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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Le Dernier des Mohicans


Réalisateur : Michael Mann
Acteurs : Daniel Day-Lewis, Wes Studi, Madeleine Stowe, Russell Means, Eric Schweig, Jodhi May,...
Distributeur : Splendor Films
Budget : -
Genre : Action, Aventure, Romance.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h54min.

Date de sortie : 26 août 1992
Date de ressortie : 25 décembre 2024

Synopsis :
1757. Troisième année de guerre entre la France et l’Angleterre. Trois hommes. Les derniers d’un peuple en extinction, à la frontière de l’Hudson.



Critique :



Si l'on a une tendance assez marquée à qualifier Michael Mann de tous les superlatifs possibles - et amplement mérités -, lui qui fait partie d'une petite élite de cinéastes que l'on peut pleinement considérer comme des artistes à part entière, c'est avant tout et surtout parce que le bonhomme pense ses films comme de véritables expériences à part entière, dans lesquelles le spectateur peut voyager à sa guise encore et encore, parce que la moindre image, le moindre plan est façonné avec une intention, un but bien précis; chaque thème est développé, élevé à un niveau que rares sont capables d'atteindre.
Un film de Michael Mann, qu'on le considère inférieur à un autre où non dans un jeu des comparaisons parfois stupide mais surtout affreusement putassiers (on a le droit d'avoir tort), n'est pas un film comme les autres.

Même une œuvre " oubliée " telle que Le Dernier des Mohicans, rarement citée dans les hauts faits du bonhomme, lui qui quittait les mégalopoles pour les grands espaces d'une " terre de la liberté " meurtris à jamais par la guerre coloniale, pour mieux croquer un bijou de western épique et brutal s'autorisant même un romantisme tout droit sortie des proses lyriques de Jane Austen; vissé qu'il est sur les aléas, en pleine guerre de la Conquête et dans la province de New York, des trois derniers représentants du peuple des Mohicans (dont un orphelin européen adopté, Nathanael Poe aka « Œil de faucon », campé par un puissant Daniel Day-Lewis), chargés de protéger les filles d'un colonel britannique, alors que les français, soutenus sur place par le peuple Hurons et le brutal Magua (immense Wes Studi), se battent contre les britanniques.

In fine moins adaptation du roman éponyme de James Fenimore Cooper, que relecture de l'adaptation faite par Philip Dunne pour le film de George B. Seitz, dégainé dans le creux de la vague des épopées historiques/westerns révisionnistes made in Hollywood, le film n'a pourtant rien à voir avec un Danse avec les Loups où un Little Big Man (et, dans une moindre mesure, 1492, Christophe Colomb), tant Mann ne parle jamais vraiment de guerre au sens propre du terme, lui préférant le chaos de l'homme et de ses conflits inexorable avec l'autre - sans jamais prendre aucun parti.
Si affrontement il y a (réaliste et brute, jusque dans sa gestion sonore d'un réalisme incroyable), cela ne concerne ni les nations ni la politique : c'est une affaire d'hommes, aux allégeances et aux motivations disparates (l'amour pour Poe comme pour Uncas, la famille - donc aussi, l'amour - pour Chingachgook, la vengeance pour Magua, l'avidité pour les colons), et à qui les élans - inéluctables - de modernité de toute une nation/monde, ne leur sied guère puisque littéralement en contradiction avec leurs principes.

© 2024 Splendor Films. Tous droits réservés.

Une sensibilité loin d'être anodine, puisqu'elle permet au cinéaste de supplanter la simplicité de son histoire, de la transcender même dans ses éléments en apparences douloureusement superficielle : pour preuve la romance silencieuse et absolument déchirante entre Uncas et Alice, qui ne s'échangeront aucun mot - nul besoin - jusqu'à leur trépas tragique, la seconde se jetant du haut d'une falaise pour le rejoindre, alors qu'il vient d'être poignardé par Magua, qui a ensuite poussé son corps dans le vide (les quinze dernières minutes du film, absolument dantesque, font clairement partie des plus belles de la filmographie de Mann).

Mais la plus belle réussite de Mann est d'avoir su marier, plus que pour n'importe qu'elle autre de ses œuvres, la beauté de ses images à l'intensité d'une bande originale aux sonorités celtiques entraînantes, qui répond à la perfection au rythme de plus en plus frénétique de l'histoire, souligne ses silences essentiels, complète plus qu'elle ne guide une émotion à fleur de peau (une urgence qui colle, justement, au travail titanesque assuré en peu de temps par Trevor Jones - puis Randy Edelman -, qui a dû bazardé ses morceaux électroniques pour une musique plus orchestrale).

Comme s'il avait consciemment dévié des codes du néo-noir brut qui ont fait sa gloire, pour voguer dans un élan harmonieux vers la pureté d'un western épique et lyrique filmé avec la même urgence (le final et sa course-poursuite fantastique grimpant crescendo en tension comme en émotion, trouvera une déclinaison toute aussi grandiose dans Heat, trois ans plus tard), Michael Mann, certes plus à l'aise dans les mégalopoles bondées que dans des grands espaces majestueux et sauvages, contemple avec mélancolie le crépuscule d'un peuple tout en arrivant, sans forcer, à faire transpirer la puissance de la liberté de tous les pores de sa pellicule.
Un put*** de grand film, rien de moins.


Jonathan Chevrier