deux salles éloignées entre elles, sauf si vous êtes prêts à courir ! Un peu essoufflés, nous sommes quand même arrivés sans encombre (à part une glissade sur la neige) dans la plus grande salle du festival : l’Espace Lac. C’est aussi là que tous les invités présentent leur films, et que l’on peut apercevoir le jury de célébrités, présidé cette année par Bérénice Bejo et Michel Hazanavicius. Une salle glamour, en sommes.

Harry Cleven présente son film comme avant tout une recherche visuelle, commencée suite à l’obtention d’une subvention de 20 000 euros, d’abord court puis long métrage. Le ton est donné : c’est un film expérimental et fauché que l’on s’apprête à voir. Zeria est l’histoire d’un grand père qui raconte à son petit-fils l’histoire de sa vie. Mêlant prises de vue réelles, stop motion et masques, le visuel du film est déroutant et souvent contemplatif.

Mais passée la découverte initiale, ce film ne raconte pas grand chose si ce n’est une histoire très autobiographique et anecdotique, ponctuée de scènes érotiques. Les visuels sont parfois un peu bancals et ne proposent pas grand chose d’autre que leur couleur grise et blanche. Un ennui poli pointe le bout de son nez, malgré la courte durée de 1h01.

Copyright Popiul


#6 : Piaffe d’Ann Oren (en compétition)

Nous reprenons notre chemin dans la découverte des films de la compétition avec ce premier long métrage d’Ann Oren. Le film suit Eva, apprentie bruiteuse, qui s’attelle à la sonorisation d’une publicité montrant un cheval. A partir de là, elle va suivre un voyage initiatique pour en savoir plus sur ces animaux, sur elle-même et sur sa relation aux autres.

Tourné sur pellicule 16mm, le film marque d’abord par sa beauté formelle, tout en douceur et en couleurs vives : verts et rouges se mêlent dans des compositions splendides. Le soleil irradie le film, sauf pendant des scènes de boîte de nuit électrisantes. Piaffe est une coming-of-age story esthétique, sensuelle et d’un érotisme maîtrisé. Son étrangeté et sa bizarrerie, ainsi que son côté “auteurisant” le rendent certes un peu hermétique, mais il m’a touchée par l’envie d’émancipation de l'héroïne et ses images inoubliables.

J’ai donc trouvé mon premier coup de cœur de cette compétition dans ce film. Pourtant, au sortir de la salle, les spectateurs sont circonspects et l’ont trouvé trop prétentieux. Sera-t-il récompensé au bout du festival ? Mon instinct saura-t-il s’aligner avec les appréciations du jury ? Réponse plus bas.

Copyright Rediance


#7 : Masterclass de Kim Jee-Won

Trêve de films, nous nous dirigeons vers LA rencontre de ce festival avec le réalisateur Kim Jee-Won, surtout connu pour Deux Soeurs, Le bon, la brute et le cinglé et enfin J’ai rencontré le diable. La masterclass se fait grâce à une interprète coréenne, et retrace toute la carrière de ce cinéaste qui s’est essayé à beaucoup de genres cinématographiques.

De ses débuts par le théâtre, au contexte politique de la Corée du Sud, en passant par le jeu de ses acteurs fétiches Song Kang-Ho et Choi Minsik, on en apprend beaucoup sur sa manière de travailler, sur sa vision de son pays et des évolutions récentes du cinéma. Il insiste aussi pour avoir des questions du public. A la question “duquel de vos films êtes-vous le plus fier?” il répond qu’il a le sentiment de n’avoir pas encore fait de film qui le représente vraiment. Son prochain chef d'œuvre serait donc à venir. J’ai hâte de voir ça !

Kim Jee-woon au Festival de Gérardmer — Caroline Vié/20 Minutes


#8 : The Elderly de Raúl Cerezo et Fernando González Gómez (hors compétition)

Le générique d’ouverture promettait un film suffoquant, en pleine canicule, dans un Madrid rappelant fortement [REC] ou plus récemment La Abuela. The Elderly lorgne en effet très fort du côté de The Visit et même de X, dans le genre désormais beaucoup trop sur-utilisé de la “granny horror”, plein de personnes âgées nues censées provoquer le dégoût et l’effroi. C’est vulgaire et très très fatiguant.

Le film a quand même deux intérêts : la performance de Zorion Eguileor en grand-père méchant, déjà vu dans La Plateforme sur Netflix ; et la progression de plus en plus absurde de son scénario, qui aboutit sur un final presque nanardesque. Il est sinon très convenu et très oubliable. Il est temps de passer au film suivant !

Copyright Filmax International


#9 : The Nocebo Effect de Lorcan Finnegan (en compétition) - sortie le 8 mars 2023 en VOD

Nous faisons la queue plus d’une demie-heure pour voir une de mes plus grosses attentes du festival : ce nouveau film du réalisateur de Vivarium, qui m’avait filé une sacrée claque en tant que dernier film vu au cinéma avant le confinement de 2020. Avec un casting 5 étoiles (Mark Strong et Eva Green), et une inspiration des légendes du folklore phillipin, ce film est en effet plein de promesses. Une créatrice de mode pour enfant est soudainement frappée par une grave maladie qui l’empêche de travailler. L’arrivée d’une employée de maison pleine de bonnes intentions et qui semble capable de la guérir va-t-elle la sauver ?

Le mystère est bien trop facile à dévoiler, et la durée du film ne lui permet pas de développer la tension et tout ce passionnant folklore philippin qu’on ne fait qu’apercevoir. La mise en scène dans cette immense maison verte ne va pas assez loin dans le malaise, comme cela avait pu être le cas dans Vivarium. Mais le retour d’Eva Green en authentique scream queen est un plaisir, tout comme la performance de Chai Foncier en guérisseuse “ongo”. Et surtout, la puissance du message final colle tout simplement à son siège, nous mettant en face de nos propres responsabilités dans une scène sordide. Un solide film, pas aussi angoissant qu’il le faudrait peut-être, mais tout de même à voir.

Copyright The Jokers Films


#10 : Venus de Jaume Balagueró (hors compétition) - prochainement sur Prime Vidéo

Le dernier jour de Gérardmer, toujours sous la neige, commence avec une séance dans un Casino presque plein. Après l’hommage de la veille rendu à Jaume Balagueró, le plus primé de l’histoire du festival de Gérardmer, il est temps de découvrir ce nouveau film du co-réalisateur de [REC], mettant en vedette Ester Expósito, connue pour son rôle dans la série Elite.

Une danseuse vole une cargaison de drogue dans le club où elle travaille et se cache chez sa sœur, dans un immeuble qui ne paie pas de mine où se déroulent d’étranges phénomènes. Mêlant avec plus ou moins de réussite un thriller mafieux et un film de maison hantée, Venus ne brille pas du tout par sa subtilité, et perd même toute cohérence lors de son final. Mais purée ! Qu’est-ce qu’on s’amuse ! La salle n’a pas pu s’empêcher d’applaudir tant l’action fusait de tous les côtés, avec une galerie de personnages improbables. Et surtout, le réalisateur se fait plaisir pour rendre son héroïne totalement badass, incarnée avec beaucoup de charisme par Ester Expósito. C’est de la bonne série B, qui dégouline de sang et d’ésotérisme. Un bon moment, quoi !

Copyright Sony Pictures Releasing International


#11 : Nos cérémonies de Simon Rieth (hors compétition) - sortie le 26 avril 2023

Déjà présenté à Cannes lors de la semaine de la critique, ce premier long de Simon Rieth met en scène des acteurs non professionnels dans une histoire de fraternité fusionnelle et surnaturelle. Il se déroule l’été à Royan, celui de l’enfance puis celui de jeunes adultes qui partagent un secret.

Avec une grande finesse et un réalisme certain, dû à une direction d’acteurs laissant une grande place à l’improvisation, le film parvient à montrer des jeunes français dans toutes leurs facettes, leurs rivalités et leurs envies divergentes. J’ai trouvé les scènes de fête et d’interaction entre les personnages particulièrement réussies car elles sonnaient vraies tout en montrant un certain enchantement estival. Les deux frères Simon et Raymond Baur, champions de kung-fu dans la vraie vie et sportifs dans le film, crèvent l’écran par leur présence puissante et taiseuse.

Ce n’est certes pas un des films les plus riches en action ou en horreur (même pas du tout) de ce festival, mais Nos Cérémonies montre un cinéma français qui se renouvelle et qui passionne.

Copyright The Jokers Films


#12 : Cérémonie de clôture

C’est déjà l’heure de la fin, et celle du palmarès ! Dans l’Espace Lac bondé et survolté, le public a hâte de découvrir le verdict de ces riches journées de festival. Beaucoup de prix à remettre, certes, mais deux films ont tellement dominé toute la compétition qu’il n’y a finalement plus beaucoup de surprises. Et devinez quoi, ce sont deux films que je n’ai pas vus lors de ce festival (j’ai un instinct claqué au sol, pardonnez-moi).

Je vous invite cependant à découvrir la super critique ici de La Montagne sur Fucking Cinephiles par Laura Enjolvy, et à aller voir le film en salles si cela vous tente !

Quant à La Pietà, que j’avais pu découvrir à l’Etrange Festival en septembre dernier, on ne connaît pas sa date de sortie en France. C’est un film très fort dans sa proposition esthétique et choquant dans son exécution, qui a su séduire le public et le jury du festival. Dans ce sens, il se démarque du reste de la compétition car beaucoup plus audacieux.

Je suis quand même contente que mes deux petits chouchous, Watcher et Piaffe, repartent avec des prix bien mérités. Comme quoi !


LE PALMARÈS


GRAND PRIX DU COURT MÉTRAGE

Il y a beaucoup de lumière ici de Gonzague Legout (France)


PRIX SPECIAL DU 30E ANNIVERSAIRE

Watcher de Chloe Okuno (États-Unis)


PRIX DE LA CRITIQUE

La Montagne de Thomas Salvador (France)


PRIX DU JURY JEUNES

La Pietà d’Eduardo Casanova (Espagne et Argentine


PRIX DU JURY

La Montagne de Thomas Salvador (France) et Piaffe d’Ann Oren (Allemagne)


PRIX DU PUBLIC

La Pietà d’Eduardo Casanova (Espagne et Argentine)


GRAND PRIX

La Pietà d’Eduardo Casanova (Espagne et Argentine)

***

Je suis très heureuse d’avoir pu découvrir Gérardmer et tous ces films, ainsi que l’ambiance et le public, venu en nombre et plein d’énergie. A bientôt pour plus d’aventures enneigées !


Léa aka CillyKarma

Aucun commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.