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[CRITIQUE] : Kneecap


Réalisateur : Rich Peppiatt
Acteurs : Móglaí Bap, Mo Chara, DJ Próvai, Michael Fassbender, Simone Kirby, Jessica Reynolds, Adam Best, Josie Walker, Fionnuala Flaherty,...
Budget : -
Distributeur : Wayna Pitch
Genre : Biopic, Musical, Comédie
Nationalité : Irlandais, Britannique.
Durée : 1h45

Synopsis :
Kneecap, groupe de rap irlandais et trio de Belfast devient la figure de proue improbable d'un mouvement de défense des droits civiques visant à sauver leur langue maternelle.




Il y a des films qui sentent bons l'Irlande, comme récemment That they may face the rising sun (non sorti en France), Les banshees d'Inisherin, Le clan des bêtes ou The quiet girl. Le film biographique sur le groupe Kneecap en fait désormais partie. Parce qu'il célèbre quelque chose propre à l'identité culturelle irlandaise. Le trio de rap originaire de Belfast est devenu une figure importante du mouvement de défense des droits civiques, dont l'un des combats consiste à préserver leur langue maternelle qu'est l'irlandais gaélique. Mais il ne faut pas oublier que le film est également une biographie (même si intégrant des éléments fictifs) sur un groupe de musique, et donc se veut tout aussi divertissant. Dans cette énergie déployée où une jeunesse se défoule, elle se rebelle en même temps. Le divertissement de la musique est une occasion de faire passer un fort propos politique. On y trouve les questions des relations entre l'Irlande et la Grande-Bretagne, de l'indépendance de l'Irlande, du scepticisme de la jeunesse sur leur avenir, de l'égalité des chances, et de la place des traditions.

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Dans la lignée de A Hard Day’s Night de Richard Lester (1964), réimaginant la vie des Beatles au sein d'un mouvement culturel qui leur est contemporain, Kneecap repose sur cette même porosité entre le réel et la fiction. Les membres du trio jouent leur propre rôle, brouillant la frontière entre l’autoportrait documentaire et la satire. Le film se nourrit à la fois d'une partie réelle (leur vie, leur parcours) et d'une partie fictive. Ce n’est pas tant l’authenticité qui est recherchée, mais la fidélité à un état d'esprit, à un mode de vie, à une colère. Le film use d’une narration et d'une esthétique qui refusent la monotonie et la limpidité traditionnelles des biographies. Rich Peppiatt préfère les ruptures de ton, les apartés digressifs, et un mélange entre images pop / expérimentales / naturalistes. L'ensemble est comme un jeu de reflets entre ce que les membres du groupe ont vécu, ce qu’ils ont fantasmé, et ce qu’ils veulent transmettre. C’est à la fois un autoportrait déformé et un manifeste politique, où les couches de fiction viennent amplifier la portée symbolique du réel.

Cette idée de superposition se retrouve dans le montage, aux allures chaotique et frénétique, qui évoque une forme de collage de moments forts dans la vie du trio. L'intention peut être perturbante, mais elle participe à un effet presque archéologique. Comme si chaque plan sortait d'une fouille, et venait creuser une mémoire collective — celle d’une Irlande du Nord toujours hantée par ses fantômes. Le film saute d’un registre à l’autre, d’un temps à l’autre, parfois sans prévenir, provoquant une sensation d’ivresse et de trop plein. Mais tout est assumé, minutieusement construit. De même que la photographie, oscillant entre une captation brute et des moments d’hallucination onirique. Dans ce chaos, le mystique (le rapport aux traditions, le pouvoir de la musique, la décadence d'un mode de vie) se mélange au trivial. Beaucoup de scènes trouvent une attraction enivrée avant de revenir à une certaine idée du drame (social, familial, émotionnel, etc). Rich Peppiatt n'hésite pas à passer de néons saturés à des ambiances plus familières / naturalistes. Comme des pauses dans le récit, une respiration où peuvent avoir lieu des dialogues intimes.

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C'est parce que la trivialité d'un quotidien n'est rien d'autre que la source de l'euphorie. C'est souvent bruyant, avec des jeux d'acteur•rice•s outranciers, de l'humour corrosif, des ralentis tels que dans des vidéos clips, des séquences trashs, du verbe cru, des séquences animées et voix-off railleuse / ironique. Mais ce tourbillon n'est jamais gratuit, et malgré son aspect parfois vraiment foutraque. Il traduit un état d’esprit, une rage d’exister plus qu’une volonté de livrer un discours cohérent. Le film Kneecap a peut-être ce défaut de vouloir coller absolument à la personnalité des membres du groupe éponyme, et à ne pas chercher à se distinguer en tant qu'oeuvre unique. Mais tout ce langage du débordement (visuel comme littéraire) suggère que rien n'est programmé, que le groupe est guidé par leurs émotions et leurs convictions. Comme si tout pouvait surgir sans prévenir. Un film presque punk, mais jamais totalement. De plus, s'il faut retenir quelque chose de ce chaos et de la place des traditions, c'est qu'ils reflètent la difficulté de communiquer dans un monde qui impose ses normes. Le père absent, le recours au hip-hop comme langage alternatif, la marginalité volontaire : tout cela devient l’expression d’une parole discordante qui essaie de se frayer un chemin.


Le film n’est peut-être pas un brûlot politique classique ni novateur, mais il embrasse une forme d’authenticité qui lui est propre. Il ne cherche ni à convaincre, ni à moraliser. Il rit de ses ennemis (des personnages conservateurs suggérés comme hypocrites), tourne en ridicule les tenants de la pureté idéologique, puis affiche avec fierté ses références culturelles et sa conscience de classe. Ce n’est pas une quête d’ascension, mais d’affirmation : de l'insolence comme arme, du plaisir comme mode de vie. Le drapeau palestinien dans la chambre d’un des membres, les slogans détournés, les provocations verbales, tout s’inscrit dans une même logique d’opposition joyeuse et rageuse. Tout ce qui compte est la grande énergie qu'il dépeint, à la fois ludique et abrasive, ressemblant quelque peu à The Commitments ou Sing Street avec leurs récits d'adolescents ancrés dans un univers musical émancipateur socialement. Et enfin, son approche rappelle clairement Trainspotting dont il fait parfois référence. Kneecap se distingue dans sa foi en la capacité de la culture à fédérer et à créer une conscience politique. La musique devient une langue commune, grâce à laquelle ressort un esprit de lutte. La profusion d'images y apporte une mémoire collective, celle de l'Histoire et de l'héritage de Belfast.


Teddy Devisme