[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #52. Rocky V
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Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#52. Rocky V de John G. Avildsen (1990)
Dans les ultimes secondes de Rocky IV, le boxeur au grand cœur Rocky Balboa est clairement au firmament de sa carrière : champion du monde incontesté, sa ceinture ne peut quitter ses reins (son dernier match ne comptait même pas pour le titre) et il vient de venger la mort de son meilleur ami Apollo Creed, en battant à la loyale le plus terrifiant et dangereux adversaire de sa riche carrière, Ivan Drago.
Dans la réalité, Stallone est tout aussi couvert de louanges : tous ses films explosent le box-office, il est le mieux payé des comédiens à Hollywood et il trône fièrement tout en haut de la chaîne alimentaire de l'industrie.
Mais cinq ans plus tard, le vent a tourné et l'artiste, tout comme l'alter-ego magnifique qu'il s'est lui-même créé, est au creux de la vague.
Si le comédien ne rencontre plus le même succès, Balboa lui, opère une descente aux enfers qui n'a d'égale que son triomphe passé fulgurant, au cœur du mal-aimé Rocky V non plus shooté par Sly, mais par John G. Avildsen, papa du premier opus.
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Faisant fi de tout souci de continuité (la vieillesse et la fatigue visibles de Burt Young et de Talia Shire, qui doit enchaîner avec les prises de vue du Parrain 3 en Italie, Rocky Jr qui en une nuit prends dix ans au compteur,...), le film démarre quelques instants après la rouste victorieuse subit par Rocky face à Drago en Russie.
Les coups terribles et répétés du Grizzly de Sibérie ont eu un effet dévastateur sur l'Étalon Italien, ses mains se mettent à trembler et devant une Adrian terrifiée, il parle à Mickey comme s'il était encore en vie à ses côtés.
Le cadre est planté en l'espace de quelques secondes seulement : l'ivresse triomphante des années 80 laisse place à la gueule de bois implacable des années 90, et le vrai combat de Rocky ne sera plus sur un ring, mais au jour le jour et au quotidien, là ou la cloche n'est appelée à sonner qu'une seule fois, au moment du K.O. ultime de la vie.
De retour aux États-Unis, le boxeur sur la retraite ne doit pourtant cesser d'encaisser les gnons : il découvre qu'il est atteint de lésions cérébrales critiques qui pourraient le rendre tétraplégique s'il ne range pas les gants aux vestiaires, et la faute à son boulet de beau-frère Paulie, il est escroqué par un comptable véreux.
Ruiné, même après avoir bradé le peu de bien qu'il lui restait, il est contraint de retourner avec ses proches dans leur ancienne maison à Philadelphie, abandonnée au lendemain de sa victoire face Apollo Creed, lors de leur second combat.
Au fond du trou dans les bas-fonds de sa ville de cœur, le Rock ne baisse pourtant jamais les bras, il rouvre la salle de sport de Mickey (léguée à son fils Rocky Jr), refuse de remonter sur le ring malgré le pactole promis par le promoteur malhonnête George Washington Duke (clone à peine masqué de Don King), et tente fébrilement de renouer des liens avec un fils (avec qui il avait jadis toujours été proche) perturbé par cette régression sociale qui le frappe de plein fouet, aussi bien moralement que physiquement (les mômes sont durs entre eux au collège...).
Une volonté pourtant mise à mal par l'arrivée d'un jeune boxeur prometteur qui veut de la légende comme entraineur, Tommy Gunn, que Rocky voit autant comme un diamant brut à polir qu'une version enthousiasmée et impulsive du jeune homme qu'il a été.
Ne répondant pas aux appels d'un fils qui a cruellement besoin de lui, il va prendre sous son aile Tommy, se prend d'affection pour lui et va lui donner suffisament de son savoir pour en faire l'une des étoiles montantes de la catégorie poids lourds.
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Mais une fois le titre laissé vacant par Rocky remporté, Tommy tourne le dos son idole et rejoint les rangs du manipulateur Duke, qui veut que les deux s'affrontent pour organiser un combat ultra vendeur " Maître vs Élève ".
S'il résiste un temps à ses provocations, Rocky finira finalement par affronter le jeune champion dans la rue, et lui donnera une raclée on ne peut plus mérité, quitte à manquer d'y laisser sa peau... mais pas de sauver la cohérence d'un ultime opus - à l'époque - qui brille par ses défauts conséquents, fruit d'une réécriture incessante au coeur même du plateau.
Dès le départ, loin d'être aidé par une intrigue qui ne pouvait pas convenir à des fans ne voulant pas voir un Rocky défaillant à l'écran (le public lambda ayant déjà beaucoup de mal à ne pas voir Stallone en dehors de la peau de l'Étalon Italien...), Rocky V à trimbalé du début à la fin son statut d'opus malade sans jamais pouvoir s'en dépêtrer.
Dans son premier jet, Stallone avait prévu que Rocky meurt à la fin des suites de son combat avec Gunn, dans une scène résolument bouleversante où il se reposerait une ultime fois dans l'ambulance, la tête posée sur les genoux de son Adrian, alors enceinte d'une petite fille qu'il ne verrait jamais grandir.
Un final dramatique et douloureux, qui se serait clot avec une Adrian face au marche du musée de Philadelphie ou posait encore fièrement l'immense statut de bronze de son mari, annonçant au monde entier, la nouvelle de la mort de Rocky.
La symbolique aurait été belle mais au fond, admettons que comme Stallone, il nous aurait été beaucoup trop difficile de dire au revoir à Rocky de la sorte, car comme pour tous les grands héros du septième art - dont il fait assurément parti -, il est presque impossible d'accepter de les voir mourir à l'écran.
Un changement de fusil d'épaule de la part de Stallone qui n'aura de cesse d'agir comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du métrage, poussant sans cesse à des réécritures qui au mieux, l'auront rendu plus attachant mais au pire - soit bien trop souvent -, l'auront fait devenir l'opus le plus malade et impopulaire de la saga.
En l'espace d'un seul métrage, Rocky abandonne tout comme Stallone, son statut de vainqueur invincible et testostéroné à mort pour retrouver sa carapace de loser magnifique - et le chapeau qui va avec -, un choc frontale pour les fans qu'il est assez difficile à digérer, surtout que le bonhomme accepte avec bien trop de fatalité son maigre sort (en quinze minutes, montage maladroit aidant, il prend sa retraite en tant que champion du monde, perd tout et redevient un citoyen lambda dans son ancien quartier, sans subir plus que cela les quolibets de la presse et des habitants de Philadelphie) et abandonne encore plus facilement ses valeurs (sa famille, son sentiment noble d'être un guerrier qui a toujours un dernier combat à mener,...).
Pire, même Stallone se met à douloureusement cabotiner en récupérant des tics physiques et de langages que son personnage avait pourtant perdu au fil du temps, comme si son retour aux sources impliquait implicitement une certaine régression à tous les niveaux.
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Malgré tout, et s'il est toujours jouissif de tirer sur une ambulance déjà criblée de balles, force est d'avouer que tout n'est pas à jeter dans cet opus, loin de là, tant il sert clairement de terreau parfait aux deux suites de la saga : le chef-d'oeuvre Rocky Balboa mais, surtout, le spin-off Creed - L'héritage de Rocky Balboa, qui lui doit beaucoup (si ce n'est pas tout).
En effet, dans la relation entre Adonis et Rocky, il est bien difficile de ne pas y déceler celle plus fragile entre Rocky et Tommy, qui était déjà un peu, la descendante directe du duo formé par Rocky et Mickey dans le premier film.
Âme tragique à l'enfance traumatisante et à la vision paternelle catastrophique (un père violent qui ne l'a pas éduquer), Gunn voit en Balboa une figure paternelle de substitution inespérée et idéalisée, qui va tout lui apprendre aussi bien sur qu'en dehors du ring; différence marquante cependant entre les deux, Tommy rentrera en conflit direct avec le Rock, là ou Adonis remplacera dans le cœur du boxeur, un fils ayant depuis longtemps fui son quotidien.
Le thème de la relation père/fils est d'ailleurs le coeur vibrant et attachant du métrage, que ce soit dans le triangle dramatique et émotionnelle que concocte Sly autour de Rocky (son fils, Tommy et lui-même, ou il sert de catalyseur affectif sans que les deux autres n'entrent en conflit entre eux-mêmes), ou la manière furieusement méta qu'il a de profiter du film pour se rapprocher lui-même de son propre fils Sage, bien trop vieux pour le rôle, mais dont la lecture intime derrière son engagement, justifie au final pleinement sa présence.
Dans une sorte d'extension de ce qu'il avait déjà écrit pour sauver du gouffre le jouissif mais bancal Over The Top - Le Bras de Fer de Menahem Golan, Stallone rattrape le temps perdu et se reconnecte devant et derrière la caméra à un fils qu'il n'a jamais vraiment connu, à force d'enchaîner les plateaux de tournage (le divorce d'avec sa mère n'ayant pas aidé les choses non plus).
Les conflits entre les deux paraissent de facto incroyablement réaliste, la quête d'amour et d'approbation qu'ils mènent ensemble ne sonnent jamais faux, et les regards tendre d'un père pour son fils n'en sont que plus fort.
Ce qui peut s'apparenter comme un défaut de cohérence majeur (il y a toujours eu de toute manière, sauf pour Rocky Balboa, de gros soucis avec les castings de Rocky Jr), devient alors une double tentative magnifique de passage de relai qui se répondent parfaitement, et sauve du trépas une oeuvre qui sera boudée en salles (aussi bien par le public que les critiques) puis abandonnée par son propre géniteur pendant de nombreuses années, avant qu'il n'utilise sa gomme magique et qu'il corrige ses défauts pour offrir un vrai chant du cygne à son plus beau bébé - Rocky Balboa, seize ans plus tard et pile poil trente ans après Rocky premier du nom.
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Bancal mais touchant et mélancolique, tronqué par ses nombreux compromis même si certains étaient salvateurs (heureusement que Rocky n'est pas mort...), autant qu'il est férocement ambitieux (il tranche avec la redondance narrative de la saga, instaurée dès le second opus), Rocky V est un Rocky que l'on aime détester, tant il nous renvoie à une image que l'on apprécie pas forcément de Balboa (qui aime voir ses héros chuter avec passivité), mais qui est cruellement nécessaire : un phénix ne peut pas renaître de ses cendres, s'il ne connaît pas un trépas certain auparavant...
Jonathan Chevrier