[ENTRETIEN] : Entretien avec Laetitia Dosch (Le procès du chien)
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Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Laetitia Dosch s’attaque à une comédie mordante et plus nuancée que son pitch gagesque pouvait l’annoncer. La conversation qui suit s’avère alors aussi pétillante et réfléchie que son film, entre travail avec Kody, attente pour le nouveau film de Coralie Fargeat et évolution du cinéma français.
C’est une spectatrice de Hate, mon spectacle avec le cheval, qui m’a raconté une histoire sur un procès tournant autour d’un chien, enfin de son maître. Le chien avait mordu trois fois et le procès avait mis le feu à la ville. Ça m’a intéressé et fait dire que ça pouvait être une chouette comédie... - Laetitia Dosch
D’où est venue l’idée du
film ?
J’ai écrit des pièces de théâtre,
je dirais 6 ou 7, et j’en ai écrit une où j’étais sur scène avec un cheval, ça parlait
déjà des mêmes thèmes en fait. Un producteur est venu me voir en me disant
« si tu fais ça, tu peux faire un film, c’est aussi difficile ». Je
l’ai cru. Ça a donc commencé à me trotter en tête que j’étais peut-être capable
de faire un film, ce que je ne pensais pas. Après, c’est une spectatrice de Hate,
mon spectacle avec le cheval, qui m’a raconté une histoire sur un procès tournant
autour d’un chien, enfin de son maître. Le chien avait mordu trois fois et le
procès avait mis le feu à la ville. Ça m’a intéressé et fait dire que ça pouvait
être une chouette comédie puisque le chien est assimilé à une chose, d’où le
fait que ce soit le procès du maître, mais qu’il ne serait pas difficile de
prouver qu’un animal n’est pas une chose. Ça pouvait donc être rigolo de faire
le procès au chien.
C’est vrai que ça amène une base
absurde…
Surréaliste quoi !
Justement, comment conserver ce
ton avec une dramaturgie forte ? Votre film arrive à être burlesque mais
également à avoir un vrai fond, ce que n’arrivent pas à faire beaucoup de
comédies du genre…
Je ne sais pas s’ils le
cherchent. Il faudrait déjà qu’ils cherchent à être burlesque et à raconter des
choses importantes. Je pense que Pierre Salvadori arrive à très bien le faire
par exemple, les américains parfois, … Je me suis inspirée de la série de Louis
CK, Louis, et de Fleabag, qui ne font que ça.
J’avais donc ces modèles en tête et je m’en suis inspirée.
C’est aussi intéressant car votre
personnage se voit à la télé et se demande comment parler comme elle est…
Quand est-ce qu’elle arrivera à parler comme elle est, ouais.
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Est-ce que c’est une question que
vous vous êtes également posé avec le passage de la mise en scène :
comment conserver votre personnalité dans la mise en scène théâtrale ainsi que
dans votre carrière d’actrice ?
Non, je me la pose plus dans la
vie. Je viens du théâtre et j’avais souvent des problèmes de voix. J’avais la
voix qui, dès que j’étais trop émue, partait en vrille comme le personnage. Je
trouvais ça cool de le mettre dans un film parce que ça parle de femmes qui
n’arrivent pas à s’affirmer telles qu’elles sont. C’est plus un truc de personne
que de réalisation. C’est plus personnel mais je ne l’ai pas eu en réalisant.
Ou alors je l’ai eu mais avec 80000 questions tout le temps et avec une
question qui remplaçait celle-ci, de manière sous-jacente : quelle
atmosphère je veux donner ? Qu’est-ce que je veux raconter ? Je me
posais 4000 questions sur ce que je voulais, tout le temps, en précisant ce que
je voulais.
On dit toujours que c’est
compliqué de travailler avec un animal sur un plateau. Comment cela s’est passé
avec Kody, le chien accusé ?
On a beaucoup travaillé avant, on
a fait une liste de tout ce que devait faire le chien avec les dresseurs, puis
on a commencé à travailler, à répéter et à créer une complicité, entre le chien
et moi, puis les acteurs et le chien. Il était génial ce chien ! Il a
plein de couleurs, il sait ce qu’il joue, il comprend quand on dit
« Coupez ! » et quand on se bat avec lui quand il faut s’arrêter.
Ça s’est très très bien passé. Il avait ses moments à lui, avec un plan de
travail en fonction de lui.
Comment avez-vous appréhendé
cette critique d’une médiatisation constante, avec un besoin de contrôler en
permanence l’image, même celle d’un chien ?
Je ne dirais pas les choses comme ça mais oui, c’est plutôt la rapidité du jugement, les choses qui s’emballent très vite à travers les réseaux sociaux. C’est la même chose mais avec un canal différent. Il y a des jugements très hâtifs. Ça contraste avec le tribunal, où on prend vraiment le temps de se faire son avis. Le tribunal est un endroit qui me rassure justement car on a le temps de se faire un avis, on ne juge pas à la hâte.
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C’est aussi intéressant car
beaucoup de films francophones parlent de tribunaux, comme s’il y avait une
nouvelle perception des affaires judiciaires. Comment voyez-vous ce genre de
films ?
Ce qui est marrant, c’est qu’il y a beaucoup de personnes dans ces films de procès qui finissent par ne pas être jugeables. Qu’elles soient coupables ou non, on ne le saura pas. Elles sont jugées coupables ou non coupables mais, dans le fond, le film ne nous le dit pas et nous laisse en suspens. C’est super intéressant, je trouve. On voit des points de vue qui s’affrontent très fort, on réfléchit en tant que spectateur en se faisant son avis, en le changeant, on pense en fait. Ça rend hyper actif d’assister à des scènes de tribunal, dans les films comme dans la vie. Il n’empêche que les personnages ne sont pas jugeables, que ce soit le chien, cette femme dans Anatomie d’une chute, et je pense que c’est pareil dans Le procès Goldman. Par contre, du coup, on réfléchit à plein de trucs !
Il y a un travail de nuance assez
surprenant dans le cadre d’une comédie, la victime ayant une justification dans
sa plainte, ce qui évite un côté binaire qu’on aurait pu craindre.
En fait, on ne sait pas comment prendre le personnage de Lorene, le personnage qui se fait mordre le visage, au début. Elle a ses masques colorés, on est vraiment dans de la comédie et on n’a pas de noirceur derrière. Après, on va découvrir quand même que c’est une femme déjà marquée. Le vrai personnage féministe du film, c’est elle. C’est elle qui a le parcours le plus fort, je trouve. Elle réfléchit à quel visage elle aimerait avoir si elle gagne son procès (SPOILER) et on la quitte avec un chien, à utiliser l’argent du procès pour s’acheter des moutons et en reconstruisant sa vie. On pense que c’est une victime, ça l’est, mais elle est beaucoup plus que ça. C’est une femme forte qui se trouve. (FIN SPOILER)
Comment décririez-vous votre
direction d’acteurs ? On sent que ceux-ci sont investis dans une certaine
galerie hétéroclite.
C’était ça qui était marrant : il fallait trouver des acteurs qui incarnaient des personnages presque dessinés, en BD, mais qui en même temps pouvaient apporter à l’intérieur beaucoup de sentiments. Après, on ne dirige pas François (Damiens) comme Jean-Pascal (Zadi). François, il faut lui parler du fond de la scène et le laisser improviser car il est vraiment génial pour ça. Il invente des choses, il aime déstabiliser. Jean-Pascal, je lui ai juste dit que son personnage est l’amour : il aime les gens, il a de la bonté pour eux, c’est un personnage qui peut faire du bien. Ça ne l’empêche pas d’être sexy mais c’est un personnage d’amour. Anne Dorval aime bien aller dans la caricature mais j’ai dû la pousser à aller un peu plus loin car j’avais besoin qu’on ne la prenne pas du tout au sérieux.
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Le générique de début est assez
inventif et rappelle « La ferme des animaux ».
Au début, je voulais filmer plein
de gens dans la ville de Lausanne. J’adore car je trouve qu’il y a un côté
« petit New York ». On savait qu’on voulait filmer quelques chiens.
Il y en avait certains qu’on avait prévus. D’autres, les plus fous, on ne les
avait pas prévus. Les deux en poussette, celui avec la doudoune intégrale et un
troisième, on ne les avait pas du tout prévus. Finalement, au montage, on
trouvait qu’il y en avait un qui ressemblait à François, un autre à Jean-Pascal,
… Les chiens m’ont fait penser aux acteurs mais au montage.
Quel est votre regard sur la
comédie française actuelle, qu’on enferme souvent dans des clichés par leur
côté populaire et l’aversion envers certains titres ?
Je n’ai pas vu Un petit
truc en plus qui a été un gros succès actuellement. Je peux les trouver
parfois un peu plates esthétiquement. Je suis une grosse fan de La
famille Bélier mais ça remonte déjà à 2015, presque dix ans. Je trouve
que c’est un chef d’œuvre. Il y a aussi Salvadori de l’autre côté qui fait des
trucs magnifiques. Si je peux élargir un peu, je trouve que le cinéma français
s’élargit depuis 2, 3 ans, se renouvelle beaucoup, reprend les codes de
certains genres comme les films de procès, le fantastique, le film social - je
pense à Chien de la casse - mais les revisite complètement pour
parler d’autres choses comme le couple ou l’écologie en ce qui concerne Le règne animal. Je pense à The substance qui va
être un truc de ouf ! Je pense que le cinéma se renouvelle.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à Maud Nicolas de Distri 7
ainsi qu’à l’équipe du BRIFF pour cet entretien.