[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Nouvelle Vague du cinéma hongkongais


Rétrospective Nouvelle Vague du cinéma hongkongais : Women de Stanley Kwan (1985), Boat People (1982) et Love in a Fallen City (1984) d'Ann Hui.

Distributeur : Carlotta Films




Qu'on se le dise, Stanley Kwan n'est pas uniquement un artisan majeur du cinéma romantique : il est réellement romantique, et sa caméra le retranscrit à la perfection.
Il faut dire, le bonhomme ne s'est jamais contenter de raconter de simples histoires d'amours aussi passionnés que contrariés, il a toujours su traduire à la perfection les émotions débordantes qui animent ses personnages sacrifiels, avec une mise en scène tout en mouvement sinueux et virtuose, épousant délicatement l'expression pleine de désir des corps.
Bonne nouvelle, un tout petit peu moins d'un an après une petite ressortie de quelques-uns de ses plus beaux efforts en versions restaurées - Amours Déchus (1986), Rouge (1987), Center Stage (1991) et Lan Yu (2001) -, Carlotta Films, toujours dans les bons coups en ce qui concerne le cinéma asiatique (mais pas que), remet le couvert en dégainant le magnifique Women, aux côtés de Boat People et Love in a Fallen City d'Ann Hui.
La régalade, et pas qu'un peu.

Démarrons justement avec deux des premiers longs-métrages de la prolifique cinéaste derrière les somptueux Neige d'été et Une vie simple, Love in a Fallen City mais surtout Boat People aka Passeport pour l'enfer, qui a fait polémique malgré lui (considéré comme une propagande anti-Vietnamienne et et le Festival de Cannes, en raison des intérêts politiques français au Vietnam, l'a retiré de la compétition officielle de son édition de 1983, tout en le gardant dans sa sélection - il sera simplement projeté hors compét), dernier volet de sa trilogie vietnamienne (qui revenait sur les drames comme les origines autour de la vague croissante d’immigrants illégaux venus du Vietnam, qu'à connu Hong Kong dans les 70s), qui peut se voir comme un instantané vibrant et humain de la situation du pays après la guerre et la prise de pouvoir communiste, capturé à travers le regard - un temps « naïf » - d'un photojournaliste japonais, Shiomi Akutagawa, invité à revenir par le pouvoir en place après sa couverture du conflit, pour donner une (fausse) image au monde extérieur d'une nation post-libération sous contrôle et désormais en paix.

Pas dupe, le bonhomme va vite comprendre la dire vérité des ravages de la violente politique autoritaire en place, notamment au contact d'une famille dont l'existence est aux antipodes de la vie vantée au cœur de la « nouvelle zone économique », et qui voient en lui une possibilité d'évasion...
Sensiblement sans concession (quitte à ne jamais trembler face aux - grosses - effusions de sang) dans sa volonté d'exposer les horreurs terrifiantes et intemporelles de la propagande et de l'oppression étatique (auquel se substitue l'angoisse des incertitudes face à la rétrocession de Hong Kong et de la future transition vers le régime de la république populaire de Chine), mais aussi des dommages générationnels irrémédiables causés par plusieurs décennies de guerre, Hui signe un puissant et angoissant mélodrame au fatalisme dévastateur tant l'expression de cette violence n'est que le symbole d'une confusion face à une unification qui n'a d'unit que le nom.

Plus léger se fait Love in a Fallen City, première adaptation d'une œuvre du monument de la littérature chinoise du XXème siècle, Eileen Chang (que la cinéaste retrouvera la décennie suivante pour Eighteen Springs), et chapeauté sous la houlette de la Shaw Brothers, lui dont l'intrigue se noue quelques heures avant la Bataille de Hong Kong et l'occupation de la région par l'empire du Japon, et suit deux amants maladroits (formidable tandem Chow Yun-Fat et Cora Miao, à l'alchimie assez folle), Bai - divorcée et repliée sur elle-même - et Fan - homme d’affaires extraverti et playboy célibataire -, incertains d'être faits l'un pour l'autre mais dont l'attachement se renforce à mesure que la guerre se fait de plus en plus inéluctable.
Un beau drame romantique psychologiquement fouillé et lancinant, mis en scène avec délicatesse (tout en gros plans au plus près des corps) jusqu'à ce que le troisième acte vienne - littéralement - tout faire exploser en éclats, où Hui place ses âmes blessées au carrefour du conflit entre traditionalisme et conservatisme (se libérer des valeurs et des attentes traditionnelles, sans pour autant se départir des raisons du cœur), tout autant qu'elle met l'amour - censé être plus fort que tout - à l'épreuve face à une société qui impose du jour au lendemain.

Last but not least, cette rétrospective se termine avec Women, premier long-métrage d'un Stanley Kwan qui mettait déjà les femmes à l'honneur, à travers le regard loin d'être binaire mais surtout gentiment mature sur la complexité et les nuances de gris du mariage, vissé sur le portrait touchant du pendant féminin d'un couple au bord du divorce (une nouvelle fois Chow Yun-Fat et Cora Miao, exceptionnels), qui se confronte à la fois à l'immaturité et à la nature puérile de son mari infidèle, et aux fausses joies du célibat et de la solitude profonde qui l'habite.
Avec un doux cynisme aussi 80s que le look de ses personnages, Kwan questionne intelligemment les normes traditionnelles et sociétales, jongle entre humour et détresse profonde et accouche d'une petite pépite de comédie de remariage à la fois affûtée et mélancolique.
La première pierre de ce qui sera une fantastique filmographie.


Jonathan Chevrier



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