[CRITIQUE] : Limonov, la balade
Réalisateur : Kirill Serebrennikov
Acteurs : Ben Whishaw, Viktoria Miroshnichenko, Tomas Arana, Corrado Invernizzi,...
Distributeur : Pathé Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Italien.
Durée : 2h13min.
Synopsis :
Militant révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut tout à la fois un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, telle une traînée de soufre, est une ballade à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au coeur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle.
Critique :
Quand bien même une proposition du cinéaste russe Kirill Serebrennikov s'attend avec un minimum d'impatience, il arrive parfois que sa singularité exacerbée vienne placer une sorte de couille dans son potage filmique, faisant passer son plat de potentiel met divin à une potentielle toujours, ragougnasse qui pique l'estomac et titille le fondement (on appelle ça de la poésie, tout simplement).
Alors non, nous sommes loin de l'idée d'affirmer que son Liminov, la balade, véritable popote européenne à tous les niveaux (tourner en langue anglaise est à la fois une force et une faiblesse), adoubée par la dernière Croisette cannoise (où le bonhomme est définitivement chez lui) et adapté de la biographie controversée écrite par Emmanuel Carrère sur l'écrivain, poète, activiste et homme politique russe Eduard " Limonov " Veniaminovich (par un Pawel Pawlikowski dont on a connu la plume plus inspirée par le passé); n'est que déconvenue, n'exagérons rien, mais la déception à sa vision n'en est pas moins férocement présente, notamment en comparaison des précédents efforts du bonhomme.
De la vie bigger than life de son sujet - comme du roman -, Serebrennikov ne s'intéresse que d'une partie bien précise, se concentrant principalement sur le séjour du poète à New York dans les 70s puis son retour dans la Russie de la Perestroïka, jusqu'à la fondation du parti ultranationaliste, laissant de côté plusieurs étapes clés de son histoire (la création d'un parti opposant dans la Russie de Poutine, sous prétexte de défendre le bolchevisme; le fait qu'il combatte en Serbie aux côtés de Radovan Karadzic; l'absence totalement incompréhensible de Poutine de l'histoire,...) tout autant que l'idée même de se servir de son parcours, de sa dimension politique du personnage et sa dialectique avec l'Histoire, comme d'un miroir concave de la Russie sur près d'un demi-siècle.
Ses intentions sont toutes autres mais pas moins intéressantes dans ce qu'elles convoquent, volontairement où non, tant sa fascination presque perverse pour le personnage accouche tout autant d'une sorte d'autoportrait pervers du cinéaste lui-même (tous deux sont in fine, des artistes maudits, parias du régime en place, à la fois persécutés mais adulés hors de leurs terres), que d'un anti-biopic étrange bien que formellement grandiose, sur une figure antipathique qu'il dépeint avec - paradoxalement - empathie dans toutes ses abjections, de ses accès de colère à sa jalousie possessive en passant par ses violences sexuelles où encore ses idées politiques fanatiques.
C'est un personnage détestable oui, mais c'est parce que c'est un génie fou anarchique et amoureux... d'accord.
Un Limonov qu'il cherche à présenter comme un héros anticonformiste affrontant le monde, mais qui n'apparaît uniquement où presque, comme réduit à un visage vaniteux, querelleur et mégalomane (un homme qui veut à tout prix conquérir le monde, quitte à embrasser sans réserve le mal), à la lisière de l'unidimensionnel si l'on ne percait par l'accent méta imposé par Serebrennikov lui-même (un pacte méphistophélien où il s'amourache de ses excès comme pour mieux exprimer les siens ?), et qui serait même bien pâle sans la partition impliqué d'un Ben Whishaw qui en porte tous les masques - même s'il l'enferme dans la langue de Shakespeare.
Un (auto)portrait surprenant donc (et sans réel positionnement au sein de l'échiquier idéologique complexe de la Russie d'hier et d'aujourd'hui, même s'il fustige parfois les dérives du capitalisme), catapulté dans un cadre sur-iconisé mais à la force visuelle indéniable, notamment dans sa grosse moitié New-yorkaise où le cinéaste convoque, sous les rythmes entêtants de la musique de Lou Reed, le même pouls dynamique et renversant de Leto, avec ses transitions folles tout en plans-séquences comme sa manière poétique et brute de sublimer l'intensité des corps brûlants.
Si le vertige visuelle est là, on pourra tout de même regretter que Serebrennikov patine, se perd de manière obsessionnelle face à l'aura imposante du personnage et de sa relation colérique avec le monde.
Du cinéma virtuose et éreintant donc, baroque et contradictoire, fait pour diviser... tant mieux ?
Jonathan Chevrier
Acteurs : Ben Whishaw, Viktoria Miroshnichenko, Tomas Arana, Corrado Invernizzi,...
Distributeur : Pathé Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Italien.
Durée : 2h13min.
Synopsis :
Militant révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut tout à la fois un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, telle une traînée de soufre, est une ballade à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au coeur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle.
Critique :
Si le vertige visuelle est définitivement là avec #LimonovLeFilm, on pourra tout de même regretter que Serebrennikov patine, se perd de manière obsessionnelle face à l'aura imposante de son personnage profondément antipathique et mégalomane, et sa relation colérique avec le monde pic.twitter.com/cdOtx9sIMY
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 4, 2024
Quand bien même une proposition du cinéaste russe Kirill Serebrennikov s'attend avec un minimum d'impatience, il arrive parfois que sa singularité exacerbée vienne placer une sorte de couille dans son potage filmique, faisant passer son plat de potentiel met divin à une potentielle toujours, ragougnasse qui pique l'estomac et titille le fondement (on appelle ça de la poésie, tout simplement).
Alors non, nous sommes loin de l'idée d'affirmer que son Liminov, la balade, véritable popote européenne à tous les niveaux (tourner en langue anglaise est à la fois une force et une faiblesse), adoubée par la dernière Croisette cannoise (où le bonhomme est définitivement chez lui) et adapté de la biographie controversée écrite par Emmanuel Carrère sur l'écrivain, poète, activiste et homme politique russe Eduard " Limonov " Veniaminovich (par un Pawel Pawlikowski dont on a connu la plume plus inspirée par le passé); n'est que déconvenue, n'exagérons rien, mais la déception à sa vision n'en est pas moins férocement présente, notamment en comparaison des précédents efforts du bonhomme.
Copyright Andrejs Strokins |
De la vie bigger than life de son sujet - comme du roman -, Serebrennikov ne s'intéresse que d'une partie bien précise, se concentrant principalement sur le séjour du poète à New York dans les 70s puis son retour dans la Russie de la Perestroïka, jusqu'à la fondation du parti ultranationaliste, laissant de côté plusieurs étapes clés de son histoire (la création d'un parti opposant dans la Russie de Poutine, sous prétexte de défendre le bolchevisme; le fait qu'il combatte en Serbie aux côtés de Radovan Karadzic; l'absence totalement incompréhensible de Poutine de l'histoire,...) tout autant que l'idée même de se servir de son parcours, de sa dimension politique du personnage et sa dialectique avec l'Histoire, comme d'un miroir concave de la Russie sur près d'un demi-siècle.
Ses intentions sont toutes autres mais pas moins intéressantes dans ce qu'elles convoquent, volontairement où non, tant sa fascination presque perverse pour le personnage accouche tout autant d'une sorte d'autoportrait pervers du cinéaste lui-même (tous deux sont in fine, des artistes maudits, parias du régime en place, à la fois persécutés mais adulés hors de leurs terres), que d'un anti-biopic étrange bien que formellement grandiose, sur une figure antipathique qu'il dépeint avec - paradoxalement - empathie dans toutes ses abjections, de ses accès de colère à sa jalousie possessive en passant par ses violences sexuelles où encore ses idées politiques fanatiques.
C'est un personnage détestable oui, mais c'est parce que c'est un génie fou anarchique et amoureux... d'accord.
Un Limonov qu'il cherche à présenter comme un héros anticonformiste affrontant le monde, mais qui n'apparaît uniquement où presque, comme réduit à un visage vaniteux, querelleur et mégalomane (un homme qui veut à tout prix conquérir le monde, quitte à embrasser sans réserve le mal), à la lisière de l'unidimensionnel si l'on ne percait par l'accent méta imposé par Serebrennikov lui-même (un pacte méphistophélien où il s'amourache de ses excès comme pour mieux exprimer les siens ?), et qui serait même bien pâle sans la partition impliqué d'un Ben Whishaw qui en porte tous les masques - même s'il l'enferme dans la langue de Shakespeare.
Copyright Andrejs Strokins |
Un (auto)portrait surprenant donc (et sans réel positionnement au sein de l'échiquier idéologique complexe de la Russie d'hier et d'aujourd'hui, même s'il fustige parfois les dérives du capitalisme), catapulté dans un cadre sur-iconisé mais à la force visuelle indéniable, notamment dans sa grosse moitié New-yorkaise où le cinéaste convoque, sous les rythmes entêtants de la musique de Lou Reed, le même pouls dynamique et renversant de Leto, avec ses transitions folles tout en plans-séquences comme sa manière poétique et brute de sublimer l'intensité des corps brûlants.
Si le vertige visuelle est là, on pourra tout de même regretter que Serebrennikov patine, se perd de manière obsessionnelle face à l'aura imposante du personnage et de sa relation colérique avec le monde.
Du cinéma virtuose et éreintant donc, baroque et contradictoire, fait pour diviser... tant mieux ?
Jonathan Chevrier