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[CRITIQUE] : L'Engloutie

Copyright Take Shelter

Réalisatrice : Louise Hémon
Avec : Galatea Bellugi, Matthieu Lucci, Samuel Kircher, Sharif Andoura,...
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h38min

Synopsis :
1899. Par une nuit de tempête, Aimée, jeune institutrice républicaine, arrive dans un hameau enneigé aux confins des Hautes-Alpes. Malgré la méfiance des habitants, elle se montre bien décidée à éclairer de ses lumières leurs croyances obscures. Alors qu’elle se fond dans la vie de la communauté, un vertige sensuel grandit en elle. Jusqu’au jour où une avalanche engloutit un premier montagnard...




1899. Par une nuit de tempête, Aimée, jeune institutrice républicaine, arrive dans un hameau enneigé, niché aux confins des Hautes-Alpes. Malgré la méfiance des habitants, elle est bien décidée à éclairer de ses savoirs ce qu’elle perçoit comme des croyances obscures. Peu à peu, alors qu’elle s’intègre à la vie de la communauté, un vertige sensuel s’éveille en elle. Jusqu’au jour où une avalanche emporte un premier montagnard…
Librement inspiré de l’expérience réelle d’une institutrice, L’Engloutie est le premier long-métrage de Louise Hémon, artiste pluridisciplinaire ayant déjà œuvré dans le théâtre et le documentaire. Cette expérience transparaît dans sa manière de concevoir le film : un huis clos tendu, porté par un souci du réalisme jusque dans les moindres détails.

Le hameau lui-même devient un personnage à part entière. La neige omniprésente instaure un sentiment d’isolement et de désorientation, renforcé par l’usage du format carré 1.33. Ce cadre resserré ainsi que la neige rendent l’espace difficile à appréhender : les maisons finissent par se ressembler, et les déplacements deviennent ardus. Le danger se fait plus palpable encore lorsque les avalanches surviennent, bouleversant le paysage et provoquant la mort. Le lieu oscille sans cesse entre féerie et menace. L’Engloutie joue avec subtilité sur l’ambiguïté de ce décor de conte de fée.

L’approche réaliste, presque documentaire, confère au film une dimension résolument politique. Louise Hémon situe son récit à la fin du XIXe siècle, en pleine mise en œuvre des politiques de scolarisation de masse - un projet progressiste aux intentions parfois ambivalentes. Car si l’apprentissage universel de la lecture et de l’écriture paraît louable, il s’accompagne aussi d’un mépris sous-jacent envers les cultures régionales. Aimée incarne cette dualité : son intégration au sein du village est complexe, marquée par une peur de l’autre et de la différence, partagée de part et d’autre.

Copyright Take Shelter

Pour incarner ce personnage, la réalisatrice a fait appel à Galatea Bellugi, jeune actrice au visage angélique, récemment remarquée dans Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. Elle y jouait déjà une jeune femme cultivée venue perturber une bromance dans un village. Ici, elle apporte à Aimée l’ambiguïté nécessaire : un personnage tiraillé entre le rationalisme de sa fonction et une forme de mysticisme trouble, qui fait d’elle presque une figure de sorcière à la fois séduisante et inquiétante. La photographie du film accentue cette ambivalence : à l’extérieur, un contraste très marqué ; à l’intérieur, des couleurs désaturées et rougeoyantes, presque envoûtantes.

La sensualité est un élément central du film. Dans ce monde de glace, derrière les différences sociales et une épaisse couche de vêtements, les corps jeunes s’observent, se frôlent, se désirent. Louise Hémon filme ses comédiens avec une grande pudeur, mais sans équivoque ni jugement. Les deux objets du désir d’Aimée, Énoch et Pépin, sont interprétés par Samuel Kircher (L’Été dernier) et Matthieu Lucci (Rapaces, Le Tableau volé), deux jeunes acteurs prometteurs. Ils incarnent avec justesse une relation empreinte de complexité et de tension.

Avec L’Engloutie, Louise Hémon signe un premier long-métrage à la fois sensoriel et politique, qui explore les tensions entre savoir et croyance, désir et interdit. Dans ce huis clos enneigé, les corps, les paysages et les regards deviennent les vecteurs d’un récit aussi intime qu’universel. En redonnant chair à la figure idéalisée de l’institutrice républicaine, la réalisatrice questionne avec justesse les fondements de notre rapport à l’altérité. Un film dense et envoûtant où la beauté et l'étrangeté se côtoient. 


Éléonore Tain