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[ENTRETIEN] : Entretien avec Christian Volckman (The Room)

Photo Alexandre MARCHI / Vosges Matin // Condor Films

Après quatorze ans d’absence en salle, le cinéaste Christian Volckman revient avec The Room, thriller horrifique mené par Olga Kurylenko et Kevin Janssens. Nous avons pu nous entretenir avec lui et parler du temps qui passe, des maîtres du cinéma et du film de genre en France.




Pourquoi une si longue absence entre Renaissance, votre premier long-métrage d’animation et The Room ?

J’ai une notion du temps un peu étrange. Je pense que tout le monde a une notion du temps particulière et j’ai le sentiment que le temps n’existe pas en fin de compte. Et notre rapport au temps change en fonction de notre situation, par exemple quand tu es en vacances, le temps passe à toute allure, puis quand c’est fini, on a l’impression que ce n’est jamais arrivé… Et alors le cinéma, c’est encore pire, le temps du cinéma c’est des années de réflexion. Alors, il y a des gens qui vont très vite, mais je ne sais pas comment ils font. Moi, je suis extrêmement lent finalement, je fais beaucoup de choses, mais très lentement paradoxalement. Juste après Renaissance, j’ai eu cette espèce de sensation de vide, puis je me suis surtout posé la question : “à quoi bon ?”. À quoi servent toutes ces années qu’on passe à faire un film ? Ça m’a paru tout d’un coup complètement ridicule et vain. J’ai eu une sorte de prise de conscience, où je me suis demandé l’utilité de ce métier. Et il y avait surtout un sentiment d’épuisement. J’avais un rêve, c’était de devenir peintre, de travailler la peinture, comme recherche d’absolu. Je voulais trouver quelque chose qui transcende le quotidien et qui m’amène en même temps à une sorte de satisfaction profonde et je me suis dit que j’allais la trouver dans la peinture. Je me suis lancé tout seul, en me disant que je voulais m’éloigner du monde du cinéma, que je trouvais très cynique, parce que tout est basé sur du business au fond et que l’art n’avait absolument pas sa place là-dedans. J’ai monté un binôme qui s’appelle « ©® » [avec Raphaël Thierry], on a fait des performances un peu partout dans le monde. Mais je me suis vite aperçu qu’il n’y a pas de fin. C’est-à-dire, une fois que l’on commence, une toile peut être un espace éternel de création et de destruction. J’ai passé plusieurs mois avec une seule toile, que je détruisais sans cesse, pour repeindre par dessus, par insatisfaction. Le process de peinture, il faut être très organisé, et surtout, il faut accepter de finir quelque chose. Donc j’ai dû changer mon mode de fonctionnement et mon rapport à la toile. J’ai commencé à mettre plein de toiles sur les murs, que je peignais très rapidement, les unes après les autres, que je laissais reposer et finalement dès que je sentais que c’était à peu près bon, j’arrêtais.


Votre processus de création via la peinture se rapproche étrangement de celui de l’écriture d’un scénario, non ?

C’est vrai, il y a un peu cette recherche, qui peut être infini. C’est un peu pareil finalement, c’est une feuille de papier blanche, on part du même vide et puis on essaye de construire quelque chose. Sauf que, l’avantage du cinéma c’est qu’on a une équipe, qui vous renvoie la balle sur une oeuvre. Il aurait fallu que j’ai cela avec la peinture, comme cela existait à une époque, c’est-à-dire, des galeristes qui travaillent finalement comme un producteur avec leurs artistes, mais je n’ai jamais trouvé. Et c’est vrai que le milieu de l’art m’a un peu dégoûté. L’aboutissement dans la peinture, c’est quand on vend son travail à des multi-millionnaires qui spéculent. Cela m’a beaucoup freiné dans ma quête du succès. Je me suis dit que je préférais finalement retrouver le monde du cinéma, galérer à faire des films et continuer à peindre, mais de manière beaucoup plus libre, sans ce but ultime de vendre, qui va presque à l’encontre de l’art, en tout cas ma conception de l’art en général.

Copyright Condor Films


Il y a un côté malsain…

C’est très malsain oui. D’ailleurs, il existe des espèces de bunkers, il me semble qu’il y en a un en Suisse, où tous les millionnaires du monde entier stockent leurs œuvres d’art, échangent, sans payer d’impôts. Il y en a un deuxième qui s’est construit au Luxembourg, ils arrivent avec leur jet privé, ils s’installent, ils négocient et ils revendent leurs œuvres qu’ils ont acheté des millions. C’est très destructeur pour la société, car ça tend vers le libéralisme et tous ses travers et je n’avais pas du tout envie de participer à ça. Je préfère le cinéma, il y a un public derrière, c’est plus accessible, car la peinture reste un monde très hermétique, il a pris une forme beaucoup trop mercantile. Il y a encore des espaces au cinéma où ce n’est pas encore qu’une histoire d’argent, même si c’est quand même en train de se réduire et d’être de plus en plus dur, surtout pour les scénaristes et les réalisateurs pour qui ça devient un véritable parcours du combattant. C’est pour ça, j’ai eu une période où je recherchais l’absolu, mais en voyant que ce n’était pas possible, j’ai décidé de me retourner vers le cinéma, et de me satisfaire du fait de terminer un projet, même si je considère cette oeuvre comme imparfaite. C’est pour ça que je me suis donné quelques contraintes : deux-trois personnages maximum, dans une maison, trouver des solutions narratives pour que ça reste intéressant, tout en trouvant ce qui me plaît dans certains types de cinéma, c'est-à-dire une sorte de réflexion philosophique sur les distances, explorer des thèmes qui sont plus intérieurs que extérieurs.

D’où vous est venu cette idée de la pièce, qui exauce tous nos vœux ?

J’ai été très marqué par les contes pour enfant. Quand j’étais petit, j’en lisais plein.

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C’est vrai, qu’il y a une atmosphère de conte, un peu féerique au début de The Room.

Voilà. Il y a un côté “conte russe”, ils ont des contes absolument fascinants. Il y a aussi l’histoire des Mille et une nuit qui m’a beaucoup marqué. Parce que tout semble magique, cette énorme fresque, qui traverse toutes les émotions humaines, avec des éléments fantastiques, étranges. La mythologie grecque m’a aussi beaucoup marqué, en fait tous ces mythes m’ont toujours fasciné petit. Le fantastique, c’est une bonne réponse, cela permet d’explorer dans un quotidien réaliste des éléments qui peuvent apporter des formes de magie ou de mystère et j’ai trouvé que ça répondait bien à toutes mes obsessions.


Vous m’avez parlé de contes, mais aviez-vous des références cinématographiques pour créer cette atmosphère ?

Oh oui, alors il y a Tarkovski, il y a Solaris qui m’a beaucoup influencé. En fait, le problème que j’ai, c’est qu’il y a beaucoup de cinéastes qui me fascinent, de vieux cinéastes, mais qui sont inatteignables. Einsestein m’a beaucoup marqué, parce qu’il est extrêmement puissant en terme d’image. Il suffit de revoir Le Cuirassée Potemkine pour se rendre compte que tout a été fait, tout a été dit, l’expressivité était à son maximum quasiment. Il y a une puissance dans le montage, dans le cadrage, car il réfléchissait vachement aux lignes de tension, à la façon dont le noir et blanc s’équilibrait ou se répondait au sein même du montage. D’ailleurs, il a posé plein de théories sur le montage, qui sont assez intéressantes à lire. Ensuite, j’adore Fritz Lang, c’est un des maîtres absolus du cinéma. Finalement, ce sont des bases et j’ai l’impression que tous les autres ont suivi. Aujourd’hui, nous sommes un peu dans une surproduction, donc il y a plein de chose absolument fascinante à s'imprégner, mais en même temps tout est dilué. Ça devient difficile d’être complètement fasciné par des objets uniques. J’aime beaucoup les expériences cinématographiques, quand elles ne sont pas complètement narratives aussi. J’aime bien quand ça dérape, ça me laisse un espace de rêve. Après, je ne peux pas ne pas citer Philip K. Dick en littérature, qui reste le créateur le plus fascinant pour moi, même s’il a peut-être été influencé par les drogues qu’il prenait (rire).

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Ah mais sûrement !


Ça me plait beaucoup, parce qu’il manipule des éléments de psychanalyse, d’inconscient, de science-fiction, il mélange tout ça dans une sorte de tambouille assez compliqué à comprendre parfois, mais qui donne l’impression qu’il voit derrière le miroir. Et cela m’a toujours plu chez les artistes, en littérature ou au cinéma, ou même en peinture, c’est que tu as l’impression que l’artiste est capable de voir à travers les êtres humains. Parce que le réel me fatigue et particulièrement dans les productions françaises. Il y a une sorte d’obsession du réel, et on a l’impression que le rêve n’a plus sa place. C’est très étrange. Parce que pour moi, le réel est étrange, quand on l’observe. Le réel est magique, il est inattendu, on ne contrôle rien même si on en a le sentiment. Le côté éphémère de la vie est complètement magique, c’est-à-dire qu’on se pose quand même la question d’où on vient, où on va, qu’est-ce qu’il y a derrière, pourquoi … Des questions que je ne retrouve jamais dans les films français. Il y a quelque chose de très plombé sur le social et je pense que c’est pourquoi on a d’ailleurs du mal avec The Room, à le sortir en France parce qu’il y a un rejet du fantastique qui est relié je pense à cette espèce d’obsession de la pseudo-réalité, mais qui est créé par le système français aussi.


Justement, c’était l’une de mes questions. Vu que The Room est un film de genre, le proposer ici à du être difficile.

On a pas trouver de distributeur ici. Étrangement, le film est sorti partout dans le monde. Il a très bien marché en Russie, alors ça, ça m’a fait particulièrement plaisir.

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Peut-être parce qu’ils ont retrouvé un peu leur univers de conte.

Sûrement, et surtout parce que le public russe est très ouvert à ce genre d’imaginaire. Il a aussi marché au Moyen-Orient, il a fait son petit bonhomme de chemin. En Asie, évidemment. Alors le problème en Asie, il est sorti au Vietnam très récemment, mais ils sont en plein Coronavirus et malheureusement, on va sûrement avoir le même problème en France d’ici peu.


Il sort le 25 mars, oui [NDLR : Covid-19 oblige, sa sortie fut repoussée jusqu'au 14 mai, directement en VOD et en achat digital]

On va être au pic de la crise, si on en croit les rumeurs. On va voir si les gens vont se déplacer (rire). Mais c’est vrai qu’il y a eu un rejet massif des distributeurs en France. Pour des raisons aussi techniques. C’est que Wild Bunch devait sortir le film, mais ils ont eu des problèmes financiers et ils n’ont pas accompagné le film jusqu’au bout, on s’est retrouvé avec un film sans distributeur. Et une fois que le film est terminé, et que les distributeurs n’ont pas d’enjeux personnels à défendre un film, surtout s’ils n’ont pas mis d’argent dedans, ils n’ont pas un intérêt accru. Ils observent le film avec une sorte de distance, un peu technique. Ils se demandent si ça peut plaire à un public, ils collent au film tout un tas de paramètres financiers, ce qui fait qu’à la fin, forcément, ils finissent par dire non. En plus, en France, quand on regarde l’histoire du cinéma fantastique, c’est une catastrophe. Ils se disent “encore un film de genre, en plus en anglais, avec des acteurs pas très renommés ici”, cela faisait beaucoup de paramètres pour que les distributeurs ne se lancent pas dans l’aventure. Il a fallu que Les Films du Poisson sorte le film, grâce aussi aux salles indépendantes, d’art et d’essai, on va voir si cela va fonctionner. 

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Vous vouliez dès le départ faire le film en anglais ? Vous l’avez écrit en anglais ?

Oui. Oui, parce que justement, j’avais ce problème-là, parce que les films fantastiques ne marchent pas en France et en plus, on a du mal à les vendre à l’étranger. Ça fait un peu double peine, donc j’ai voulu le faire en anglais, comme ça il peut avoir un parcours à l’international, si ça ne marche pas en France. Et j’ai bien fait ! On est très content de son cheminement. Là, il sort sur Shudder, qui est une plateforme aux États-Unis, un peu comme Netflix mais spécialisé genre, qui n’existe encore uniquement dans les pays anglo-saxon [depuis notre entretien, la plateforme française Shadowz a vu le jour]. Mais voilà, il a fait le tour du monde, j’ai pu partir en Corée du sud, j’ai reçu un prix là-bas. Il se promène. Il sort normalement bientôt au Japon. L’anglais permet d’effacer les problèmes de la langue. Le français, nous avons besoin de sous-titre, plein de pays refusent. Par exemple, les États-Unis n’ont pas du tout cette culture de doubler les films, ils ne savent même pas ce que c’est, du coup si ce n’est pas en anglais, il n’y a quasiment aucune possibilité d’exister là-bas.

Peu de films français s’exportent là-bas c’est vrai, seulement ceux qui ont gagné des prix prestigieux et qui ont donc déjà un certain bagage.

Exactement. Et encore, même quand ils ont gagné des prix, ils le sortent dans deux salles. Pour que ça fonctionne, il faut que ça passe par eux. Le problème des américains, l’auteur n’a très peu de place. Du coup, il faut avoir cette capacité de faiseur et être en contact avec les bonnes personnes. C’est un univers qui moi me fait peur. J’ai l’impression que tous les auteurs qui s’y sont frottés, sont soit mangés, happés par le système, soit repartent en se disant plus jamais. Notamment Jean-Pierre Jeunet, Kassovitz, etc … Dès qu’on a une volonté de maîtriser son oeuvre, on se retrouve en porte-à-faux avec les producteurs qui veulent le final-cut.

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Rectifiez moi si je me trompe, mais personnellement, j’ai trouvé que ce n’était pas la chambre qui provoquait la peur, mais plutôt l’enfant. Est-ce que cette réflexion autour du fait de devenir parent, la pression du couple qui ressort dans The Room était déjà présente lors de l’écriture ?

Oui tout à fait. Mais ce n’est pas que la pression de l’enfant. Finalement la chambre, c’est un mélange d’internet, d’Amazon et d’insémination. Il y avait aussi le fait que l’enfant est enfermé, car la famille est une forme d’enfermement. Souvent les enfants se rebellent à un certain âge, enfin j’espère qu’ils se rebellent, ce n’est pas toujours le cas, ils peuvent être écrasés, pris dans cette espèce de conditionnement de leur milieu. Alors, il y a plein de milieux différents, en général il y a un mélange entre toutes les projections de chaque parent, plus la projection sociale du milieu dans lequel on est, si on plus on rajoute au-dessus de ça la religion, ça fait un espèce de cocktail infernal. La famille conditionne l’enfant, la société conditionne l’enfant à devenir et à imiter les parents. Très peu arrive à se libérer de cet environnement qui les pré-détermine. J’aime bien les rebelles, car c’est justement ceux qui remettent en question le système et qui essayent de trouver leur propre voie.

Et qui arrive à sortir de la maison…

Et oui voilà, sortir de la maison. Mais c’est symbolique, c’est-à-dire qu’il faut détruire les parents, détruire le conditionnement par lequel on a été formaté, pour pouvoir soi-même trouver sa propre liberté. C’est un peu cela le fondement du film.



propos recueillis par Laura Enjolvy, le 9 mars 2020



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