[CRITIQUE] : First Cow
Acteurs : John Magaro, Orion Lee, Toby Jones, Ewen Bremner, ...
Distributeur : Condor Distribution / Mubi France
Budget : -
Genre : Drame, Western
Nationalité : Américain
Durée : 2h02min
Synopsis :
Au début du XIXe siècle, sur les terres encore sauvages de l’Oregon, Cookie Figowitz, un humble cuisinier, se lie d’amitié avec King-Lu, un immigrant d’origine chinoise. Rêvant tous deux d’une vie meilleure, ils montent un modeste commerce de beignets qui ne tarde pas à faire fureur auprès des pionniers de l’Ouest, en proie au mal du pays. Le succès de leur recette tient à un ingrédient secret : le lait qu’ils tirent clandestinement chaque nuit de la première vache introduite en Amérique, propriété exclusive d’un notable des environs.
Critique :
Kelly Reichardt continue de raconter l’Amérique au travers de ses différents personnages, avec son nouveau long-métrage First Cow. Projeté dans les salles ces jours-ci pour le Festival avant-premières de Télérama, il sortira officiellement le 27 octobre dans nos salles obscures. Pour les plus impatient‧es (et pour les détenteurs d’un abonnement), le film sera disponible dès le 9 juillet sur la plateforme Mubi. Tiré d’un livre, The Half-life écrit par Jonathan Raymond (co-scénariste du film également), il faudra se laisser doucement happer par ce film lent, qui souhaite nous emmener dans un doux conte d’antan, à l’époque des colons anglais venus faire fortune sur les terres américaines.
Un cargo traverse l’image de gauche à droite, déchirant le cadre et le magnifique paysage de l’Oregon, un état déjà mis en lumière par la réalisatrice, notamment dans La dernière piste (2010). Ce plan fixe, dont le seul mouvement vient du bateau, nous donne une information essentielle : nous sommes à notre époque. Nous découvrons donc une jeune femme promenant innocemment son chien dans ces denses forêts, avant de faire une découverte étonnante. Un crâne, déterré par le chien. Curieuse, cette jeune femme se fait archéologue et creuse doucement la terre de ses mains nues pour découvrir petit à petit deux squelettes allongés l’un à côté de l’autre. Cette séquence d’introduction, loin d’être détachée du reste du film, nous entraîne dans le récit tel un conte, son “il était une fois” bien à elle.
C’est dans ces mêmes fougères, à un siècle de différence cependant, que nous rencontrons Cookie, le jeune cuisinier d’une expédition de chercheurs d’or, sur le point de rentrer de leur mission et recevoir leurs gains. Un homme minutieux, précautionneux, en totale opposition avec ses pairs, une bande d’hommes violents, injurieux et alcooliques. Alors qu’il cueille des champignons en pleine nuit, il tombe sur King-Lu, un immigré chinois en cavale. Il vient de tuer un homme involontairement, appartenant à la mafia russe. Cet incident est comme un renouveau pour lui, l’occasion de faire table rase de son passé d’esclave pour embrasser l’aventure. Il s’est d’ailleurs débarrassé de ses vêtements et se présente à Cookie, nu, affamé et extrêmement fatigué. Ces deux outsiders ne savent pas encore qu’ils se sont trouvés, deux âmes en perdition, percluses de rêves dans ces débuts du capitalisme américain. Ils rêvent d’ouvrir un hôtel sur la côte ouest, de monter une boulangerie-pâtisserie, de gagner une somme confortable pour mener une vie parfaite en Californie. C’est une existence difficile que nous montre Kelly Reichardt. Les terres américaines ne sont pas faites pour la vie humaine, espace sauvage où la nature suit son cours, sans se soucier le moins du monde si l’humanité peut survivre en son sein. Mais il en faut plus à l’homme pour abandonner. La non-inclusion des femmes est voulue dans cette phrase, car elles n’existent presque pas dans le monde que nous dépeint la cinéaste. Les quelques femmes que nous voyons brièvement dans le cadre sont des amérindiennes, qui doivent soit faire des tâches ménagères, soit faire tapisserie dans des tea parties mondaines, le patriarcat s’étant déjà confortablement installé dans cette société moderne récente.
First Cow est avant tout une bulle de douceur, malgré l’âpreté de cette vie précaire, au sein d’une nature sauvage. Kelly Reichardt s’emploie à créer ce cocon dans sa mise en scène. Ses personnages sont souvent entourés de végétation, de montagnes, de cadre (de porte, de fenêtres), comme si elle voulait les protéger de ce monde, le format choisi (carré) tend également vers ce sens. On pourrait y voir un film où il ne se passe pas grand chose. Il est vrai que le rythme est assez lent, parfois redondant. La traite, la vente des beignets, les tâches ménagères. Ce rythme a pourtant un dessein, celui de nous montrer un quotidien hors du temps. Elle réinvente les codes du western, lui donne un aspect plus tendre, plus familial, façonnant ainsi la nouvelle figure du colon, désœuvré mais respectueux. La cinéaste met alors en place des séquences en creux, possédant une douce poésie du chez-soi où les deux hommes rêvent de richesse et d’une vie comblée dans leur petite cabane en bois, au son d’un feu crépitant. Le film s’inscrit dans la continuité de la filmographie de Kelly Reichardt, peut-être un peu plus accessible que les autres, plus linéaire. Tout se tient dans l’équilibre fragile du paysage hostile et des personnages doux comme de la soie, un ton singulier dans ce western à l’opposé de la mode des néo-westerns crépusculaires. First Cow est au contraire lumineux et tendre.
Dans le sublime #FirstCow, tout se tient dans l’équilibre fragile entre le paysage hostile et ses persos doux comme de la soie, un ton singulier se faisant le coeur d'un western à l’opposé de la mode des néo-westerns crépusculaires, ou tout est lumineux et tendre (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/cRpYpCRKkT
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 15, 2021
Kelly Reichardt continue de raconter l’Amérique au travers de ses différents personnages, avec son nouveau long-métrage First Cow. Projeté dans les salles ces jours-ci pour le Festival avant-premières de Télérama, il sortira officiellement le 27 octobre dans nos salles obscures. Pour les plus impatient‧es (et pour les détenteurs d’un abonnement), le film sera disponible dès le 9 juillet sur la plateforme Mubi. Tiré d’un livre, The Half-life écrit par Jonathan Raymond (co-scénariste du film également), il faudra se laisser doucement happer par ce film lent, qui souhaite nous emmener dans un doux conte d’antan, à l’époque des colons anglais venus faire fortune sur les terres américaines.
Kelly Reichardt est à l’image de ses films, une cinéaste à part qui a su se faire un nom dans le paysage indépendant. First Cow est son septième long-métrage, venant après Certaines Femmes (2017). Si ce dernier s’intéressait à quatre femmes d’aujourd’hui, ce nouveau film met en avant deux hommes, Otis “Cookie” Figowitz (John Magaro) et King-Lu (Orion Lee) au XIXe siècle, dont la rencontre va changer leur vie.
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Un cargo traverse l’image de gauche à droite, déchirant le cadre et le magnifique paysage de l’Oregon, un état déjà mis en lumière par la réalisatrice, notamment dans La dernière piste (2010). Ce plan fixe, dont le seul mouvement vient du bateau, nous donne une information essentielle : nous sommes à notre époque. Nous découvrons donc une jeune femme promenant innocemment son chien dans ces denses forêts, avant de faire une découverte étonnante. Un crâne, déterré par le chien. Curieuse, cette jeune femme se fait archéologue et creuse doucement la terre de ses mains nues pour découvrir petit à petit deux squelettes allongés l’un à côté de l’autre. Cette séquence d’introduction, loin d’être détachée du reste du film, nous entraîne dans le récit tel un conte, son “il était une fois” bien à elle.
C’est dans ces mêmes fougères, à un siècle de différence cependant, que nous rencontrons Cookie, le jeune cuisinier d’une expédition de chercheurs d’or, sur le point de rentrer de leur mission et recevoir leurs gains. Un homme minutieux, précautionneux, en totale opposition avec ses pairs, une bande d’hommes violents, injurieux et alcooliques. Alors qu’il cueille des champignons en pleine nuit, il tombe sur King-Lu, un immigré chinois en cavale. Il vient de tuer un homme involontairement, appartenant à la mafia russe. Cet incident est comme un renouveau pour lui, l’occasion de faire table rase de son passé d’esclave pour embrasser l’aventure. Il s’est d’ailleurs débarrassé de ses vêtements et se présente à Cookie, nu, affamé et extrêmement fatigué. Ces deux outsiders ne savent pas encore qu’ils se sont trouvés, deux âmes en perdition, percluses de rêves dans ces débuts du capitalisme américain. Ils rêvent d’ouvrir un hôtel sur la côte ouest, de monter une boulangerie-pâtisserie, de gagner une somme confortable pour mener une vie parfaite en Californie. C’est une existence difficile que nous montre Kelly Reichardt. Les terres américaines ne sont pas faites pour la vie humaine, espace sauvage où la nature suit son cours, sans se soucier le moins du monde si l’humanité peut survivre en son sein. Mais il en faut plus à l’homme pour abandonner. La non-inclusion des femmes est voulue dans cette phrase, car elles n’existent presque pas dans le monde que nous dépeint la cinéaste. Les quelques femmes que nous voyons brièvement dans le cadre sont des amérindiennes, qui doivent soit faire des tâches ménagères, soit faire tapisserie dans des tea parties mondaines, le patriarcat s’étant déjà confortablement installé dans cette société moderne récente.
Alors Cookie et King-Lu ne se quittent plus et s’installent même ensemble, lors d’une séquence hilarante par sa simplicité, où chacun prendra un rôle bien spécifique dans ce couple détonnant. Pendant que King-Lu s’emploie à couper du bois (avec difficulté) pour faire le feu du dîner, Cookie, censé l’attendre sagement, commence à balayer la modeste cabane, avant d’aller chercher quelques fleurs sauvages pour égayer la pièce. L’air de rien, Kelly Reichardt donne beaucoup d’empathie à ses personnages, qui dans un même mouvement, se créent une cellule familiale singulière, avec des rôles genrés. King-Lu, qui coupe du bois, deviendra le “cerveau” de leur entreprise, s’occupant de la comptabilité. Cookie, lui, s’occupera de la cuisine, du ménage, de la couture et viendra traire la seule vache des environs (dite même la première vache de l’Oregon) pour pouvoir réaliser les délicieux beignets, qu’ils vendent à prix fort. C’est une entreprise risquée, car ils n’ont pas le droit de venir traire cette vache. Elle appartient au Chief Factor (Toby Jones), un militaire anglais qui a fait venir cette vache pour son plaisir personnel (avoir du lait frais à mettre dans son thé).
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First Cow est avant tout une bulle de douceur, malgré l’âpreté de cette vie précaire, au sein d’une nature sauvage. Kelly Reichardt s’emploie à créer ce cocon dans sa mise en scène. Ses personnages sont souvent entourés de végétation, de montagnes, de cadre (de porte, de fenêtres), comme si elle voulait les protéger de ce monde, le format choisi (carré) tend également vers ce sens. On pourrait y voir un film où il ne se passe pas grand chose. Il est vrai que le rythme est assez lent, parfois redondant. La traite, la vente des beignets, les tâches ménagères. Ce rythme a pourtant un dessein, celui de nous montrer un quotidien hors du temps. Elle réinvente les codes du western, lui donne un aspect plus tendre, plus familial, façonnant ainsi la nouvelle figure du colon, désœuvré mais respectueux. La cinéaste met alors en place des séquences en creux, possédant une douce poésie du chez-soi où les deux hommes rêvent de richesse et d’une vie comblée dans leur petite cabane en bois, au son d’un feu crépitant. Le film s’inscrit dans la continuité de la filmographie de Kelly Reichardt, peut-être un peu plus accessible que les autres, plus linéaire. Tout se tient dans l’équilibre fragile du paysage hostile et des personnages doux comme de la soie, un ton singulier dans ce western à l’opposé de la mode des néo-westerns crépusculaires. First Cow est au contraire lumineux et tendre.
Laura Enjolvy