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[CRITIQUE] : Suspiria


Réalisateur : Luca Guadagnino
Acteurs : Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth, Chloë Grace Moretz,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Épouvante-horreur.
Nationalité : Américain, Italien.
Durée : 2h32min

Synopsis :
Susie Bannion, jeune danseuse américaine, débarque à Berlin dans l'espoir d'intégrer la célèbre compagnie de danse Helena Markos. Madame Blanc, sa chorégraphe, impressionnée par son talent, promeut Susie danseuse étoile.
Tandis que les répétitions du ballet final s’intensifient, les deux femmes deviennent de plus en plus proches. C’est alors que Susie commence à faire de terrifiantes découvertes sur la compagnie et celles qui la dirigent…



Critique :

Le Suspiria de Dario Argento est considéré comme LE chef d’oeuvre du réalisateur italien. Et pour cause. Après s’être approprié le giallo (il est maintenant considéré comme le maître de ce genre avec Mario Bava), Argento a voulu se détacher de ses contraintes pour livrer un film surnaturel et violent. Sorti en 1977, Suspiria est une oeuvre hypnotique, effrayante, pourvu d’une esthétique incomparable, aux couleurs criardes. Intemporelle. Ce film a donc marqué de nombreux spectateurs, de nombreux aspirants réalisateurs et artistes. Dans le lot, Luca Guadagnino, qui a comme tant d’autres rêvé de réaliser un film comme celui-là. Mais pour lui, ce rêve devient réalité. C’est en 2008, qu’un producteur, n'ayant pas froid aux yeux décide de faire un remake du film. Isabelle Huppert et Isabelle Fuhrman (la révélation du film Esther) composaient le casting. Malheureusement, le projet échoue. Mais l’idée du remake est là et Guadagnino saisit l’opportunité pendant la Mostra de Venise en 2015, présent pour présenter A Bigger Splash. Et voilà, le projet est lancé. Dire que les cinéphiles redoutent le film est un euphémisme. C’est un cauchemar, on ne peut décemment pas recréer l’univers de Suspiria, on ne peut pas recréer cette fascination irréelle. Guadagnino a beau forcé le respect pour son magnifique Call me by your name, il ne lui donne aucunement l’immunité pour s’attaquer à Suspiria.



Pourtant, il ne faut pas oublier que Guadagnino est autant un fan de Dario Argento et du film en question que nous autres. Et c’est peut-être cette passion qui le sauve. Malgré l’histoire qui reste inchangée (la compagnie de danse, le personnage de Susie, les sorcières …), le film se détache radicalement de l’oeuvre originelle. Le réalisateur décide de placer son histoire à Berlin (et non à Fribourg), en 1977 (l’année de sortie du film d’Argento). Il ouvre donc l’intrigue et laisse place au mention de la Guerre Froide, du mur et des attentats politiques. Nous suivons donc une jeune danseuse américaine dans une histoire fractionnée en six actes. Susie rêve d’intégrer la compagnie de danse de Helena Markos, surnommée la Mère Supérieure par les enseignantes de la compagnie. Après une audition éclair où elle brille, elle intègre l’école et le ballet contemporain qui est monté, appelé Volt. C’est à Dakota Johnson que revient l’honneur de remplacer Jessica Harper. Connue pour la trilogie des Cinquante nuances de Grey (et sa façon de mordre sa lèvre inférieure), cette actrice est loin d’être considérée comme la meilleure de sa génération. Depuis la saga adaptée des livre de E.L James, la critique adore la comparer à une morue (ou autre métaphore très recherchée). Pourtant Dakota Johnson essaie doucement de laisser son personnage d’Anastasia de côté. Ici, elle le prouve en livrant une prestation avec une palette de jeu plus importante et se donne à fond, émotionnellement et physiquement. Contrairement à celui d’Argento, où la danse n’était qu’un prétexte, elle a une place importante dans ce Suspiria. Johnson a dû s’entraîner intensément pendant des mois à la danse contemporaine, pour apprendre à jouer aussi avec son corps.



Même si le contexte historique de Berlin reste assez anecdotique dans l’intrigue, il serait faux de se dire qu’avoir placer l’académie de danse face au mur est une coïncidence. La politique de l’époque est évoqué comme une entrave, une prison pour les habitants. Ces femmes qui viennent danser cherchent avant tout une libération. A l’image de Susie, venant d’une famille amish, représentée comme aliénant l’esprit du personnage. En plaçant la compagnie de danse de l’autre côté du mur, Guadagnino joue sur la métaphore de la frontière à traverser et met ce chemin sur le personnage du psychiatre (joué par Tilda Swinton). La frontière se place aussi à l’intérieur des locaux de la compagnie, entre la salle de danse, accessible à tout le monde et les locaux secret de l’académie, accessible uniquement aux sorcières. Et le sort qui est réservée à celles qui traversent cette frontière sans autorisations est horrible (cette magnifique scène de la répétition du ballet, en montage alterné avec ce qui se passe dans une autre salle de danse secrète). Cette Mère Supérieure, Markos, que personne ne voit préside ce côté secret, mais celle qui règne sur la salle de danse est Madame Blanc (jouée également par Tilda Swinton). A la fois glaciale et maternelle, cette silhouette longiligne suscite l’admiration de toutes les danseuses (et du spectateur). On ne peut s’empêcher de voir dans ce personnage un hommage à la danseuse et chorégraphe allemande Pina Bausch (je peux que vous conseiller de taper son nom dans google image et la comparer aux photos de personnage de Tilda Swinton, la ressemblance est frappante). D’ailleurs, est-ce si farfelue que ça quand on se penche sur le travail de la chorégraphe et sur ses ballets ? Elle élaborait ses chorégraphies en étudiant l’anatomie de ses danseurs et danseuses et leur possibilités à chacun. Elle a aussi beaucoup évoqué le rapport de force entre homme et femmes et leur façon de communiquer. Un puissant hommage lui est fait quand Madame Blanc fait répéter les sauts du ballet à Susie, et ce faisant, la libère de la pesanteur de ce monde extérieur.



Il faut par contre avoir le cœur bien accroché devant ce Suspiria. S’il n’est pas un film d’horreur aux jumpscare racoleurs, il distille une angoisse profonde à mesure qu’il avance. A l’instar de son prédécesseur, il privilégie l’atmosphère grâce au son et à l’image. Le film respire (littéralement), avec ces respirations dans la bande son de Thom York. Niveau photographie, c’est Sayombhu Mukdeeprom, qui s’est aussi occupé de Call Me By Your Name. Plus de couleurs criardes composées à l’aide du Technicolor du premier Suspiria (le superbe travail de Luciano Tovoli), nous avons droit à un Berlin pluvieux, gris avec des couleurs froides. Parfois le rouge intervient, à quelques moments choisis, notamment dans les costumes du ballet Volt, fait de cordelettes rouges, évoquant l’entrave du corps. Malgré les moments sombres, cette société de sorcières n’est pas représenté comme le mal absolue. Ici, elles échappent au monde des hommes, célèbrent leur puissance. Guadagnino explore leur ambiguïté sans les enfermer dans le cliché de la sorcière automatiquement maléfique.



Il n’est pas judicieux de comparer les deux Suspiria, tant ils sont différents. Le deuxième s’inspire bien évidemment du premier, mais arrive à s’en échapper pour proposer un film différent de son prédécesseur. Une réussite quand on pense aux risques encourus.


Laura Enjolvy




Sommet d'épouvante baroque et proprement hallucinatoire, porté aux nues sur le tard - comme son cinéaste - par la critique avant de gentiment s'installer comme une bande culte dans la psyché des spectateurs plus ou moins endurcis, Suspiria avait tout de l'oeuvre intouchable, même si elle s'est fait gentiment piller (et pas toujours avec la volonté de lui rendre un hommage sincère) avec le temps.
Voir alors Luca Guadagnino, franchement auréolé du triomphe de Call Me By Your Name et déjà auteur d'un remake pompeux et inférieur à l'oeuvre originale (A Bigger Splash), s'attaquer au film d'Argento dans le désir (discutable) de se l'approprier par pur fétichisme - ou égoïsme -, avait de quoi effrayer - ou revulser -, s'il est désormais acquis à Hollywood la putain (mais pas que), que tout film a le luxe de se voir refait à volonté, à tort et à travers...



Pensant le singulier cauchemar loufoque du papa du Syndrome de Stendhal (son dernier long réellement recommandable) comme une sorte de chanson/roman que l'on peut réinterpréter, posséder à sa guise, Guadagnino cherche tout du long à ce que son film ne ressemble jamais au matériau d'origine (de quoi débouter tout faux procès de copie-calque qui peut lui être intenté), pour mieux croquer une péloche aussi ambitieusement vampirique et inspirante qu'elle peut paraître parfois prétentieuse; une ambivalence qui, mine de rien, correspond justement à l'image que peut représenter ce Suspiria 2018, avant même d'y jeter le moindre coup d'oeil.
N'ayant finalement de similaire que le pitch initial (à ceci près que l'on délocalise le cadre de Fribourg à Berlin), abandonnant autant les couleurs criardes de la photographie légendaire de Lucano Tovali, que le mystère entourant la version 1977 (dès l'ouverture, la prestigieuse école de danse est montrée comme un lieu menaçant et dangereux), le film, qui a également le bon goût de s'éloigner des canons " contrôlés " et actuels du frissons en salles (avec une profusion de jumps scares etc...) pour privilégier une ambiance angoissante à l'extrême couplée à une violence pure et déstabilisante, légitime en grande partie sa relecture par son exploration de ce qui n'était qu'un détail chez Argento : le cadre et le thème de la danse.



En replaçant l'histoire de son film dans une Allemagne plus marquée (superbe photo très " Fassbinderienne " concoctée par Sayonbhu Mukdeeprom, appuyée par le score mélancolique de Thom Yorke), au contexte social et politique fort (les reliquats du nazisme, la guerre froide, la montée du terrorisme,...), tout en donnant une importance primordiale à l'expression du corps via le parcours mystique et initiatique de son héroïne (Dakota Johnson, plus défendable qu'à l'accoutumer), Guadagnino donne de la matière et de la puissance à sa longue et douloureuse descente aux enfers orchestré en six actes, sur l'aliénation physique et psychologique de femmes (les danseuses du ballet sous le joug des sorcières) et d'une nation (le peuple allemand) en quête de liberté.
Si le parallèle peut s'avérer symboliquement lourd (l'académie est en face du mur de Berlin), il n'en est pas moins aussi pertinent et fascinant que celui offert par Darren Aronofsky pour son brillant Black Swan, épousant lui aussi le surnaturel pour mieux représenter la violence inhumaine du don de soi extrême - et à la limite de l'hérésie -, que l'être humain peut s'infliger pour la beauté d'une performance artistique.
A ceci près que son exploration sur l'ambiguïté humaine, moins schizophrénique, prend d'autant plus de force hypnotique via la présence ensorcelante et glaciale de Madame Blanc (Tilda Swinton, formidable en sosie parfait de la chorégraphe allemande Pina Baush), sorte de vampire se nourrissant autant de ses proies qu'elle leur offre une certaine immortalité dans l'art et l'expression d'elles-mêmes.



Dommage alors au final, au-delà d'un climax beaucoup trop sanglant et dérangeant (pas forcément dans le bon sens du terme), que Guadagnino se perd dans une volonté (prétentieuse ? La question se pose bien là) de trop en faire, comme s'il cherchait à battre son idole sur son propre terrain, en se faisant plus long (quitte à plomber son rythme, notamment avec la sous-intrigue poussive entourant l'enquête du psychologue, franchement dispensable), plus riche (quitte à trop surligner son propos) et plus intellectuel (et donc moins surnaturel et foutraque, au final appuyant très fortement le message sur la responsabilité et la morale face à l'utilisation aveugle et abusive du pouvoir).
Moins choc esthétique et cauchemar intemporel que son illustre ainé, tout autant qu'il est un remake intéressant, radical et prenant dont on pourra toujours discuter la légitimité - mais pas la pertinence -, Suspiria 2018 est une réussite qui rappelle, en grande partie mais pas totalement, la finesse que peut prendre le processus de réappropriation d'une oeuvre quand elle est opérée par un cinéaste impliqué (on pense au récent A Star is Born de Bradley Cooper) et sans doute un brin mégalomane.
On s'attendait à une catastrophe, on en est, heureusement, très loin, même si ce n'est pas pour autant qu'on préfèrera cette relecture viscérale au chef-d'oeuvre original...


Jonathan Chevrier


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