[CRITIQUE] : Mank
Réalisateur : David Fincher
Avec : Gary Oldman, Tuppence Middleton, Amanda Seyfried, Charles Dance, Lily Collins,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Biopic, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h12min
Synopsis :
Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles.
Critique :
Alors que l'on est dans le money time d'une année ciné résolument plus riche en belles découvertes que le commun des spectateurs/cinéphiles ne voudra l'admettre, le roi David Fincher, dont les saillies sanglantes dans les médias n'ont rien perdu de leur superbe, même avec six ans d'absence (mais pas d'inactivité), nous revient du côté de Netflix avec ce qui est, à n'en pas douter, l'un des meilleurs films de 2020, Mank.
Ou quand le papa de Se7en rêve la vie du scénariste hollywoodien Herman J. Mankiewicz, pour mieux concocter une merveille de diamant brut sur pellicule, qui se délecte autant de l'âge d'or d'Hollywood, qu'il en expose sa corruption.
Une vraie oeuvre d'artisanat à l'ancienne, une fabrication monochrome crémeuse semblant douloureusement évanouie dans la distribution cinématographique moderne, mais subtilement gravée dans le marbre de celles sur lesquelles Mankiewicz a justement travaillé - parfois sans facturation -, jusqu'à ce qu'il saisisse une chance de créer un chef-d'œuvre authentique avec une légende en devenir : Citizen Kane.
Pas une petite audace au fond pour le réalisateur, de s'attaquer à ce qui est considéré par beaucoup comme le meilleur film de tous les temps, sans vraiment s'attarder sur le dit film, ni son jeune cinéaste au caractère difficile - Orson " Fucking " Welles, ici plus proche d'un caméo qu'autre chose -, mais en focalisant toute son attention sur son co-scénariste, le journaliste/critique dont l'esprit vif et la capacité à réparer un scénario cassé (comme dit plus haut, souvent sans facturation ni créditation au générique) en ont fait une légende de l'industrie.
Croquant sa vision de la genèse de Citizen Kane, ou Mankiewicz aurait écrit le scénario alors qu'il était allongé, avec une jambe cassée après un accident de voiture (en réalité, il n'a commencé à le faire qu'après s'être remis de la blessure), Fincher lui offre la paternité presque totale de l'oeuvre (conçu dans
l'isolement médical quasi-complet), tout en faisant du bonhomme une sorte de bouffon silencieux de la cour Hollywoodienne, un philanthrope secret au rapport paternel douloureux - le savant Franz Mankiewicz - et aux travaux totalement éclipsé, qui n'a reçu sa reconnaissance tant méritée qu'à la fin de sa vie.
Un homme blessé et au dédain désinvolte, mais qui n'a pas perdu une once de son sens de journalistique et de son cynisme (celui-ci l'ayant, sans doute, permis d'éviter une grosse partie des pièges jumelés de l'ego et de l'alcool) dans son regard du monde qui l'entoure, des iniquités politiques à la morosité inquiétante de la montée du nouveau fascisme en Europe, sans oublier la malhonnêteté créative de l'industrie (notamment les faux films de propagande diffusés par les studios hollywoodiens - avec le soutien du magnat William Randolph Hearst, muse crasseuse du scénariste pour son écriture - pour discréditer l'auteur socialiste Upton Sinclair, en 1934).
Un Mank qui ne serait pas aussi captivant à suivre dans cette balade fragmentée dans le temps, sans la partition cinq étoiles d'un Gary Oldman halluciné et hallucinant, d'un cynisme trouble et au look déglingué (entre cheveux ébouriffés, joie de vivre désordonnée, mal-être réel et reflux acide d'alcool, mais ressemblant étrangement à sa performance en Churchill, lorsqu'il est cloué dans un lit et au plus mal), totalement porté par un casting de seconds rôles au diapason (surtout Tuppence Middleton et Amanda Seyfried, respectivement douce et pétillante dans les rôles de la femme de Mank, Sara, et Marion Davies).
Sincère, extravagant et irrésistible dans sa réflexion sombre et cynique sur l'ambition artistique et créative (au travers du décorticage quasiment médico-légale de Citizen Kane), grisant dans sa peinture abstraite d’un itinéraire moral individuel (sur un homme trop intelligent pour son bien, et dont tous les proches essayeront de le protéger de lui-même) qui se juxtapose à celle d'un formidable récit doux-amer sur les arcanes de tout un pan du cinéma américain (le vieil Hollywood, entre lettre d'amour fétichiste et nostalgique, et critique édifiante et songeuse de la mécanique puante des studios) et même d'une déclaration enflammée d'un fils à son père (le scénario est signé par son défunt père, lui-même journaliste reconverti scénariste); Mank est un portrait de maître grandiose à la beauté exaltante, fruit d'un travail dément du directeur de la photographie Erik Messerschmidt et du chef décorateur Donald Graham Burt, venus sublimer la vision dramatico-luxuriante d'un David Fincher rarement aussi à l'aise dans le drame romantique et destructeur, mêlant sentimentalité et ravissement pur avec maestria - même si, à la différence de Tarantino avec Once Upon a Time... in Hollywood, il convoque une certaine distance.
Le terme chef-d'oeuvre a beau être souvent usé, il est ici loin d'être galvaudé, puisqu'il a tout du film somme d'un cinéaste peut-être encore plus impliqué qu'à l'accoutumée, qui n'a définitivement pas fini de nous éblouir, même loin des salles obscures...
Jonathan Chevrier
Avec : Gary Oldman, Tuppence Middleton, Amanda Seyfried, Charles Dance, Lily Collins,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Biopic, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h12min
Synopsis :
Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles.
Critique :
Sincère et irrésistible dans sa réflexion sombre et cynique sur l'ambition artistique, grisant dans sa peinture abstraite d’un homme trop intelligent pour son bien, qui se juxtapose à celle d'un formidable récit doux-amer sur les arcanes du vieil Hollywood: #Mank est un pur bijou pic.twitter.com/waqzZExKSr
— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) December 4, 2020
Alors que l'on est dans le money time d'une année ciné résolument plus riche en belles découvertes que le commun des spectateurs/cinéphiles ne voudra l'admettre, le roi David Fincher, dont les saillies sanglantes dans les médias n'ont rien perdu de leur superbe, même avec six ans d'absence (mais pas d'inactivité), nous revient du côté de Netflix avec ce qui est, à n'en pas douter, l'un des meilleurs films de 2020, Mank.
Ou quand le papa de Se7en rêve la vie du scénariste hollywoodien Herman J. Mankiewicz, pour mieux concocter une merveille de diamant brut sur pellicule, qui se délecte autant de l'âge d'or d'Hollywood, qu'il en expose sa corruption.
Une vraie oeuvre d'artisanat à l'ancienne, une fabrication monochrome crémeuse semblant douloureusement évanouie dans la distribution cinématographique moderne, mais subtilement gravée dans le marbre de celles sur lesquelles Mankiewicz a justement travaillé - parfois sans facturation -, jusqu'à ce qu'il saisisse une chance de créer un chef-d'œuvre authentique avec une légende en devenir : Citizen Kane.
Copyright Netflix |
Pas une petite audace au fond pour le réalisateur, de s'attaquer à ce qui est considéré par beaucoup comme le meilleur film de tous les temps, sans vraiment s'attarder sur le dit film, ni son jeune cinéaste au caractère difficile - Orson " Fucking " Welles, ici plus proche d'un caméo qu'autre chose -, mais en focalisant toute son attention sur son co-scénariste, le journaliste/critique dont l'esprit vif et la capacité à réparer un scénario cassé (comme dit plus haut, souvent sans facturation ni créditation au générique) en ont fait une légende de l'industrie.
Croquant sa vision de la genèse de Citizen Kane, ou Mankiewicz aurait écrit le scénario alors qu'il était allongé, avec une jambe cassée après un accident de voiture (en réalité, il n'a commencé à le faire qu'après s'être remis de la blessure), Fincher lui offre la paternité presque totale de l'oeuvre (conçu dans
l'isolement médical quasi-complet), tout en faisant du bonhomme une sorte de bouffon silencieux de la cour Hollywoodienne, un philanthrope secret au rapport paternel douloureux - le savant Franz Mankiewicz - et aux travaux totalement éclipsé, qui n'a reçu sa reconnaissance tant méritée qu'à la fin de sa vie.
Copyright Netflix |
Un homme blessé et au dédain désinvolte, mais qui n'a pas perdu une once de son sens de journalistique et de son cynisme (celui-ci l'ayant, sans doute, permis d'éviter une grosse partie des pièges jumelés de l'ego et de l'alcool) dans son regard du monde qui l'entoure, des iniquités politiques à la morosité inquiétante de la montée du nouveau fascisme en Europe, sans oublier la malhonnêteté créative de l'industrie (notamment les faux films de propagande diffusés par les studios hollywoodiens - avec le soutien du magnat William Randolph Hearst, muse crasseuse du scénariste pour son écriture - pour discréditer l'auteur socialiste Upton Sinclair, en 1934).
Un Mank qui ne serait pas aussi captivant à suivre dans cette balade fragmentée dans le temps, sans la partition cinq étoiles d'un Gary Oldman halluciné et hallucinant, d'un cynisme trouble et au look déglingué (entre cheveux ébouriffés, joie de vivre désordonnée, mal-être réel et reflux acide d'alcool, mais ressemblant étrangement à sa performance en Churchill, lorsqu'il est cloué dans un lit et au plus mal), totalement porté par un casting de seconds rôles au diapason (surtout Tuppence Middleton et Amanda Seyfried, respectivement douce et pétillante dans les rôles de la femme de Mank, Sara, et Marion Davies).
Copyright Netflix |
Sincère, extravagant et irrésistible dans sa réflexion sombre et cynique sur l'ambition artistique et créative (au travers du décorticage quasiment médico-légale de Citizen Kane), grisant dans sa peinture abstraite d’un itinéraire moral individuel (sur un homme trop intelligent pour son bien, et dont tous les proches essayeront de le protéger de lui-même) qui se juxtapose à celle d'un formidable récit doux-amer sur les arcanes de tout un pan du cinéma américain (le vieil Hollywood, entre lettre d'amour fétichiste et nostalgique, et critique édifiante et songeuse de la mécanique puante des studios) et même d'une déclaration enflammée d'un fils à son père (le scénario est signé par son défunt père, lui-même journaliste reconverti scénariste); Mank est un portrait de maître grandiose à la beauté exaltante, fruit d'un travail dément du directeur de la photographie Erik Messerschmidt et du chef décorateur Donald Graham Burt, venus sublimer la vision dramatico-luxuriante d'un David Fincher rarement aussi à l'aise dans le drame romantique et destructeur, mêlant sentimentalité et ravissement pur avec maestria - même si, à la différence de Tarantino avec Once Upon a Time... in Hollywood, il convoque une certaine distance.
Le terme chef-d'oeuvre a beau être souvent usé, il est ici loin d'être galvaudé, puisqu'il a tout du film somme d'un cinéaste peut-être encore plus impliqué qu'à l'accoutumée, qui n'a définitivement pas fini de nous éblouir, même loin des salles obscures...
Jonathan Chevrier