[CRITIQUE] : Anomalisa
Réalisateur : Charlie Kaufman et Duke Johnson
Acteurs : avec les voix de David Thewlis, Jennifer Jason Leigh, Tom Noonan.
Distributeur : Paramount Pictures France
Budget : -
Genre : Animation, Comédie Dramatique.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h31min.
Synopsis :
Michael Stone, mari, père et auteur respecté de « Comment puis-je vous aider à les aider ? » est un homme sclérosé par la banalité de sa vie. Lors d'un voyage d'affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d’échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas l’amour de sa vie…
Critique :
Troublant, ironique et infiniment tragique,#Anomalisa est un objet filmique unique visuellement captivant à la mélancolie bouleversante
— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) January 22, 2016
Force est d'admettre que sans le génie scénaristique quasi-ovniesque de l'inestimable Charlie Kaufman, les loufoqueries si délicieuses qui incarnent les cinémas tout aussi inestimables de Spike Jonze et Michel Gondry, n'auraient certainement pas été reconnus aussi vite à leur juste valeur.
C'est une évidence même, sans les succès de Dans la Peau de John Malkovich et Adaptation pour Jonze, ou de Human Nature mais surtout Eternal Sunshine of The Spotless Mind pour Gondry; les deux bonhommes n'en seraient peut-être pas là ou ils sont aujourd'hui, à savoir deux des cinéastes les plus fascinants et décalés de ces vingt dernières années.
Et n'oublions pas non plus, qu'il aura été l'artisan du premier passage derrière la caméra du désormais respecté George Clooney, avec le brillant script de Confession d'un Homme Dangereux...
Voir donc le Charlie revenir sur grand écran près de huit ans après son méconnu Synecdoche, New-York (qui contait le quotidien angoissé d'un metteur en scène de théâtre campé par le regretté Philip Seymour Hoffman), avec un projet d'animation en stop motion écrit (basé sur une de ses pièces de théâtre) et mise en scène par ses soins - aidé à la réal par Duke Johnson -, incarnait sans l'ombre d'un doute l'un des événements de ce début d'année ciné 2016 qui les compte déjà à la pelle.
Anomalisa, ou l'histoire de Michael Stone, mari, père et auteur respecté de « Comment puis-je vous aider à les aider ? » qui est un homme sclérosé par la banalité de sa vie.
Lors d'un voyage d'affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d'échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas l'amour de sa vie.
Dérangeant et fascinant tout en étant d'une nostalgie bouleversante, Kaufman pousse à la réflexion son spectateur avec une œuvre pertinente et douloureusement ironique sur la question du bonheur et de l'uniformité dans la société contemporaine, osant le parti-pris culotté mais follement malin de faire de ses protagonistes des marionnettes au réalisme troublant; de véritables objets humanisés pour mieux appuyer sa vision du monde actuelle ou l'homme est lui aussi rendu à l'état d'objet/esclave par un capitalisme ambiant qui le ronge de l'intérieur.
Une vie " sous contrôle " ou tout le monde est façonné à la même image (idée ici accentuée par le Syndrome de Fregoli), une existence robotique, gangrenée par la monotonie, abrutie par la technologie de plus en plus évolutive (mais surtout de plus en plus présente et étouffante) et ou la solitude et la tristesse règnent en maitre - le mal de notre époque.
Dans ce sens, difficile de ne pas voir Anomalisa comme un cousin pas si éloigné du merveilleux Her de Spike Jonze, qui lui aussi traitait avec mélancolie de la dépression (les regrets du passé, la routine ennuyeuse du quotidien), de la banalité de la vie d'un antihéros solitaire se lançant dans une quête pleine d'espoir (et également pleine de désillusion), du grand amour.
Là aussi, l'amour incarne une bouée de sauvetage existentielle/renaissance sous les traits d'un coup de foudre sonore via une voix féminine rompant l'aspect ordinaire du quotidien de Michael (le timbre particulier de la merveilleuse Jennifer Jason Leigh n'a rien a envié à la voix suave de ScarJo), avant que la péloche ne se démarque pleinement de son ainé dans sa mise en image d'une intimité réelle et à l'émotion/tendresse palpable, mais surtout dans son traitement pessimiste - et éphémère - du bonheur (avec ces questions phares : le coup de foudre existe t-il réellement ? Le grand amour également ?) au sein d'un cadre théâtrale mais limité - la chambre de Michael.
Troublant, singulier et infiniment tragique, Anomalisa est un objet filmique unique visuellement captivant, une vision réaliste et sans détour sur l'amour et la normalité de la vie aux émotions subtiles et à l'humanisme bouleversant.
Une œuvre surprenante et contrastée qui réunit de manière improbable l'univers poétique de la stop motion cher à Andrew Sellick et Tim Burton et celui des dramédies existentielles du circuit indépendant.
Un grand écart fou mais maitrisé de bout en bout dans ce qui est, sans aucun doute, l'un des films les plus riches et honnêtes de ce début d'année ciné 2016.
Jonathan Chevrier