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[CRITIQUE] : Le Pont des Espions


Réalisateur : Steven Spielberg
Acteurs : Tom Hanks, Mark Rylance, Scott Sheperd, Amy Ryan,...
Distributeur : Twentieth Century Fox France
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h12min.

Synopsis :
James Donovan, un avocat de Brooklyn se retrouve plongé au cœur de la guerre froide lorsque la CIA l’envoie accomplir une mission presque impossible : négocier la libération du pilote d’un avion espion américain U-2 qui a été capturé.



Critique :



Dans la longue liste de cinéastes poisseux, dominé de la tête et des épaules par notre bon vieux Terry Gilliam, qui voient tous les projets - ou presque - qu'ils touchent tomber généralement à l'eau; force est d'avouer que le nom du jadis intouchable Steven Spielberg faisait sacrément tâche depuis quelques mois.

Entre ses déconvenues au pluriel avec les majors Hollywoodiennes (les annulations de Gods and Kings, son biopic sur Moise, ou encore Robocalypse) ou même à son tempérament un brin tatillon (American Sniper, finalement échoué à Clint Eastwood), le papa de E.T. ne semblait plus vraiment capable de développer un long sans que celui-ci ne soit frappé par la poisse, mais surtout que celui-ci se voit heurter par les nouvelles conventions d'une cité du cinéma dans laquelle il ne se reconnait - peut-être - plus (et comme il se plait à le dire dans de nombreuses interviews depuis quelques années).


Un constat assez effrayant sur la condition du cinéma ricain actuel, qui quand il ne se complait pas dans une redite affolante (reboots, remakes, prequels, suites bonjour), boycotte littéralement ses plus grands maitres et orfèvres de la pellicule.
Fort heureusement, toute cette épopée malchanceuse - pour être poli - s'est clôturée de la plus belle des manières avec la mise en route de Bridge of Spies, produit par Spielby himself via Dreamworks, et scripté par les géniaux Joel et Ethan Coen.

Depuis, le Steven est plus boulimique que jamais niveau projets d'envergure (Le Bon Gros Géant actuellement en développement, Ready Player One avec la douce Olivia Cooke, et un hypothétique Indiana Jones 5, toujours avec Harrison Ford) et, ironie du sort, il pourrait même aller chercher quelques petites statuettes dorées en février prochain avec Le Pont des Espions, pour lequel il retrouve Tom Hanks près de dix piges après Le Terminal (leur quatrième collaboration en comptant les merveilleux Il Faut Sauver Le Soldat Ryan et Arrêtes-Moi si tu Peux).

Bridge of... ou l'histoire vraie de James B. Donovan, avocat new-yorkais spécialisé dans les assurances, est engagé à la fin des années 1950 pour défendre Rudolf Abel, un homme discret qui est accusé d'être un espion soviétique.
Comme tout le pays désire et attend une condamnation, ses supérieurs hiérarchiques le poussent à faire le minimum, mais Donovan prend sa mission à cœur.
Si malgré ses efforts il perd le procès, l'avocat évite la peine de mort à son client.
Un an après l'édification du mur, il doit organiser un échange entre Abel et le pilote d'un avion espion américain capturé par l'URSS...


Sans crier gare, le film d'espionnage aura presque été, au milieu des blockbusters vrombissants et des aventures super-héroïques pour une fois étonnement en sourdine,  le genre le plus usé de la saison, entre les franchises bien installées (007 avec 007 Spectre, Mission Impossible avec Rogue Nation), celles en devenir (Kingsman et peut-être Spy) et celles qui auraient aimé le devenir (American Ultra, Agents Très Spéciaux : Code UNCLE).

Le voir clôturer en beauté l'année 2015 sous la caméra génial de Steven Spielberg avait donc tout pour nous allécher au plus haut point, tant il s'était déjà essayer au genre avec maestria par le passé (son immense Munich), tout en s’attardant sur la seconde guerre mondiale et ses conséquences comme peu de cinéastes l'on fait (Il Faut Sauver le Soldat Ryan, La Liste de Schindler et maintenant l'après guerre, avec la Guerre Froide et Bridge of Spies).

Faux film d'espionnage mais vraie mise en image d'un conflit majeur de la WWII construit en deux parties bien distinctes (le procès à New-York puis la mission " d'échange " à Berlin), Le Pont des Espions est un merveilleux thriller tendu et paranoïaque à souhait sur une partie de poker menteur entre des messieurs tout le monde littéralement dépassés par le conflit dans lequel ils se sont engagés, une chronique passionnante questionnant constamment son spectateur sur le sens du patriotisme, de l’extrémisme sécuritaire (la notion d'espionnage et de surveillance de la population, dont la folie des moyens mis en œuvre résonnent douloureusement avec l'actualité) et de l'engagement aussi personnel (même si on reconnait par-ci, par-là quelques dialogues fabuleux signé par les Coen) que critique et d'une densité incroyable.


Joliment enlacé entre les cinémas de Capra et - surtout - Hitchcock (en même temps, l'ombre du Hitch a souvent plané au-dessus des films du cinéaste), drôle mais pas pour autant cynique (Coen oblige), habile mélange des genre à la reconstitution remarquable (le Berlin divisé et enneigé fait froid dans le dos), le métrage est une immersion en pleine Guerre Froide follement humaniste et prenante de bout en bout - et ce dès son ouverture, magistrale -, portée par une mise en scène méchamment maitrisé et inspiré (les scènes brillantes sont légion même si la seconde partie convainc un peu moins) ainsi qu'un jeu d'acteurs remarquable.

Évidemment, outre un Mark Rylance impeccable, c'est l'inestimable Tom Hanks qui vole la vedette parfait dans la peau d'un James Donovan pas si éloigné du Mr Smith de Capra, un héros Spielbergien en puissance  - pas si éloigné de son Oskar Schindler - qui brille bien plus par son verbe et son intelligence que par ses biscottos (en même temps Hanks et les gros muscles hein...).

Littéralement debout entre les deux faces d'un même mur, c'est lui qui incarne le vrai " pont " du titre, lui qui devra s'efforcer à trouver les mots pour mener à bien l'échange entre les espions.


Futur classique en puissance (même si, peut-être, un poil trop long), Le Pont des Espions démontre par A + B que le grand Steven Spielberg n'a décemment rien perdu de son mojo pour mettre en boite des fresques majeurs.

Si les amoureux du cinéma du réalisateur seront comblés, on ne doute pas une seule seconde que l'Académie en fera l'un de ses favoris pour les prochains oscars...


Jonathan Chevrier