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[CRITIQUE] : Le mal n'existe pas


Réalisateur : Ryūsuke Hamaguchi
Acteurs : Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa, Ryûji KosakaAyaka Shibutani,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Japonais.
Durée : 1h46min.

Synopsis :
Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois...



Critique :



Pour son nouvel effort, Ryūsuke Hamaguchi délaisse - en partie - les névroses métropolitaines de ses précédentes ballades cinématographiques (les fantastiques Asako I & II, Contes du hasard et autres fantaisies ou encore Drive My Car), pour s'attacher à celles d'un Japon rural (ici le village de Mizubiki) battant aux rythmes de la nature, à l'éthique et à la morale diamétralement opposées, quand bien même la vie urbaine (ici la grande métropole Tokyo) y est désormais - littéralement - à deux pas, menaçant grandement mais sûrement son équilibre pour mieux l'engloutir dans son propre monde.

Copyright Pandora Film / NEOPA, Fictive

Car tout n'est qu'une question d'opposition dans Le Mal n'existe pas, celle entre un monde rural au relativisme empirique qui tente tant bien que mal de subsister, face à un monde moderne vampirique dénué de toute moralité - parce que trivial à ses yeux -,  qui s'est désormais complètement libérée, désolidarisée, des cycles de la nature et de la conscience de l'origine des ressources qui nous font pleinement vivre.
Une opposition entre la quiétude de la vie à la périphérie et le lobby touristique, entre ceux qui possède humblement et vivent en harmonie avec la nature (symbole du jōmin, d'un Japon " authentique ") et ceux qui veulent capitaliser sur sa pureté, une lutte totalement actuelle mais finalement peu où pas si abordé que cela par le cinéma nippon, au-delà du magnifique Les feux d'Himatsuri de Mitsuo Yanagimachi (auquel Hamaguchi fait instinctivement écho).

L'histoire est ici simplement vissé sur ce même combat, ou Takumi et sa fille, Hana (une famille amputée de la présence de la mère/épouse, typique du cinéma d'Ozu), mènent une vie modeste et en harmonie avec leur environnement, jusqu'à ce qu'un projet de construction, loin d'être durable, d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin (pour des citadins cherchant un échappatoire tout en confort pas trop loin de la ville), vienne mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément leur quotidien.

Copyright Pandora Film / NEOPA, Fictive

Simple donc, mais évidemment pas dénué de complexité, tant cette fable organique sur l'impermanence de la vie est portée autant par une structure méticuleusement bâtie (une approche littéraire en trois actes, des dialogues rares mais très théâtraux, des personnages issus des deux " côtés " de son opposition, chacun suffisamment caractérisés pour maintenir l'intérêt autant que le mystère), que par un minimalisme absolu, offrant dès lors à son auditoire une multitude de niveaux de lecture, à la fois écologique (la main/bêtise de l'homme qui menace l'équilibre environnemental), politique (une dimension rurale/traditionnel effacée au profit d'un capitalisme moderne et borné, dont les intérêts passent au-dessus de tout), technologique (cette évolution à la fois fantastique et aliénante, qui ne fait qu'éloigner l'humain du contact avec la nature) et spirituel (la nature et le divin, face à une humanité qui ne croit plus en rien et qui s'auto-détruit).

Une complexité qui se retrouve jusque dans sa définition d'un cinéma " simple "  et pur, allant de la partition obsédante de la compositrice Eiko Ishibashi (directement impliquée dans la production du film) à une photographie à la blancheur prédominante - créant une atmosphère quasiment à la limite du mysticisme -, en passant par un montage fluide et aérien, qui ne fait qu'épouser un rythme tout aussi harmonieux.

Copyright Pandora Film / NEOPA, Fictive

Tout concorde pour faire de Le Mal n'existe pas une expérience à la fois familière dans sa narration (puisque universellement abordée à l'écran), mais incroyablement cathartique visuellement, qui se veut moins moraliste et militante (capitalisme dévorant, écologie bafouée), que profondément humaniste, tant ce n'est pas le mal dans sa forme la plus traditionnelle qui existe à ses yeux, mais juste la bêtise mal avisée de l'homme qui n'a de cesse d'enchaîner les actes nuisibles, dans une méconnaissance (souvent volontaire) du temps et de l'espace.

Une vision ambivalente et cohérente à contre-courant, entre contemplation et didactisme (ou comment stimuler la réflexion sans jamais tomber dans le pamphlet simpliste et stupide), mais clairement des plus pertinentes sur le manque de communion et l'absurdité dévastatrice du monde contemporain, tant le sinistre peut se cacher même derrière la beauté la plus pure qui soit.


Jonathan Chevrier



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