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[CRITIQUE] : Billie Holiday : Une affaire d’état

Réalisateur : Lee Daniels
Acteurs : Andra Day, Trevante Rhodes, Garrett Hedlund, ,...
Distributeur : -
Budget : -
Genre : Biopic, Musical, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h08min.

Synopsis :
Billie Holiday est sans conteste l’une des plus fascinantes icônes du jazz, mais derrière sa voix légendaire, se cache une femme dont le combat acharné pour la justice a fait d’elle la cible du plus puissant des pouvoirs…
En 1939, Billie Holiday est déjà une vedette du jazz new-yorkais quand elle entonne « Strange Fruit », un vibrant réquisitoire contre le racisme qui se démarque de son répertoire habituel. La chanson déchaîne aussitôt la controverse, et le gouvernement lui intime de cesser de la chanter. Billie refuse. Elle devient dès lors une cible à abattre.
Billie Holiday a tout fait pour atténuer ses souffrances et oublier son enfance difficile, ses choix malheureux en matière d’hommes, et la difficulté de vivre en étant une femme de couleur en Amérique. La drogue fut l’une de ses échappatoires. Le gouvernement va retourner cette faiblesse contre elle et utiliser sa dépendance aux stupéfiants pour la faire tomber. Prêt à tout, Harry Anslinger, le chef du Bureau Fédéral des Narcotiques, charge Jimmy Fletcher, un agent de couleur, d’infiltrer les cercles dans lesquels évolue la chanteuse. Mais leur plan va rencontrer un obstacle majeur : Jimmy tombe amoureux de Billie…




Critique :


Sept ans après son plutôt réussi Le Majordome, Lee Daniels s'échine cette fois à raconter l'histoire de la vie et de la carrière de la chanteuse Billie Holiday, au coeur des 40s et face au succès de son titre «Strange Fruit», hommage vibrant aux vies afro-américaines perdues des suites de nombreuses décennies de haine et de lynchage raciale; titre qui lui permis de remplir les salles de concert mais aussi et surtout d'être dans le viseur et d'énerver le gouvernement américain...et un J. Edgar Hoover.
Pas un biopic simple donc, au titre original on ne peut plus révélateur (The United States vs Billie Holiday, qui évoque de manière directe un conflit politique, car impossible d'imaginer un récit sur l'activisme qui n'est pas une résonance non-politique), et suivant la même structure narrative que le récent Judas and The Black Messiah de Shaka King, avec deux points de vue distinct dans la tentative au demeurant sincère, de synthétiser et de dénouer les arcanes des conflits majeurs dans l'histoire de l'activisme politique noir, tout en servant de vrai rappel/devoir de mémoire sur pellicule.

Copyright Metropolitan FilmExport

À ceci près qu'ici, le film à la volonté de démarquer de ses concurrents contemporains en se focalisant sur l'activisme d'une chanteuse, se concentrant autant sur elle que sur son art - ici la chanson -, véritable moteur de l'activisme de l'époque; la chanson «Strange Fruit», dont Holiday n'est pourtant pas la première interprète (c'était au départ un poème de protestation signé par l'auteur-compositeur juif-américain Abel Meeropol), en est le parfait exemple, un titre qui a effrayé l'establishment et ému les auditeurs, tout baignant dans la tragédie la plus totale, comme l'existence de son interprète la plus populaire.
Et c'est là que la vision de Daniels manque le coche, car s'il est évident qu'il n'ignore jamais les réalités douloureuses de sa vie (toxicomanie, maltraitance/violence de la part de ses amants, abus de l'industrie du disques, solitude dévastatrice, viol dans son enfance, obligée à la prostitution par sa propre mère,...) pour mieux en épouser sa grandeur hypnotique (même aujourd'hui, sa voix est toujours aussi puissante et unique), le cinéaste ne semble jamais vraiment rien proposer d'autre à l'écran pour autant.
Trop désireux d'imprimer sur son spectateur l'importance de la responsabilité d'Holiday dans l'histoire, Daniels, qui n'a pourtant pas besoin de trop chercher la compassion pour son héroïne - la dureté de sa vie l'impose naturellement -, oublie presque de dire quoi que ce soit d'autre de substance; dressant le portrait d'Holiday comme une femme forte et persécuté non pas par le système, ni par l'histoire, mais plus par les limites d'une vision cinématographique, malgré la prestation impressionnante et inattendue d’Andra Day.

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Une performance qui, à son meilleur - quand le scénario le lui permet - suscite la curiosité sur une figure complexe et pleine de contradictions (elle était vulnérable et susceptible, mais aussi ferme, imperturbable et en cruel manque/quête d'amour, au point d'être la proie d'hommes qui ne voyait en elle qu'un faire-valoir), une arme à double tranchant car en suscitant cette dit curiosité, elle ne fait que pointer lourdement la légèreté de l'approche opérée par Daniels.
Au lieu d’étudier cette femme troublée dont l’engagement politique envers cette chanson a fait d’elle une ennemie de l’État (son attachement à cette mélodie hantée par le sang, était réel), nous n'avons que les problèmes qui résulte de son choix de la chanter coûte que coûte, point final.
Une étude de caractère sans douleur autant qu'une étude artistique sans véritable fond (comment était-ce, en tant que citoyen afro-américain dans les années 40, d'entendre cette chanson ? De le chanter ? De la soutenir elle et son interprète ?) : «Strange Fruit» est une chanson qui, comme la femme qui l’a rendue célèbre, pleure ouvertement non seulement l’injustice du lynchage systémique et du racisme, mais aussi la tragédie du désintérêt total du système politique américain à faire quoi que ce soit pour régler ses injustices.
Un cri d'impuissance, montré ici comme si l'injustice persistante n'était presque qu'une fatalité.

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Regard brutalement lisse et frustrant alors que le sujet est on ne peut plus passionnant (par exemple, Jimmy Fletcher, l'un des premiers agents noir du FBI, aurait mérité à lui seul un film sur sa personne, lui dont le conflit intérieur fait justement écho à ceux de Billie), laissant constamment planer l'idée que la papa du merveilleux Precious, pourtant habitués aux divertissements pulpeux, fascinants et incontournables, aurait perdu son mojo - et que dire du montage de Jay Rabinowitz...
Mélodrame scolaire au casting pourtant impliqué (Trevante Rhodes et Garrett Hedlund en tête), plombé par ses attitudes rigides (les dialogues...) et ses réappropriations, Billie Holiday, Une Affaire d'État est un biopic décevant, terne et inauthentique qui manque sa cible : la réhabilitation d'une artiste complexe, captivante et inimitable.


Jonathan Chevrier