[CRITIQUE] : Teddy
Acteurs : Anthony Bajon, Ludovic Torrent, Christine Gautier, Noémie Lvovsky,...
Distributeur : The Jokers Films / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Comédie, Fantastique.
Nationalité : Français.
Durée : 1h28min.
Synopsis :
Dans les Pyrénées, un loup attise la colère des villageois. Teddy, 19 ans, sans diplôme, vit avec son oncle adoptif et travaille dans un salon de massage. Sa petite amie Rebecca passe bientôt son bac, promise à un avenir radieux. Pour eux, c’est un été ordinaire qui s’annonce. Mais un soir de pleine lune, Teddy est griffé par une bête inconnue. Les semaines qui suivent, il est pris de curieuses pulsions animales…
Critique :
Avec une verve irrévérencieuse,#Teddy transcende son statut de série B pour incarner une jolie tragi-comédie sociale et horrifique, un OFNI aussi satirique qu'enlevé qui bouffe les genres qu'il aborde avec un tel enthousiasme, qu'il ne peut qu'emporter l'adhésion de son auditoire pic.twitter.com/nGzmAwVA4P— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) September 8, 2020
Sachant que le mythe lycanthrope n'a pas vraiment été célébré comme il se doit dans l'hexagone (et tant mieux, se diront ceux qui se souviennent du piteux Le Loup-garou de Paris, avec Julie Delpy), gageons qu'il y avait donc de quoi avoir très peur à l'idée de voir un tout jeune tandem de cinéaste, Zoran et Ludovic Boukherma (le sympathique Willy 1er), se frotter au genre que nous défendons avec amour, avec un second long portant le doux petit nom de Teddy - et adoubé par le label Cannes 2020.
La surprise n'en aura finalement été que plus conséquente à sa vision, tant le film est une vraie petite perle dans un cinéma de genre made in France, qui ne demande que de telles locomotives pour vraiment être (re)lancé.
Pas un chef-d'oeuvre, ni forcément un grand film, mais une bonne comédie horrifique aussi généreuse que décomplexée et inoffensive, qui n'a pas d'autre ambition que de faire rire et frémir durant 90 minutes rondement bien menée.
Biberonnés à la bonne époque (les 80's), et surtout aux bonnes références (Carpenter - Christine - et Cronenberg - La Mouche - en tête du côté ricain, Dumont et Bresson pour l'hexagone), les frangins Boukherma convoquent les effluves d'un cinéma d'exploitation perdu, situé entre le drive-in mélancolique et le lycée miteux de la ville, pour mieux le catapulter au coeur d'une campagne bien de chez nous, pas forcément coutumière à voir ses ados se transformer en loup-garou pour aller hurler sous la lune.
Typiquement le genre de projet cool et pas con quoi, capable de draguer aussi bien les nostalgiques que les spectateurs avides d'expériences nouvelles - par chez nous, on l'entend bien -, surtout quand on y accroche les traumas de l'adolescence, avec une incarnation parfaite d'une génération perdue aux frontières de l'aube - ou plutôt des Pyrénées.
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Soit le jeune Teddy, simili-prolo marginal de dix-neuf piges au look aussi incertain que son avenir : plus d'études, pas de diplômes, job peu enthousiasmant (masseur dans l'institut de beauté du coin, avec une patronne férocement pressante), cible du mépris des mômes de son âge et même de la quasi-intégralité des habitants du coin,... mais il a une copine, avec qui il veut s'installer dans une petite maison payé à crédit.
Son destin est aussi peu reluisant que tout tracé et pourtant, aléas de la vie dirons-nous, il va se faire griffer par un loup-garou; une nouvelle condamnation qui va pourtant redistribuer toutes les cartes...
Plus comédie grotesque que vraie bande horrifique, nous faisant accepter l'absurdité de manière totalement naturelle - comme chez Dupieux, en résolument moins barré -, autant que son regard malicieux sur une France rurale engoncée dans ses certitudes (a)morales (aux habitants faussement bouseux, vivant dans des quartiers pavillonnaires calquées les uns sur les autres, et dont les vies sont rythmées par les lotos de fin de semaine et les potins locaux); Teddy dépasse même parfois gentiment les contours du teen movie à observation sociologique, pour mieux aller s'aventurer dans les vertiges de l'identité d'une figure in fine, plus complexe et qu'elle n'en à l'air.
Via un récit tournant plus ou moins adroitement autour de la marginalité, des affres du rude apprentissage de la vie d'adulte et du changement corporelle qui lui est lié, le tandem de cinéastes s'insère sans forcer dans le cinéma bien de chez nous (des personnages marginaux dans un cadre familier), tout en dynamisant l'unanimisme et le sentimentalisme - souvent - mou du genou, par un mélange irrévérencieux de bouffonnerie et de cruauté, offrant de facto une galerie de figures azimutées et hauts en couleurs.
Mais c'est finalement le dit Teddy, qui entraîne le spectateur dans un processus d'empathie très retors, un ado torturé, sauvage et rejeté - mais qui s'efforce presque de faire tout pour -, qui laisse transparaître toute sa douceur au moment même où son animalité profonde et surnaturelle, prend une place prépondérante.
Dans le rôle-titre, Anthony Bajon, qui a beau se perdre parfois dans un cabotinage un poil irritant, n'en reste pas moins convaincant; attifé comme l'as de pique mais d'une sombre élégance, il peut s'avérer touchant de fragilité aussi bien que diablement effrayant par la simple force de son regard.
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Plutôt efficace dans son incursion fauchée mais sincère dans le genre horrifique (timide en effet, budget riquiqui oblige, malgré un climax pétaradant et franchement jouissif), porté par de vraies fulgurances et des idées de mise en scènes inventives, loufoque tout en regardant avec ténacité le nihilisme de notre époque; Teddy transcende son statut de série B cheap et kitsch (dans le bon sens du terme) pour incarner une jolie tragi-comédie socialo-horrifique (oui) satirique et enlevée, qui survole peut-être un brin certains de ses thèmes charnières (et est aussi frappé par une partition pas toujours adroite de son casting global), mais qui bouffe les genres qu'il aborde avec un tel enthousiasme qu'il ne peut qu'emporter l'adhésion de son auditoire.
Un bon petit OFNI, tout simplement.
Jonathan Chevrier