[ENTRETIEN] : Entretien avec Louise Courvoisier (Vingt dieux)
© Dorian Prost / Paris Match // © Les Films du Losange // © Pyramide Distribution |
Avec son premier long-métrage
liant maturité masculine et création de Comté, Louise Courvoisier a su attirer
les regards des critiques. À raison : Vingt dieux est un
film rafraîchissant, drôle et tendre qui filme le Jura avec beaucoup de cœur.
Voilà donc de quoi nous motiver à discuter avec cette réalisatrice à suivre
absolument.
Je voulais parler de cette jeunesse rurale dont on ne parle pas beaucoup et qu’on ne voit pas souvent. On a plutôt tendance à la cacher. J’avais ici envie de faire un film hommage sur eux, sans avoir à les cacher sans embellir non plus. - Louise Courvoisier
Pour commencer, d’où est venue
cette envie de créer Vingt dieux ?
Louise Courvoisier : J’ai
grandi dans le Jura dans un petit village qui s’appelle Cressia, je suis partie
faire mes études à Paris puis Lyon avant de revenir vivre là-bas et j’avais
envie d’inscrire mon premier film sur ce territoire où j’ai grandi, où j’habite
toujours et qui est important pour moi. Je voulais parler de cette jeunesse
rurale dont on ne parle pas beaucoup et qu’on ne voit pas souvent. On a plutôt
tendance à la cacher. J’avais ici envie de faire un film hommage sur eux, sans
avoir à les cacher sans embellir non plus. Je voulais parler d’eux et c’est de
là que c’est venu. J’avais envie d’inscrire le film dans le territoire à tel
point que le Comté, qui est une spécialité régionale et qui fait vivre de
nombreux agriculteurs de la région, fasse vraiment partie de l’intrigue du
film.
Comment filmer ce Jura et capter
cette ruralité ?
Il y a plusieurs approches. Il y
a des choses sur lesquelles je ne voulais pas tricher. J’avais envie
d’authenticité, notamment au casting. J’ai travaillé avec des non
professionnels car je voulais cette rencontre entre le public et les gens de la
région, leur accent, leur manière de bouger et de parler. Je n’avais pas du
tout envie de tricher à cet endroit-là mais, à l’inverse, je voulais mettre un
peu de fantasme dans cette ruralité, ne pas la filmer de manière trop réaliste
et naturaliste. J’avais envie de m’autoriser une esthétique un peu western, en
mettant en valeur ces personnalités qu’on voit peu, ces visages qui ont parfois
du vécu sans cacher leurs aspérités et, au contraire, les magnifiant un peu.
C’est un mélange d’endroits d’authenticité, qui étaient importants pour moi, et
des endroits de fantasme pour leur offrir du cinéma et pas un documentaire ou
une chronique.
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C’est intéressant car vous
utilisez cette lumière naturelle mais en même temps on sent en permanence ce
réel sublimé…
C’est vrai qu’on a travaillé une
esthétique comme ça assez brute. L’idée était de trouver quelque chose de
radical, de très fort niveau lumière mais qui n’empêche pas d’avoir des partis
pris esthétiques forts, notamment dans l’utilisation d’une optique à
l’ancienne, anamorphique russe des années 70 qui permet d’avoir ce rendu
charnel, organique, donnant l’impression qu’on a tourné en pellicule de manière
différente. On voulait en tout cas que ce soit beau, lumineux et solaire.
C’est un récit de maturité, pas
seulement du fromage mais aussi de votre personnage principal. Comment
avez-vous développé ce lien et cette évolution ?
Oui, j’ai essayé que ce ne soit
pas trop classique car je voulais parler de cet âge de bascule entre
l’adolescence et les responsabilités de l’âge adulte en gardant plein
d’endroits de naïveté, de contradictions et de contrastes aussi. J’aime bien
l’idée de montrer des portraits nuancés de l’humain, pas juste une facette mais
une pluralité de facettes qui donne aussi de la complexité au personnage et de le
faire évoluer. J’avais envie qu’il soit différent à la fin mais avec ses outils
à lui. Je n'avais pas envie d’être volontariste dans cette manière d’évoluer
mais quelque chose qui appartienne à ce personnage, avec ses ressources et ses
outils. Je ne voulais pas calquer un parcours tout fait sur ce personnage qui
est assez atypique. Donc j’ai en effet travaillé à cette évolution en essayant
d’être le plus proche sur ce personnage.
Est-ce que c’était un défi
finalement d’intégrer cette création du fromage dans votre film ?
C’était un vrai défi de filmer une fabrication de fromage parce que je crois que ça n’a jamais été fait et qu’on n’a donc pas une méthode évidente pour filmer ça, contrairement à des voitures qui se foncent dessus où on a l’habitude. Filmer du fromage est plus difficile. On a travaillé étroitement avec des agriculteurs et des fromagers pour essayer de voir comment on voulait le faire, ce qu’on voulait filmer et avec quels outils. On a finalement décidé de tourner cela de manière documentaire car je voulais vraiment avoir cette complicité entre Totone et sa petite sœur, qu’on sente la concentration autour du fromage et entrer dans la matière. Pour ça, on a décidé de faire un vrai fromage. C’était en tout cas difficile d’en faire un objet de cinéma parce que c’est tellement inhabituel. On a décidé d’y aller petit à petit, d’apprendre à son niveau et de le suivre dans son évolution vis-à-vis du fromage. Au début, on ne comprend pas tout, on est loin de la matière. Plus ça avance et plus il devient méticuleux avec les gestes et nous aussi, ce qui nous permet de rentrer dans cette fabrication et cette gestuelle.
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C’est votre premier long-métrage.
Comment avez-vous passé cette étape par rapport à vous courts ?
J’ai eu un court qui m’a permis
d’aller plus vite que d’autres dans le sens où mon court-métrage de fin
d’études a remporté le premier prix de la cinéfondation au festival de Cannes,
ce qui m’a permis de rencontrer de nombreux producteurs intéressés de
travailler avec moi sur mon premier long. Ça a accéléré un peu ce processus car
je n’ai pas eu à enfoncer les portes, elles se sont ouvertes à moi. J’ai eu
beaucoup de chance sur ce démarrage. Ensuite, ça a été un travail beaucoup plus
long que sur un court avec plus de temps sur l’écriture, la préparation, … Il
faut être plus endurant en fait. Après, ça n’a pas été un problème pour moi car
j’aime travailler en profondeur et aller dans les détails. Du coup, le
long-métrage me convenait bien parce que plus on avance dans le temps, plus le
projet s’affine. Ça ne me fait pas peur de passer 5 ans sur un projet. Je ne me
suis jamais lassée de mon sujet. Ce n’était pas à cet endroit-là que le film a
été un défi pour moi mais plutôt sur les questions à propos de la faisabilité
du film. Le financement s’est fait grâce à de la persévérance et un bon
accompagnement de ma productrice.
En parlant de réception, le film
est passé à Cannes, vous avez été nommée pour le prix Louis Delluc du meilleur
premier long. Quel est votre regard sur ce début de parcours du film ?
Ça commence à faire un moment qu’on voyage avec car on a fait la première projection à Cannes. Ça s’est très bien passé avec un beau démarrage pour le film. Il y a eu beaucoup de curieux qui ont aimé donc c’était une belle surprise. On a enchaîné avec le festival d’Angoulême fin août où on a eu la plus haute distinction, ce qui a apporté un autre coup de projecteur au film. C’est vrai que cela aide car, sinon, il n’y a pas beaucoup de raisons pour que le grand public s’intéresse à ce film : il n’y a pas un casting connu, c’est mon premier film, … C’est assez difficile d’exister dans le paysage du cinéma. Ça nous a permis d’être bien exposés et mis en valeur. On a déjà fait une tournée internationale assez importante avec pas mal de projections et beaucoup de réactions très différentes. Pour le moment, ce ne sont que des bonnes surprises. C’est vrai que je ne m’en rends pas compte car c’est mon premier film et que j’ai l’impression que c’est la norme mais je sais que ce n’est pas forcément le cas que ça marche aussi bien. Et vu que je n’ai aucune attente et que je n’ai pas envie d’atteindre les étoiles, chaque nouveau prix ou bonne nouvelle me ravit sans que je ne m’y sois attendue. Je prends les choses une par une jusqu’à la sortie et j’essaie de comprendre ce qui m’arrive, ce qui n’est pas toujours facile ! (rires)
J’ai l’impression que de plus en
plus de films français assument leur aspect régional comme Animale ou encore Miséricorde. Comment voyez-vous
cette évolution ?
C’est vrai qu’il y a un mouvement
d’un cinéma plus rural et tant mieux. Ça va devenir un vrai décor de cinéma
alors que ça surprend encore pour le moment. Au bout d’un moment, cela va
devenir de la fiction avec ses histoires. Tous ces films-là sont très
différents les uns des autres donc ce qui surprend, c’est de voir ces décors
inhabituels dans le cinéma français et que ça se remarque. Tant mieux que ça
prenne de plus en plus d’ampleur mais je crois que ce sera encore mieux quand
il n’y aura plus besoin de l’identifier tant ça nous paraîtra être une arène
comme une autre de cinéma. C’est vrai qu’il y a un mouvement et c’est drôle car
ça paraît inconscient. J’ai l’impression que ça vient du fait qu’il y a
beaucoup plus de réalisateurs et réalisatrices qui viennent de ces milieux-là
aussi ou alors un hasard.
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Comment se sont passées vos
conversations avec vos deux acteurs principaux, notamment sur les scènes plus
intimes ?
On s’est déjà très bien préparés
en discutant beaucoup au casting. On a beaucoup parlé de ce qui leur faisait
peur ou moins dans le film. Après, les scènes d’intimité sont des scènes aussi
difficiles pour des acteurs professionnels. Elles sont très délicates et il
faut bien les préparer, quelque chose dont j’avais bien conscience. Je ne
voulais pas juste les amener sur le tournage et leur demander de faire des
choses comme ça sans préparation. On a donc tout chorégraphié avant même de le
faire avec eux. On avait une coordinatrice d’intimité qui travaillait avec
nous, on a fait le découpage en sachant ce qu’on allait filmer et voir
exactement. Du coup, tout était déjà calé pour qu’on ait le moins de flou
autour de ces scènes. Il y a des choses que j’ai coupées du scénario car elles
les mettaient mal à l’aise. On a réadapté et réécrit des scènes pour eux. Ils
sont très différents l’un de l’autre mais je sais que ce sont des relations
très importantes que je devais avoir avec Clément et Maïwène pour bien les
accompagner dans ces scènes-là et dans d’autres.
Est-ce qu’il y a une dernière
chose que vous voulez ajouter pour clore cet entretien ?
Ce qui m’a beaucoup touché, c’est
que durant la tournée Jurassienne -car on a montré le film dans des salles des
fêtes pour les agriculteurs de la région et emmené le cinéma là où il n’y en a
pas du tout-, il y a eu une vieille dame de 90 ans qui a levé la main à la fin
d’une projection et qui m’a dit merci pour ce rôle d’agricultrice et ce personnage
de Marie-Lise parce qu’elle lui a fait du bien. Elle avait déjà vu le film une
première fois et était retournée le voir. Elle n’a pas arrêté de penser au
personnage après la première séance et m’a dit que ça lui faisait du bien,
cette agricultrice, sans qu’elle ne sache dire pourquoi. Elle m’a fait un
discours qui m’a fait très plaisir car ce n’était pas quelqu’un déjà
sensibilisé à la question du féminisme ou aux sujets actuels. Entendre de cette
vieille dame agricultrice que ce personnage lui a fait du bien, c’était une
vraie récompense et un moment magique pour moi.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Valérie Depreeuw pour cet
entretien.