[CRITIQUE] : Megalopolis
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Acteurs : Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito, Laurence Fishburne, Jon Voight, Aubrey Plaza, Talia Shire, Jason Schwartzman, James Remar, Shia LaBeouf, Grace VanderWaal, Kathryn Hunter mais aussi Dustin Hoffman,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Science-fiction.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h18min.
Synopsis :
Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Critique :
Il est très difficile d'écrire sur Megalopolis pour de multiples raisons, que ce soit pour le film en lui-même, expression de plusieurs décennies de fantasmes pour un cinéaste qui n'a eu de cesse d'échouer dans sa tentative de le mettre en images (il aura, in fine, investi 120 millions de dollars de sa propre fortune, pour le produire), où pour le scandale grandissant qui entoure sa production, avec le comportement déplacé - pour être poli - de Francis Ford Coppola (associés aux engagements de personnalités troubles et, elles aussi, frappées par de multiples accusations), que la promotion catastrophique n'a pas su masquer par ses propres cagades.
Où quand l'épanouissement du desideratum filmique ultime d'un faiseur de rêve, vient inéluctablement relâcher ses instincts primaires et pervers comme si l'un ne pouvait pas fonctionner sans l'autre.
Une ambivalence qui se retrouve au cœur même du film, spectaculaire et complaisant, excessif jusqu'à l'extrême mais jamais dénué d'intérêt.
Tout le mantra du film est même dévoilé dans les poignées de secondes qui lui servent d'introduction, où son personnage principal, César Catilina, se penche du haut d'un gratte-ciel, enlacé par la lumière etouffée d'un coucher de soleil et prêt à se laisser hypnotiser par un vide avec lequel il semble jouer, comme attirer par l'idée d'un déséquilibre définitif sans forcément y succomber, avant de littéralement stopper, figer le monde autour de lui.
Tout est là, dans ce désir qui fait vibrer l'âme de l'architecte le plus populaire de la Nouvelle Rome, cité construite sur les décombres d'une New-York moderne et qui tente de chasser la - fausse - perfection tout en marbre et brute, de la Rome antique : tester, contrôler, braver le pouvoir du temps dans un monde où ceux de l'économie et de la politique sont déjà pervertis.
Coppola n'invente, évidemment, pas la poudre ici, William Cameron Menzies avait déjà structuré une approche similaire d'un tel avenir dans son fantastique Les mondes futures (inspiré par le maître H.G. Wells et son roman The Shape of Things to Come), où une humanité profondément à la dérive, tentait désespérément de reconstruire un semblant de démocratie passé de multiples catastrophes, en revenant à l'idée d'une modernisation de l'image de la Grèce antique.
Mais la nuance reste néanmoins de taille puisque cette vision jamais vraiment lisse s'attache autant à l'obsession fantasmagorique et mégalomane d'assouvir un fantasme pour Coppola, qu'à condenser tout son cinéma dans une sorte d'œuvre somme, malade certes mais testamentaire jusqu'au bout de la pellicule.
Car même dans leurs excès difficilement défendables, chaque plan, chaque cadre, chaque once d'image semble désespérément revendiquer son droit à exister dans le temps, nourrit par le désir d'un artiste dont le geste à tout d'un suicide économique et artistique : César Catilina est l'alter-ego de Coppola, Megalopolis est ce déséquilibre consentie, cette manière de vouloir contrôler non pas le pouvoir du temps, mais celui du cinéma qui lui peut le figer, en jouer, s'inscrire dans son éternité.
Après tout, le septième art n'est-il pas, comme tout art finalement, un exercice qui a pour vertu de continuellement dépasser sa simple condition, d'exister au-delà de ce qui est prédit, de renverser ce qui est connu et acquis, quitte à se perdre - entre autres - dans une forme d'utopisme maladroit et imparfait.
Et le film l'est, indubitablement, puisqu'il est gravé sur son ADN comme une oeuvre fantasmée, indésirable et paradoxale (dans le sens où si le cinéma de Coppola n'est pas, fondamentalement, anticapitaliste, son acte de piocher/dilapider son propre capital pour produire une œuvre en quête de sens, l'est totalement), à contre-courant et testamentaire, réunissant deux de ses thèmes les plus chers : l'Amérique dans toutes ses nuances et, répétons-nous si besoin était, le temps et son pouvoir messianique.
Et il ne faut pas trente ans pour réaliser que le film déborde de lui-même, de sa mégalomanie et de sa générosité presque morbide, véritable artefact prisonnier de ses prétentions où le monde dématérialisé de son image se fait une porte ouverte à la démesure.
Sorte de fresque Shakespearienne et baroque bâtie sur les cendres du nouvel Hollywood (que Coppola a aidé à bâtir), et l'œuvre testamentaire et politique fustigeant une Amérique contemporaine qui, à l'image d'une Rome boursouflée par sa propre opulence et se rêvait achronique, est appelée à finir dévorée par ses vices.
Mais trop de démesure tue la démesure, et le futur dystopique en quête d'utopie du cinéaste, où le pastiche New Age copule avec la grossièreté artistique et numérique du pire des blockbusters, où les dialogues pompeux et les trop nombreux aphorismes tentent fébrilement de cohabiter avec de véritables tableaux vivants complaisants; le tout agrémenté d'une méditation/auto-célébration affirmée d'un cinéaste par lui-même, représentant glorifié du passé essayant d'arrêter le cinéma du présent, pour lui montrer un avenir, à l'instar de James Cameron, qu'il tente de conquérir en son nom.
Toute l'ambiguïté de Coppola en somme, formaliste incroyable désireux de répéter, même lourdement, sa propre prophétie cinématographique - en vain -, autant qu'il se veut comme l'incarnation d'un visionnaire incompris et anticonformiste luttant contre les affres du temps.
Mais il y a, malgré tout, quelque chose d'attachant dans ce désastre pharaonique, dans cet effort chimérique et audacieux de briser les codes traditionnels de son propre cinéma (écrans divisés, animations, CGI), pour le faire avancer même face à une industrie qui ne le comprend pas/plus, ne le soutient plus.
Alors non, malgré le ridicule qui l'emporte beaucoup trop souvent pour son bien (peut-être le plus grand naufrage créatif de Coppola, et Jack existe), Megalopolis ne ruinera pas l'image que l'on peut avoir de la filmographie monumentale de son créateur, mais elle laissera malheureusement, une ultime note bien amère.
Jonathan Chevrier
Acteurs : Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito, Laurence Fishburne, Jon Voight, Aubrey Plaza, Talia Shire, Jason Schwartzman, James Remar, Shia LaBeouf, Grace VanderWaal, Kathryn Hunter mais aussi Dustin Hoffman,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Science-fiction.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h18min.
Synopsis :
Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Critique :
Sorte de fresque Shakespearienne bâtie sur les cendres du nouvel Hollywood, et l'œuvre politico-testamentaire façon auto-célébration affirmée d'un cinéaste par lui-même, #Megalopolis, malgré un ridicule qui l'emporte beaucoup trop souvent pour son bien, n'est pas dénué d'intérêt. pic.twitter.com/9tkIgOvtb2
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 24, 2024
Il est très difficile d'écrire sur Megalopolis pour de multiples raisons, que ce soit pour le film en lui-même, expression de plusieurs décennies de fantasmes pour un cinéaste qui n'a eu de cesse d'échouer dans sa tentative de le mettre en images (il aura, in fine, investi 120 millions de dollars de sa propre fortune, pour le produire), où pour le scandale grandissant qui entoure sa production, avec le comportement déplacé - pour être poli - de Francis Ford Coppola (associés aux engagements de personnalités troubles et, elles aussi, frappées par de multiples accusations), que la promotion catastrophique n'a pas su masquer par ses propres cagades.
Où quand l'épanouissement du desideratum filmique ultime d'un faiseur de rêve, vient inéluctablement relâcher ses instincts primaires et pervers comme si l'un ne pouvait pas fonctionner sans l'autre.
Une ambivalence qui se retrouve au cœur même du film, spectaculaire et complaisant, excessif jusqu'à l'extrême mais jamais dénué d'intérêt.
Copyright 2024 Caesar Film LLC |
Tout le mantra du film est même dévoilé dans les poignées de secondes qui lui servent d'introduction, où son personnage principal, César Catilina, se penche du haut d'un gratte-ciel, enlacé par la lumière etouffée d'un coucher de soleil et prêt à se laisser hypnotiser par un vide avec lequel il semble jouer, comme attirer par l'idée d'un déséquilibre définitif sans forcément y succomber, avant de littéralement stopper, figer le monde autour de lui.
Tout est là, dans ce désir qui fait vibrer l'âme de l'architecte le plus populaire de la Nouvelle Rome, cité construite sur les décombres d'une New-York moderne et qui tente de chasser la - fausse - perfection tout en marbre et brute, de la Rome antique : tester, contrôler, braver le pouvoir du temps dans un monde où ceux de l'économie et de la politique sont déjà pervertis.
Coppola n'invente, évidemment, pas la poudre ici, William Cameron Menzies avait déjà structuré une approche similaire d'un tel avenir dans son fantastique Les mondes futures (inspiré par le maître H.G. Wells et son roman The Shape of Things to Come), où une humanité profondément à la dérive, tentait désespérément de reconstruire un semblant de démocratie passé de multiples catastrophes, en revenant à l'idée d'une modernisation de l'image de la Grèce antique.
Mais la nuance reste néanmoins de taille puisque cette vision jamais vraiment lisse s'attache autant à l'obsession fantasmagorique et mégalomane d'assouvir un fantasme pour Coppola, qu'à condenser tout son cinéma dans une sorte d'œuvre somme, malade certes mais testamentaire jusqu'au bout de la pellicule.
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Car même dans leurs excès difficilement défendables, chaque plan, chaque cadre, chaque once d'image semble désespérément revendiquer son droit à exister dans le temps, nourrit par le désir d'un artiste dont le geste à tout d'un suicide économique et artistique : César Catilina est l'alter-ego de Coppola, Megalopolis est ce déséquilibre consentie, cette manière de vouloir contrôler non pas le pouvoir du temps, mais celui du cinéma qui lui peut le figer, en jouer, s'inscrire dans son éternité.
Après tout, le septième art n'est-il pas, comme tout art finalement, un exercice qui a pour vertu de continuellement dépasser sa simple condition, d'exister au-delà de ce qui est prédit, de renverser ce qui est connu et acquis, quitte à se perdre - entre autres - dans une forme d'utopisme maladroit et imparfait.
Et le film l'est, indubitablement, puisqu'il est gravé sur son ADN comme une oeuvre fantasmée, indésirable et paradoxale (dans le sens où si le cinéma de Coppola n'est pas, fondamentalement, anticapitaliste, son acte de piocher/dilapider son propre capital pour produire une œuvre en quête de sens, l'est totalement), à contre-courant et testamentaire, réunissant deux de ses thèmes les plus chers : l'Amérique dans toutes ses nuances et, répétons-nous si besoin était, le temps et son pouvoir messianique.
Et il ne faut pas trente ans pour réaliser que le film déborde de lui-même, de sa mégalomanie et de sa générosité presque morbide, véritable artefact prisonnier de ses prétentions où le monde dématérialisé de son image se fait une porte ouverte à la démesure.
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Sorte de fresque Shakespearienne et baroque bâtie sur les cendres du nouvel Hollywood (que Coppola a aidé à bâtir), et l'œuvre testamentaire et politique fustigeant une Amérique contemporaine qui, à l'image d'une Rome boursouflée par sa propre opulence et se rêvait achronique, est appelée à finir dévorée par ses vices.
Mais trop de démesure tue la démesure, et le futur dystopique en quête d'utopie du cinéaste, où le pastiche New Age copule avec la grossièreté artistique et numérique du pire des blockbusters, où les dialogues pompeux et les trop nombreux aphorismes tentent fébrilement de cohabiter avec de véritables tableaux vivants complaisants; le tout agrémenté d'une méditation/auto-célébration affirmée d'un cinéaste par lui-même, représentant glorifié du passé essayant d'arrêter le cinéma du présent, pour lui montrer un avenir, à l'instar de James Cameron, qu'il tente de conquérir en son nom.
Toute l'ambiguïté de Coppola en somme, formaliste incroyable désireux de répéter, même lourdement, sa propre prophétie cinématographique - en vain -, autant qu'il se veut comme l'incarnation d'un visionnaire incompris et anticonformiste luttant contre les affres du temps.
Mais il y a, malgré tout, quelque chose d'attachant dans ce désastre pharaonique, dans cet effort chimérique et audacieux de briser les codes traditionnels de son propre cinéma (écrans divisés, animations, CGI), pour le faire avancer même face à une industrie qui ne le comprend pas/plus, ne le soutient plus.
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Alors non, malgré le ridicule qui l'emporte beaucoup trop souvent pour son bien (peut-être le plus grand naufrage créatif de Coppola, et Jack existe), Megalopolis ne ruinera pas l'image que l'on peut avoir de la filmographie monumentale de son créateur, mais elle laissera malheureusement, une ultime note bien amère.
Jonathan Chevrier