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[CRITIQUE] : Le Deuxième Acte


Réalisateur : Quentin Dupieux
Avec : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Raphaël Quenard, Louis Garrel, Manuel Guillot,…
Distributeur : Diaphane Distribution
Budget : -
Genre : Comédie.
Nationalité : Français.
Durée : 1h20min.

Synopsis :
Film d'ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes

Florence veut présenter David, l’homme dont elle est follement amoureuse, à son père Guillaume. Mais David n’est pas attiré par Florence et souhaite s’en débarrasser en la jetant dans les bras de son ami Willy. Les quatre personnages se retrouvent dans un restaurant au milieu de nulle part.



Critique :



Arrivera-t-on un jour à poser les mots justes sur le cinéma de Quentin Dupieux ? Rien n’est moins sûr tant ses films parviennent toujours à désarçonner, retourner dans un autre sens et jouer sur une sensation constante d’inattendu, avec plus ou moins de réussite selon son approche affective et/ou intellectuelle. Avoir Le Deuxième Acte en ouverture du festival de Cannes s’avérait alors à première vue assez surprenant comme décision au vu de cette personnalité aussi singulière que clivante. Pourtant, quand on creuse un peu derrière les fils d’irréalité qui alimentent ses longs-métrages, il reste pertinent de voir le cinéaste débarquer à la Croisette au vu de ses étirements de fiction, d’autant plus avec un film comme Le Deuxième Acte.

Copyright Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

Comme on pouvait l’attendre avec son nom, Le Deuxième Acte parle de cinéma mais, comme toujours chez Dupieux, de manière détournée, comme une réorientation nécessaire pour mieux interroger l’acte même de filmer. Loin de l’absurde assez linéaire du Daim, le metteur en scène joue la carte des imbrications, un casting hétéroclite se devant de jouer une séquence tout en étant particulièrement divisé sur la question même du film. Les personnalités se confrontent et les quatre acteurs principaux semblent d’abord jouer ce qu’ils savent le mieux faire : eux-mêmes. Ce qui pourrait sembler ironique parvient à mieux amener cette forme de décalage par rapport à un regard extérieur, celui d’acteurs sachant qu’ils doivent jouer un rôle tout en jouant une version assez proche de leur réalité.

Le contraste se fait alors assez amusant et la comédie fonctionne d’autant plus avec l’insertion d’un autre protagoniste, loin de cette expérience de jeu, confrontant de manière amplifiée ces questions sur le jeu et la fiction. C’est ensuite, quand la narration révèle des nouvelles cartes, que l’on peut s’interroger sur le but de cette imbrication et de ces niveaux, non pas tant de réalités, que d’irréalités. Les fictions se superposent et de ce revirement qui peut diviser, sort alors un instant de beauté : cette interrogation sur le flottement de nos mondes. Là, le film rejoue son niveau d’illusion avec une envie sincère de profiter de cette bulle où la vue du spectateur et de la caméra fusionnent totalement et où les acteurs, admettant qu’ils ne sont que des acteurs, se demandent si leur monde est bien le vrai.

Copyright Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

Le Deuxième Acte perpétue la veine des irréalités nourrissant le cinéma de Quentin Dupieux pour mieux confronter des cinémas et surtout des perceptions, le tout avec des inquiétudes de jeux assez réjouissantes dans la globalité. Reste à voir comment la Croisette va réagir à cette proposition purement Mr. Oizo, tout en appuyant ses confrontations de chaos au sein de l’objet le plus difficile même à concevoir, encore plus face à une mécanisation de l’industrie : un film, purement et simplement.


Liam Debruel


Copyright Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

Une année ciné sans un canevas de la douce bizzarerie du cinéma de Quentin Dupieux n'est pas totalement une année ciné française, et si 2023 nous avait offert le génial Yannick, 2024 pourrait s'avérer un poil plus gourmande avec trois séances, Daaaaaalí!, Le Deuxième Acte et, peut-être, Braces s'il est bouclé d'ici décembre prochain.

Vingt-trois ans déjà que le bonhomme, dont la dynamique/frénésie créative Mocky-esque est venue complètement corriger son statut de faiseur simili-punk de la comédie hexagonale (pour en faire un trublion décemment plus institutionnel, et abonné régulier des festivals), hante le septième art par son génie absurde, une oeuvre démarré tout en nuance avec Nonfilm - tout est dans le titre -, sorte de mise en abyme où le film, tout comme Dupieux, réfléchissait à son propre processus de création.

Copyright Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

Et c'est sensiblement vers ce concept même de mise en abyme plurielle, rappelant tout autant Réalité et Rubber que le plus récent Incroyable mais vrai, que s'inscrit donc Le Deuxième acte, presque une profession de foi quant à la nouvelle perspective qu'à pris sa carrière, moins accentuée sur un humour absurde et opaque profondément Buñuelien, puisque dilué dans un désir (louable, évidemment) de progressivement inviter son spectateur à la fête - comme pointer dans Yannick, finalement -, de vouloir interagir avec lui au moins autant qu'avec son/notre quotidien.

Une nouvelle fois, comme pour Yannick et Daaaaaalí! (et Nonfilm, tant tout part de là, et n'a de cesse d'en être l'écho depuis quelques temps), il est question d'art et plus directement ici de septième art, entre le méta-gag barré et le film dans le film (voire même le film dans le film dans le film), dont le cynisme débordant profite d'une prémisse volontairement risible (l'histoire, fictionnelle, d'un homme ramène son BFF à un dîner pour qu'il se débarrasse de la jeune femme tombée sous son charme, qu'il elle, à ramener son père pour lui présenter ce qu'elle considère comme, potentiellement, l'homme de sa vie), pour mieux partir sur des échanges hors-champ sur le métier, la création artistique et l'actualité.
Un terreau quasi-parfait pour dégainer librement quelques discours plus ou moins bien amenés et passablement réchauffés sur la désertion des salles, les ravages autant que les limites de la cancel culture, sur le mouvement #MeToo, la présence de plus en plus oppressante de l'intelligence artificielle, sur l'exploitation moderne, l'égocentrisme exacerbé du star-system (et son importance au cœur d'une ère politique trouble),...

Copyright Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

Du pur Blier (toute propension gardée) dans la mécanique en somme, tout en interactions piquées et piquantes, et encore plus dans la manière audacieuse qu'il a de vouloir faire flirter sur le fil tenu du politiquement correct, ses propres interprètes (les nepo babies Léa Seydoux et Louis Garrel, voire même un Vincent Lindon dont les saillies explicites ne sont pas du tout étrangères à celles qu'ils lâchent dans la réalité), ou même de jouer tout en décalage avec leurs images (ce qui fonctionne à merveille avec Seydoux et Garrel, moins avec un Raphaël Quenard qui devient de plus en plus victime du personnage public décalé qu'il a lui-même créé).

Mais de Blier, il n'épouse que la loquacité enthousiasmante, pas forcément la pertinence satirique et encore moins la finesse d'écriture, au point qu'il a parfois, dangereusement, tout de l'arroseur arrosé sur certains sujets.
Et au cœur de cette mise en abyme surréaliste qui lui ressemble si bien, se dresse alors les deux pôles si magnétiques de son propre cinéma : sa capacité, extraordinaire, à imaginer des concepts originaux et captivants, intimement liée à son incapacité, frustrante, à ne jamais (dans la généralité) chercher à les développer au-delà de la surface, à leur donner un tant soit peu de substantique moelle, où même tout simplement à mettre un point final à ses divagations cinématographiques.
Si l'on perçoit avec évidence ses angoisses de cineaste et son inquiétude, très actuelle et encore plus sur la Croisette cuvée 2024, quant à l'avenir d'un septième art que les tempêtes successives et diverses poussent continuellement à la mutation (pour le meilleur comme pour le pire), jamais il ne les rend plus grave et sérieuse qu'elle ne devrait l'être à l'écran (parce que le cinéma s'en remettra toujours, pas vrai ?).

Copyright Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

Un sentiment étrange pointe alors tout du long le bout de son nez dans cette escapade superficialo-ludique un poil tirée en longueur (même avec seulement 1h20 au compteur), comme si le cinéaste aux multiples casquettes avouait presque n'avoir pas grand chose à nous dire tout en ayant, paradoxalement, une vraie volonté de s'inscrire pleinement dans des questionnements contemporains et de caricaturer notre époque, ainsi qu'une industrie déjà bien déglinguées.

Reste que oui, on ne s'ennuie jamais vraiment chez Dupieux, et il y a un plaisir réel d'y voir une distribution n'ayant nullement peur de l'absurde, être totalement voué à sa cause.
Pas tant une réelle déception donc, qu'une vraie occasion manquée.


Jonathan Chevrier


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