[CRITIQUE] : L'invasion
Réalisatrice : Sergei Loznitsa
Acteurs : -
Distributeur : Arte
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Ukrainien, Hollandais, Francais, Américain.
Durée : 2h25min
Synopsis :
Presque suite à Maïdan (2014), comme cette série d'instantanés / ces scènes de vie quotidiennes en Ukraine n'est autre que l'évolution et la suite des événements après les manifestations de l'Euromaïdan en 2013 et 2014. Sauf que Sergueï Loznitsa propose une autre approche, et évite très justement la redite. Pour qui connaît un peu son travail, sait que le cinéaste fait de la situation sociétale et géopolitique de l'Ukraine le coeur de ses films. Que ce soit dans une approche documentaire, ou avec des fictions. Ici, le cinéaste continue son travail documentaire deux ans après The Kiev Trial (2022) et trois ans après Babi Yar Contexte (2021).
La construction de L'invasion fait indubitablement penser au travail documentaire de l'américain Frederick Wiseman, lorsqu'il partait observer des citoyen-ne-s dans leur vie quotidienne, en prises ou non avec des institutions. Même s'il reste possible que Sergueï Loznitsa n'a pas vu ses films ou ne s'en est pas inspiré, et que ce soit à juste titre le fruit de l'évolution de son travail. Mais quand bien même, l'invasion de l'Ukraine par la Russie est abordée par l'impact sur la vie quotidienne de la population, dans toute sa diversité. Sans marqueurs temporels, spatiaux, nominatifs. Tout se confond, se succède, se croise et se répond.
Le cinéaste prend le temps de filmer toutes ces personnes et tout ce qu'ils/elles font. Il laisse également les scènes durer, s'étirer. L'objectif est de capturer la banalité du quotidien, devenant importante à l'échelle d'une vie propre à une personne. Un quotidien rempli de tas de possibilités, grâce à une richesse démographique dépassant le cadre même d'un film. Sergueï Loznitsa s'emploie alors à trouver, dans la durée de chaque séquence, la valeur précieuse de tous ces actes et événements ordinaires. Parce que la vitalité et les émotions sont définitivement ancrées dans ces quotidiens multiples.
Entre mariages, baptêmes, funérailles, prières, danses, bains dans une mer froide, entraînements au tir, ..., tout est question de rituels. Comme si, en temps de guerre et d'invasion qui menace les habitudes quotidiennes, il fallait s'accrocher fermement à toutes ces choses banales et qu'elles deviennent sacrées. L'invasion, que ce soit dans la durée de ses moments de vie ou dans leur succession jusqu'à produire un film de plus de deux heures (ou une série de 28 épisodes), agit comme un geste anthropologique voire archéologique. Mais dans le sens qu'il faut tout sauvegarder et tout passer en revue, dans une forme d'urgence ; qu'il faut tout compiler, rassembler et connecter, comme si la fin de toute chose et la mort étaient imminentes.
Et pourtant, toutes ces personnes filmées semblent vivre dans le calme et l'apaisement. Même si la peur peut s'y cacher, mais elle serait bien contrôlée. Parce que personne ne panique, ni ne s'alarme. Aucune détresse s'apparaît. La vie prend toute la place dans les images, parce qu'elle doit être célébrée. Le film parle bien sûr de la guerre, mais indirectement. La guerre est l'aberration de ce paysage commun. Il n'y a pas le choix de continuer à vivre, avec résilience et détermination. Les soldats sont omniprésents, dans de très nombreuses séquences. Présents dans un coin de l'image, en arrière-plan. Tout comme le son du film est constitué par endroits d'alertes sonores d'attaques aériennes, que les personnes ne semblent même plus entendre tellement c'est devenu habituel.
De même pour les ruines, récurrentes et se fondent dans le paysage comme s'il n'y avait plus rien de choquant. Sergueï Loznitsa montrera toutefois lors de transitions certaines ruines, en plans larges et sans personne dans l'image, comme des anomalies. Jusqu'à percevoir des pièces de vie de logements en immeubles détruites et exposées à l'extérieur. Et pourtant, même si ces bâtiments sont partiellement détruits et percés à l'air extérieur, rien ne semble avoir bougé de place. Dans sa recherche du précieux dans chaque banalité du quotidien, L'invasion semble vouloir dire / montrer que la guerre n'a pas le pouvoir d'effacer tout ce qui est ordinaire, ce qui constitue les rituels du quotidien.
D'autant que dans l'effet cyclique du montage (le film débute avec des funérailles, finit avec des larmes, et au milieu tous ces moments vivifiants du quotidien) suggère que malgré tout ce calme apparent, la tristesse hante chaque image et chaque personne. Sans pour autant être un film de fantômes, car Loznitsa érige que toutes ces personnes existent encore, qu'il y a encore des vies à construire et poursuivre. Que l'avenir n'est pas condamné. C'est en parcourant tout le pays pour constituer toutes ces vignettes, et sans jamais intervenir soi-même (par des entretiens ou des commentaires voix-off), que le cinéaste constate que la survie est juste une question d'instantanés à vivre à fond.
Avec toutes ses nuances aussi agréables que dérangeantes, et le point de vue personnel de Loznitsa s'y fait toujours ressentir. Sans jamais aucune complaisance ou glorification, il n'y a aucune hésitation à intégrer au montage des discours anti russes, des livres brûlés, des écoliers intellectuellement embrigadés, etc. L'invasion montre que tout n'est pas parfait, mais que chaque vie est importante. Parce que quand les bombardements résonnent au loin, il y a encore des âmes qui se nourrissent d'apprentissage, d'amour, d'amitiés, de culture et bien d'autres choses qui les stimulent.
Teddy Devisme
Acteurs : -
Distributeur : Arte
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Ukrainien, Hollandais, Francais, Américain.
Durée : 2h25min
Synopsis :
Par le cinéaste Sergei Loznitsa, une immersion sensible dans la guerre au quotidien en Ukraine à travers une série d’instantanés. De l’intérieur, la vie ordinaire contaminée par la violence et, face à elle, le corps collectif qui résiste.
Il semblait évident qu'il allait s'emparer de l'invasion de l'Ukraine par la Russie depuis mars 2022. Comme dans sa dernière fiction Donbass (2018) ou dans ses court-métrages documentaires les plus récents, Loznitsa élabore son récit avec une suite de vignettes. Celle-ci se construit à nouveau comme des passages de témoins, des échos, alors que chaque séquence est absolument distincte – que ce soit par les personnes et les événements filmés. Et ce montage force à penser que toutes ces vignettes font partie d'un même écosystème : périclité dans Donbass, mais cette fois vivifiant dans L'invasion.
![]() |
Copyright ATOMS & VOID |
La construction de L'invasion fait indubitablement penser au travail documentaire de l'américain Frederick Wiseman, lorsqu'il partait observer des citoyen-ne-s dans leur vie quotidienne, en prises ou non avec des institutions. Même s'il reste possible que Sergueï Loznitsa n'a pas vu ses films ou ne s'en est pas inspiré, et que ce soit à juste titre le fruit de l'évolution de son travail. Mais quand bien même, l'invasion de l'Ukraine par la Russie est abordée par l'impact sur la vie quotidienne de la population, dans toute sa diversité. Sans marqueurs temporels, spatiaux, nominatifs. Tout se confond, se succède, se croise et se répond.
Le cinéaste prend le temps de filmer toutes ces personnes et tout ce qu'ils/elles font. Il laisse également les scènes durer, s'étirer. L'objectif est de capturer la banalité du quotidien, devenant importante à l'échelle d'une vie propre à une personne. Un quotidien rempli de tas de possibilités, grâce à une richesse démographique dépassant le cadre même d'un film. Sergueï Loznitsa s'emploie alors à trouver, dans la durée de chaque séquence, la valeur précieuse de tous ces actes et événements ordinaires. Parce que la vitalité et les émotions sont définitivement ancrées dans ces quotidiens multiples.
Entre mariages, baptêmes, funérailles, prières, danses, bains dans une mer froide, entraînements au tir, ..., tout est question de rituels. Comme si, en temps de guerre et d'invasion qui menace les habitudes quotidiennes, il fallait s'accrocher fermement à toutes ces choses banales et qu'elles deviennent sacrées. L'invasion, que ce soit dans la durée de ses moments de vie ou dans leur succession jusqu'à produire un film de plus de deux heures (ou une série de 28 épisodes), agit comme un geste anthropologique voire archéologique. Mais dans le sens qu'il faut tout sauvegarder et tout passer en revue, dans une forme d'urgence ; qu'il faut tout compiler, rassembler et connecter, comme si la fin de toute chose et la mort étaient imminentes.
![]() |
Copyright ATOMS & VOID |
Et pourtant, toutes ces personnes filmées semblent vivre dans le calme et l'apaisement. Même si la peur peut s'y cacher, mais elle serait bien contrôlée. Parce que personne ne panique, ni ne s'alarme. Aucune détresse s'apparaît. La vie prend toute la place dans les images, parce qu'elle doit être célébrée. Le film parle bien sûr de la guerre, mais indirectement. La guerre est l'aberration de ce paysage commun. Il n'y a pas le choix de continuer à vivre, avec résilience et détermination. Les soldats sont omniprésents, dans de très nombreuses séquences. Présents dans un coin de l'image, en arrière-plan. Tout comme le son du film est constitué par endroits d'alertes sonores d'attaques aériennes, que les personnes ne semblent même plus entendre tellement c'est devenu habituel.
De même pour les ruines, récurrentes et se fondent dans le paysage comme s'il n'y avait plus rien de choquant. Sergueï Loznitsa montrera toutefois lors de transitions certaines ruines, en plans larges et sans personne dans l'image, comme des anomalies. Jusqu'à percevoir des pièces de vie de logements en immeubles détruites et exposées à l'extérieur. Et pourtant, même si ces bâtiments sont partiellement détruits et percés à l'air extérieur, rien ne semble avoir bougé de place. Dans sa recherche du précieux dans chaque banalité du quotidien, L'invasion semble vouloir dire / montrer que la guerre n'a pas le pouvoir d'effacer tout ce qui est ordinaire, ce qui constitue les rituels du quotidien.
D'autant que dans l'effet cyclique du montage (le film débute avec des funérailles, finit avec des larmes, et au milieu tous ces moments vivifiants du quotidien) suggère que malgré tout ce calme apparent, la tristesse hante chaque image et chaque personne. Sans pour autant être un film de fantômes, car Loznitsa érige que toutes ces personnes existent encore, qu'il y a encore des vies à construire et poursuivre. Que l'avenir n'est pas condamné. C'est en parcourant tout le pays pour constituer toutes ces vignettes, et sans jamais intervenir soi-même (par des entretiens ou des commentaires voix-off), que le cinéaste constate que la survie est juste une question d'instantanés à vivre à fond.
![]() |
Copyright ATOMS & VOID |
Avec toutes ses nuances aussi agréables que dérangeantes, et le point de vue personnel de Loznitsa s'y fait toujours ressentir. Sans jamais aucune complaisance ou glorification, il n'y a aucune hésitation à intégrer au montage des discours anti russes, des livres brûlés, des écoliers intellectuellement embrigadés, etc. L'invasion montre que tout n'est pas parfait, mais que chaque vie est importante. Parce que quand les bombardements résonnent au loin, il y a encore des âmes qui se nourrissent d'apprentissage, d'amour, d'amitiés, de culture et bien d'autres choses qui les stimulent.
Teddy Devisme
Post Comment