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[CRITIQUE] : Slalom


Réalisatrice : Charlène Favier
Acteurs : Noée Abita, Jérémie Renier, Catherine Marchal, Muriel Combeau, ...
Distributeur : Jour2fête
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 1h32min

Synopsis :
Lyz, 15 ans, vient d'intégrer une prestigieuse section ski-études du lycée de Bourg-Saint-Maurice. Fred, ex-champion et désormais entraîneur, décide de tout miser sur sa nouvelle recrue. Galvanisée par son soutien, Lyz s'investit à corps perdu, physiquement et émotionnellement. Elle enchaîne les succès mais bascule rapidement sous l'emprise absolue de Fred...


 
Critique :



Charlène Favier était venue présenter son premier long métrage en compétition au Festival du Film Francophone d’Angoulême, qui s’attaque au sujet plus si tabou des abus sexuels dans le milieu du sport.
Slalom est reparti avec le Valois Magelis des étudiants francophones. Il sera également présenté au festival de Deauville dans quelques jours, où il a déjà obtenu le prix d’Ornano Valenti (comme Les Misérables de Ladj Ly l’année dernière). Il a aussi reçu le label du festival de Cannes 2020 qui n’a pas eu lieu. Les récompenses ne veulent parfois rien dire, mais rassurez-vous, ici ces prix et distinctions sont amplement mérités. Charlène Favier signe un film glaçant à juste titre, qui renvoie évidemment à l’actualité sur la parole libérée aux sujets des agressions sexuelles et viols dans le milieux du sport, mais pas que. On pense aux révélations de Sarah Abitbol il y a quelques mois, qui s’est rajoutée aux nombreux témoignages de victimes dans différents milieux sportifs, culturels, politiques, etc... où un engrenage de silence avait entouré les femmes depuis trop longtemps. Mais la réalisatrice a confié avoir écrit son film bien avant le mouvement #MeToo, à une époque où personne ne voulait financer le projet, au vu de son sujet. 

Copyright Charlie Bus Production


Pour interpréter son héroïne principale, la cinéaste a fait appel à Noée Abita, qui nous avait déjà montré tout son talent au côté de Laure Calamy dans Ava de Léa Mysius. Lyz intègre en cours de route la section ski-étude dirigée par l’ex-champion Fred (Jérémie Renier) pour le côté entraînement et par sa compagne Lilou (Marie Denarnaud) pour le côté éducatif. En retard par rapport à ses camarades, qui en profitent pour chahuter la petite nouvelle, Lyz doit prouver sa compétence et sa passion si elle veut rester dans l’équipe. Issue d’une famille disloquée, ses parents sont séparés, son père est au abonné absent et sa mère doit la laisser gérer seule sa vie en montagne, ayant obtenue un poste à Marseille pour pouvoir lui payer ces études exorbitantes. Lyz se donne corps et âme à l'entraînement intensif et n’a de toute façon pas le temps de s’apercevoir de son extrême solitude. Il n’y a que le ski qui compte vraiment et son envie de devenir championne.
Slalom n’hésite pas à venir capter les détails de ce planning de sport à haut niveau, qui pousse les jeunes dans leur retranchements. Comme beaucoup de disciplines, une intimité est obligée de se créer entre les sportifs et leurs entraîneurs/ coachs : le corps est replacé, manipulé pour réduire le danger des blessures, le cycle menstruel est partagé pour augmenter les chances de réussites et suivre les directives du corps. Un rapprochement entre un adulte aux pleins pouvoirs et des mineures qui n’est jamais encadré par un système, et crée donc une omerta sur ses possibles dérives. La réalisatrice insère aussi dans cette relation la frustration suscitée par le schéma de ce sport, qui laisse tomber ses jeunes à la moindre blessure, après des années de sacrifice, autant éducatif que personnel. Fred, devenu entraîneur, harponne ses élèves pour vivre par procuration le rêve ultime des Jeux Olympiques auquel il n’a pas eu droit. 

Copyright Charlie Bus Production


Après sa première course, qu’elle gagne haut la main, Fred voit en Lyz une future championne, capable de rafler les meilleures récompenses. Il l’a prend alors sous son aile, grâce à des entraînements privés, qui ont pour unique but de lui donner toutes ses chances. Rapidement, ces rencontres se finissent par un attouchement la première fois, puis par un viol. Charlène Favier rend consciemment les enjeux de Fred ambiguë : est-il réellement sous le charme de l’adolescente ou veut-il prendre de force sa capacité à réaliser son rêve ? Ce mystère évite le manichéisme et exprime bien toute la difficulté de Lyz à admettre ce qu’il se passe. Elle est terrifiée, non par ces abus, mais par le fait qu’il puisse la laisse tomber si elle parle. Esseulée, Fred est devenu par la force des choses la seule figure parentale de son petit monde, la personne qui la soutient et croit en elle. Elle l’avoue même à une de ses camarades, en lui précisant que de ce fait, elle se fout du reste. Cependant, le traumatisme de ces actes sexuels non consentis finissent par la rattraper. Malgré son jeune âge, elle doit mener de front un planning intensif, un secret lourd à porter et des courses décisives pour les Jeux Olympiques le week-end. La tension est étouffante, pour le personnage mais aussi pour le spectateur grâce à un superbe boulot dans la lumière, rendant les paysages de montagnes tantôt magnifiques, tantôt oppressant. Les détails sonores sont aussi à féliciter, où le vent des tempêtes devient vite une musique habituelle, mettant en exergue le malaise lors des scènes d’agressions, où le vent s’arrête et installe un lourd silence glaçant. 

Copyright Charlie Bus Production


Slalom glace le sang par son propos, interpellant intelligemment sur les nombreuses dérives rendant possible une emprise psychologique, parfois sexuelle sur de jeunes mineures. Une analyse fine, qui accompagne le personnage principal dans son questionnement, son mal être, son envie de réussir, jusqu’à ce que le “non” claque dans une séquence finale bouleversante. Lyz et le spectateurs peuvent respirer, enfin.


Laura Enjolvy