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[CRITIQUE] : Matrix Resurrections

Réalisatrice : Lana Wachowski
Avec : Keanu Reeves, Carrie-Ann Moss, Jessica Henwick, Yahya Abdul-Mateen II, Jonathan Groff, Neil Patrick Harris,...
Budget : -
Distributeur : Warner Bros. France
Genre : Science-fiction, Action.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h28min.

Synopsis :
Matrix Resurrection nous replonge dans deux réalités parallèles – celle de notre quotidien et celle du monde qui s’y dissimule. Pour savoir avec certitude si sa réalité propre est une construction physique ou mentale, et pour véritablement se connaître lui-même, M. Anderson devra de nouveau suivre le lapin blanc. Et si Thomas... Neo... a bien appris quelque chose, c’est qu’une telle décision, quoique illusoire, est la seule manière de s’extraire de la Matrice – ou d’y entrer... Bien entendu, Neo sait déjà ce qui lui reste à faire. Ce qu’il ignore en revanche, c’est que la Matrice est plus puissante, plus sécurisée et plus redoutable que jamais. Comme un air de déjà vu...



Critique :


" À quoi bon produire une suite d'une trilogie qui n'en a pas fondamentalement besoin ? "
" Comment offrir une suite à une histoire révolutionnaire sur le pouvoir grisant d'un esprit libre, au coeur d'une industrie engoncé dans une spirale créative amorphe et prônant la franchisation à outrance ? "

Si ces questions martelaient gentiment mais sûrement la campagne promotionnelle du bien nommé Matrix Resurrections (qui, finalement, mérite bien plus de s'appeler Revolutions que le troisième opus), n'oublions pas qu'elles pointaient déjà le bout de leur nez au début des années 2000, au moment où le premier film se voyait offrir une double suite dont on peut encore, tout comme ici, douter de la nécessité.
Mais se poser la question implique implicitement de douter de l'esprit d'une cinéaste qui, avec sa soeur, n'aura eu de cesse de révolutionner le concept même de blockbuster au sein d'une industrie Hollywoodienne qui ne fait que de se nourrir de notre familiarité collective avec des franchises populaires qu'elle a, lentement mais sûrement pour la majorité, dévitalisées de toutes leurs qualités.

Copyright 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. and Village Roadshow Films (BVI) Limited

D'autant qu'il est sain que de ne pas oublier que ce retour aurait été orchestré avec ou non, la présence d'une ou des deux Wachowski à sa barre, la Warner n'ayant jamais caché son désir de rebooter la trilogie au fil des années.
Hors à la vision de ce quatrième film, s'il y a bien une certitude c'est qu'il incarne tout autant que Matrix deux décennies plus tôt, plus un antidote qu'un poison pour guérir toute une production engoncé dans le solipsisme d'une mécanique que le spectateur lui-même, à consciemment nourrit.
Privilégiant la pilule rouge de l'audace - quitte à rebuter - à celle de la célébration orgiaque qu'incarne la bleue (surtout que son fan service a du bon comme du moins bon dans sa besace), Wachowski exhume dans sa diégèse l'essence de son effort le plus populaire pour mieux montrer combien la nostalgie familière et le fan service dans lesquels l'industrie aime se complaire (Spider-Man : No Way Home de Jon Watts en est l'exemple parfait le plus récent, dans sa manière de se réapproprier des oeuvres pour mieux les dénaturer et en tirer un maximum de profits - et c'est payant vu son écrasant premier week-end au B.O), n'est qu'une put*** de prison de verre, mais aussi et surtout virer vers une réflexion méta qui explose lors de son premier tiers, ou plus que le septième art actuel et son mode de fonctionnements, la narration question la place de la saga dans la culture moderne, à travers son spectateur mais aussi et surtout, sa figure matricielle - les Wachowski, ici Lana.
Une sorte de double plongée au fin fond du terrier du lapin, qui nous interroge tout du long jusqu'à quelle profondeur nous sommes prêt à aller, tout en jouant habilement avec nos attentes au point de les satisfaire sans même que l'on s'en rende réellement compte.
Et c'est finalement part le personnage de Thomas Anderson, qur Lana Wachowski et ses co-scénaristes David Mitchell et Aleksandar Hemon, mués par un humour noir et un cynisme étonnant, viennent bâtir cette redistribution des cartes, en en faisant non pas quelqu'un qui doute de la réalité, mais bien quelqu'un qui ne doute que de lui-même et ne veut pas croire - encore - en sa vie.

Copyright 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. and Village Roadshow Films (BVI) Limited

Si jadis Thomas Anderson/Neo doutait intimement de la vraie nature du " monde réel " et était obsédé par l'idée de découvrir se qui se cachait vraiment derrière ce mensonge apparent, sa quête est cette fois tout autre : il cherche à se persuader qu'il n'y a rien derrière, qu'il n'y a pas d'autre vérité que celle qu'il vit, que l'inspiration qui lui est venu pour créer sa trilogie de jeu vidéo populaire (une guerre entre les humains et des machines qui maintenaient leur esprit en esclavage, dans une sorte de matrice informatique...), n'est pas le souvenir d'une autre vie.
Et si doute il y a, heureusement, les petites pilules bleues sont là, prescrites pas un thérapeute qui a, inexplicablement, une réponse logique à tout.
La nécessité alors pour lui, comme pour Wachowski, la franchise, l'industrie ou même le spectateur, n'est plus de savoir s'il rêve comme auparavant, mais tout simplement de se réveiller pour épouser notre plein potentiel et notre vie.
Et le fait qu'Anderson soit inhabituellement réticent à le faire (tout comme nous pouvons l'être aussi, tout comme pourrait l'être le spectateur qui ne veut pas voir ce que ce film veut lui donner également), fait de lui le compagnon parfait pour cette balade ressemblant étrangement à une plongée dans les limbes de Shutter Island.
Car ici tout n'est qu'une redécouverte aux visages changeants, que ce soit esthétiquement (la colorimétrie émeraude et noire définissant le monde informatique, laisse place à un univers lumineux citant directement Sense 8, les scènes d'action numérico-extrêmes se font moins présentes et plus organiques, son aura de thriller cyberpunk laisse place à celui d'un drame profondément mélancolique,...) ou physiquement (un Morpheus plus jeune qui " apprend " à devenir son homonyme), tout en étant toujours lié à l'illusion du choix et du libre arbitre, de cette notion de savoir ce qui est réel et qui nous sommes, pour mieux résister (l'échange de l'utilisation des téléphones fixes contre des miroirs, des fenêtres et des portes pour entrer et sortir de la matrice, prend dès lors tout son sens).

Copyright 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. and Village Roadshow Films (BVI) Limited

Avec puissance et maîtrise autant qu'une dévotion totale pour sa création et son auditoire, Lana Wachowski réaligne la hiérarchie de ses personnages avec un apaisement libérateur (qui se matérialise par la prise de pouvoir des femmes), se fixe sur leurs besoins plus que sur les exigeances de son statut de blockbuster, tout en s'affirmant pleinement comme la maîtresse indiscutable de ce monde (l'architecte, dans son versant le plus bon et sain), comme celle qui en définit les termes pour mieux (dé)montrer que Matrix n'était avant tout et surtout, qu'une question de liberté humaine et d'amour depuis le début.
Et ceux qui suivent tout le travail récent de la cinéaste et de sa soeur, ne seront absolument pas surpris de voir que l'accent est tout du long mis sur la romance entre Neo et Trinity, dévoilant ainsi un message d'espoir universel à la sincérité dévastatrice, sur comment l'amour et l'acceptation peuvent incarner les meilleures armes que nous ayons pour donner un semblant de sens, à un monde qui nous manipule, nous endort et nous soumet au conformisme.
Le monde a évolué, Lana Wachowski tout comme nous aussi, avons évolués, si Matrix prophétisait un nouveau millénaire gangrenée par l'ère numérique et la lente déshumanisation de l'homme par la machine, Matrix Resurrections appelle lui à l'optimisme et à un lendemain meilleur.
C'est ce qu'on appelle un sacré reboot de la Matrice...


Jonathan Chevrier