[CRITIQUE] : Black Box Diaries
Réalisatrice : Shiori Ito
Actrice : Shiori Ito.
Distributeur : Art House
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Japonais, Britannique, Américain.
Durée : 1h42min
Synopsis :
Depuis 2015, Shiori Itō défie les archaïsmes de la société japonaise suite à son agression sexuelle par un homme puissant, proche du premier ministre. Seule contre tous et confrontée aux failles du système médiatico-judiciaire, la journaliste mène sa propre enquête, prête à tout pour briser le silence et faire éclater la vérité.
Quand bien même le mouvement #MeToo a vu son importance se confronter à la fois aux failles et à l'empathie - toute aussi fuyante - des rouages de la justice, comme d'une culture du moment qui vient chasser tout combat pour un autre plus bruyant après l'avoir passablement décomposé, ses avancées restent toujours aussi palpables : les paroles se libèrent un peu plus (à défaut d'être toujours écoutées et comprises, certes), et la valeur à démasquer les dynamiques de pouvoir, pas uniquement liées au carcan patriarcal, à pointer les inégalités d'un écosystème toxique et capitaliste, autodestructeur et déshumanisé où chaque avancée vers le bon sens, doit indubitablement naître d'un traumatisme.
Et de traumatisme, comme d'universalité des maux et de toxicité, il en est sensiblement question avec le percutant et essentiel documentaire Black Box Diaries, premier effort douloureusement personnel de la journaliste Shiori Ito qui démontre que le mal(e) n'est pas qu'une simple question de culture, de traditions et encore moins de continent, et que l'omerta comme l'impunité des structures de pouvoir sont des similarités qui unissent tous les pays du monde.
Avec un courage et une résilience incroyable, elle compile dans la langue de Shakespeare (une manière subtile de s'opposer aux normes imposées aux femmes au Japon) et dans un style purement journalistique toutes les étapes qui ont suivi son viol dans un hôtel de Shibuya par l'un des journalistes les plus influents du Japon, Noriyuki Yamaguchi, alors qu'elle était journaliste à la section politique internationale chez Thomson Reuters.
![]() |
Copyright 2023 Star Sands Cineric Creative Hanashi Films |
Au péril de sa vie, elle capture avec une vérité criante tous les spectres de sa lutte aux douloureux contours de lente descente aux enfers, comme elle questionne toutes les incohérences et les contradictions d'une société (pas uniquement l'institution judiciaire) qui a invisibilisé sans remords son calvaire, un silence de plomb renforcé par l'amitié affirmée de Yamaguchi avec le Premier ministre Shinzo Abe.
Tragique victime d'un système (beaucoup trop) familier où l'déologie et les intérêts passent continuellement avant l’humanité (un simple bouton de chemise déboutonné lors de sa première déclaration publique, reviendra presque à remettre en cause son discours), Shiori Ito a décidé de contre-attaquer et d'éveiller l'opinion publique avec la seule arme en sa possession - la vérité des faits -, tout d'abord par l'écriture (Black Box : The Memoir That Sparked Japan's #Metoo Movement), première pierre de son coup de pression sur des institutions ne pouvant faire l'autruche face au poids des preuves (mais qui servira aussi de pilier pour libérer la parole d'autres victimes), et donc par le septième art avec un documentaire à la lisière du thriller, dense et captivant.
Un remarquable et poignant objet cinématographique la fois publiquement essentiel et intimement thérapeutique, qui ne mènera pas forcément Ito sur la voie de la guérison, mais l'impose déjà comme un magnifique exemple de résilience et de courage.
Sans l'ombre d'un doute, l'une des séances les plus importantes du moment.
Jonathan Chevrier