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[CRITIQUE] : Nomadland


Réalisatrice : Chloé Zhao
Acteurs : Frances McDormand, David Strathairn, Gay DeForest, Linda May,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h48min.

Synopsis :
Après l’effondrement économique de la cité ouvrière du Nevada où elle vivait, Fern décide de prendre la route à bord de son van aménagé et d’adopter une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle. De vrais nomades incarnent les camarades et mentors de Fern et l’accompagnent dans sa découverte des vastes étendues de l’Ouest américain.



Critique :


Pas une seule de ses prestations ne cesse de nous éblouir au fil du temps et pourtant, à l'instar de l'autre comédien oscarisé cette année, Anthony Hopkins, avec sa composition grandiose dans The Father de Florian Zeller, une vraie question se pose : et si la performance de Frances McDormand dans le magnifique Nomadland de Chloé Zhao, n'était pas la meilleure de toute sa carrière ?
Sublime exemple de cinéma-vérité dont la sincérité et la fragilité transpirent de tous les pores de la pellicule, ce troisième long-métrage - inspiré du livre non-fictionnel Nomadland : Surviving America in the Twenty-First Century de Jessica Bruder -, permet à nouveau à la réalisatrice sino-américaine, quatre ans après The Rider, de creuser encore un peu plus le sillon de sa vision de l'Amérique, par le prisme du destin empathique de Fern, une femme dans la soixantaine qui, après la mort de son mari, se voit reprendre la possession de sa maison après être devenue l'une des millions de victimes de la récession de 2008.
Sans perspective d'emploi ni la moindre maison, elle entreprend un voyage à travers l'Ouest américain qui changera litteralement sa vie, tant la vie sur la route lui a donné un nouveau souffle salvateur...

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D'une authenticité et d'une mélancolie rares, Zhao porte un regard bienveillant sur ses millions de nomades vivant " l'american way of life " depuis leurs camping-cars, obligés par la force d'une existence qui donne plus d'uppercut que de coups de pouce, à se reconstruire dans un monde où la seule perspective d'avenir, la seule échappatoire est de vivre en marge.
Convoquant avec intelligence les grands espaces ricains comme feu le légendaire John Ford, terre d'espoir et de (fausse) liberté où l'être humain vit en communion avec une nature elle aussi précarisée, maltraitée, rejetée par le " monde nouveau ", Nomadland cite également tout autant la rugosité du chef-d'oeuvre Days of Heaven de Terrence Malick.
Comme Malick, Zhao tourne à la lumière naturelle, a une passion sincère pour l'âge d'or et utilise la nature sauvage pour appuyer ses commentaires sur le coeur profond et vulnérable de l'Amérique.
Les tropes faciles du rêve américain et sa promesse d'accomplissement de soi se frottent ici à la dure réalité à laquelle sont confrontés la plupart des américains au XXIème siècle : des existences réduites à une succession de fatalités dictées par une société capitaliste et sa constante recherche du profit (comment concilier la notion de liberté, si importante pour l'identité américaine, avec le fait que peu d'Américains ont la chance de faire l'expérience de l'autonomie ou du contrôle de leur propre existence?).

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Cette contradiction absurde traverse et imbibe toute cette histoire fascinante d'autonomisation et de non-conformisme empathique, alors que son héroïne est obligée de plonger tête la première dans l'expérience discordante d'être à la fois ancrée dans une vie sauvage en plein badlands (un cadre aussi incroyablement beau que surréaliste), balayée par le vent, et écrasée par les contraintes oppressantes d'un travail d'entrepôt, et de ses tâches aussi insensées qu'épuisantes. 
Dans ce paysage désolé ou les licenciements arbitraires, les démêlés judiciaires ou encore l'oscillation constante entre l'insécurité et l'itinérance s'enchaînent dans un balai indécent
, Zhao pousse à la réflexion sociale sans être fondamentalement à la tête d'un récit à charge (le fait de porter un regard plein d'espoir et de chaleur sur tout un pan de la population forgé à partir des ruines d'une crise sans précédent, et qui cherche tout bon côté dans leur malheur, ne nie pas pour autant l'horreur de cette dite crise), consciente que toute vision sur l'Amérique moderne ne peut avoir que son lot de contradictions, puisque le pays lui-même est bâti sur celles-ci, et continue de vivre par elles.
Portrait intimiste et vibrant sur les laissés-pour-compte d'une Amérique fatiguée et (presque) agonisante, jamais vulgarisé ni par un ton larmoyant putassier, ni par la mise en scène, sobre et joliment contemplative; le film vibre totalement pour et autour de Frances McDormand, absolument parfaite en femme indomptable et muée par un esprit pionnier qui l'est tout autant.

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Une comédienne comme on en fait presque plus, ayant que trop bien compris les limites de l'optimisme hollywoodien, au point qu'elle l'évite autant que faire se peut depuis longtemps maintenant.
Toutes ses performances ou presque, notamment chez son cinéaste de mari, reconnaissent la vérité humaine d'un monde réel rempli d'histoires souvent douloureuses et tragiques, transformant/dépouillant progressivement une certaine image familière de la prestation " oscarisable ", pour mieux l'amener vers un réalisme social puissant.
D'une universalité vibrante et déchirante (avec une partition générale alternant comédiens/comédiennes professionnelles à des non-professionnels, accentuant de facto son authenticité et ses faux airs de documentaire-vérité), caressant la cicatrice béante d'inégalités sociales qui ne cessent de se creuser, sublimé par la photographie solaire de Joshua James Richards, qui capture la beauté dure des États du Midwest; Nomadland est une épopée road-moviesque fantastique à l'humanisme terrassant, dont on ressort profondément ému et troublé.
La marque d'un grand film et, définitivement, d'une nouvelle grande orfèvre du septième art.


Jonathan Chevrier