[ENTRETIEN] : Entretien avec Carole Borne, membre des Monteurs Associés (festival Les Monteurs s'affichent)
S’il est fréquent de lire ou d’entendre des louanges sur la mise en scène, l’image et parfois la musique dans tout ce qui a attrait au cinéma, les paroles positives sur le montage d’un film se font rares. C’est cette chose invisible tellement elle est présente devant nos yeux. Les personnes qui font ce métier sont tout aussi invisibles dans le paysage médiatique. L’image que la dernière cérémonie des César a partagé sur le métier de monteur frisait le ridicule. Sont-ils et sont-elles aussi déconnecté⋅es du monde du cinéma ? Ne sortent-ils, ne sortent-elles jamais de leur cave ? Le festival Les Monteurs s’affichent s’apprête, pour la sixième fois depuis sa création, à balayer toutes les idées reçues sur le métier de monteur. Un rendez-vous à ne pas manquer à l’aube du printemps parisien, qui pointe légèrement son nez.
Rencontre avec Carole Borne, membre de l’association Les Monteurs Associés et également membre du comité de sélection de cette édition.
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Les Monteurs Associés ?
Et chose assez rare dans un festival de films, vous ne faites aucune distinction entre la fiction et le documentaire.
La parité entre fiction et documentaire est quelque chose de très important pour nous. Parce qu’on estime que le documentaire est trop souvent relégué dans l’ombre, tout comme les monteurs. Le documentaire, c'est un film. C’est tellement considéré comme autre chose, la plupart du temps, qu’on en oublie le principal. Le documentaire est bien un film, au même titre que la fiction. On raconte des choses aussi et des histoires. On confond souvent documentaire et reportage. Nous essayons de mettre en avant ce qu’on appelle le documentaire de création, c’est-à-dire des réalisateurs ou réalisatrices qui essayent d'avoir une vision du monde assumée et une véritable esthétique. Cela demande du travail et évidemment, le travail de montage au documentaire est très important parce que la plupart du temps, il n'y a pas de scénario écrit. Enfin, rarement. Quand on arrive en salle de montage, c'est nous qui allons construire l'histoire avec les rushs et avec le réalisateur ou la réalisatrice. L’engagement du monteur est vraiment très important. Cette narration, qu'il va falloir construire, se fait au montage. C'est quelque chose que l’on veut promouvoir dans le festival. Le fait de programmer des documentaires permet d’en parler et permet d'expliquer au public qu'un documentaire, c'est aussi une construction très précise au montage. Et que le scénario se fait au montage, si je puis dire. Nous avons choisi six films montés par nos adhérents, trois de fiction, trois documentaires. Vous parliez de huit longs métrages tout à l’heure. Cette année, nous clôturons le festival par l'avant-première du film Knit’s Island, l’île sans fin. Et comme chaque année, nous offrons une carte blanche à une association de monteurs d’un autre pays. Cette année, c’est la Turquie et ils sont venus avec un court métrage et un long, Traduire Ulysse.
Et dans ces huit films, il y a six premiers films. Est-ce un fait inhabituel pour le festival ?
Ce n’est pas courant pour nous. Pour le coup, ce n’est pas un critère qu'on a retenu spécifiquement. C'est un hasard. Cela veut dire que les jeunes cinéastes sont talentueux. C'est bien, c'est prometteur pour la suite.
Je n’ai pas pu m’empêcher d’observer une certaine parité entre les monteurs et monteuses, dans la programmation de cette édition. Est-ce un sujet qui apparaît dans la préparation du festival ?
Ce n’est pas notre critère principal mais nous sommes attentifs à cette problématique. C’est-à-dire que si on a le choix entre des films équivalents et que nous observons que nous avons uniquement des hommes ou alors l’inverse, uniquement des femmes – un fait assez rare [rires] – nous allons choisir en conséquence.
Nous avons parlé des longs métrages, mais vous mettez aussi en lumière les courts métrages, avec une soirée spéciale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dans l’atelier festival, nous avons deux pôles, le premier pour les longs métrages dont j’ai fait partie cette année et le deuxième pour la sélection des courts. Mais je sais qu’ils ont visionné une centaine, au moins, de courts métrages et qu’ils ont, à peu près, les mêmes critères que nous, à l’exception de l’audience, car le monde du court métrage est encore plus obscur que le documentaire, ils ne sont vus nulle part, en part en festival. Le critère de la durée leur est par contre primordial. Pour que nous puissions en projeter plusieurs, il ne faut pas que les films dépassent la vingtaine de minutes. Mis à part ce critère de durée, ils ont la même envie que nous de partager avec le public des choix formels forts, un regard sur le monde, la vision d’un cinéaste, etc …
Vous l’avez signalé tout à l’heure, Les Monteurs s’affichent a lieu tous les deux ans. Et c’est un peu singulier pour un festival. Pourquoi ce choix ?
Oui c’est vrai ! Pour le festival, nous travaillons tous et toutes bénévolement parce que ce n’est pas notre travail principal. Toute l’année, chacun bosse sur ses montages, sur ses films. Tout ce qu’on entreprend avec l’association est aussi bénévole. On s’est vite aperçu qu’un festival demande un temps considérable, c’est un boulot à plein temps ! Il est devenu impossible de le faire tous les ans. Nous n'avons ni le temps, ni l’énergie pour. On s’est dit que d’organiser Les Monteurs s’affichent tous les deux ans nous permettaient de continuer sereinement la tenue du festival. Cela nous donne aussi du temps pour voir les films, les sélectionner et ne pas travailler dans l’urgence. Cette année, nous avons visionné entre cinquante et quatre-vingt films pour n’en choisir que six et nous avons commencé à les regarder en mars de l’année dernière. En réalité, si jamais on devait le faire tous les ans, il faudrait dès maintenant commencer la sélection des films !
En plus des projections de films se tient chaque année une table ronde avec un thème précis. Le thème de cette année est l’utilisation des archives.
C'est un thème que l’on voulait aborder depuis longtemps. En tant que monteur, surtout en documentaire, on a beaucoup l'occasion de monter avec des archives. Et il y a énormément de films avec des archives qui passent à la télé. On s'est dit que ça serait bien d'éclairer un peu le grand public là-dessus. Donc, encore une fois, c'est toujours une démarche hyper didactique et hyper... j'allais dire, œcuménique, c'est-à-dire d'expliquer aux gens comment travaille-t-on concrètement avec des archives. En quoi ça consiste exactement ? Qu'est-ce qu'on a le droit de prendre, qu'est-ce qu'on n'a pas le droit de prendre. Comment ça marche dans une narration le fait de mettre des images qui datent de telle époque ou telle autre, etc … En fait, toutes les questions qu'un public pourrait se poser. L’idée est de réunir trois invités différents si je ne me trompe pas, ce n'est pas moi qui organise cette table ronde, mais il me semble que c’est trois invités. Des monteurs, des cinéastes, par exemple, qui ont l'habitude de travailler avec des archives. Qui utilisent des archives historiques pour des films historiques justement. Mais il y a aussi des gens qui vont utiliser des archives familiales par exemple. Vous savez, il y a des fonds d'archives, Ciclic ou La Mémoire de Marseille aussi. Ce sont des fonds d'archives familiales. Vous pouvez tout à fait déposer vos archives, n'importe qui. Ces archives-là sont accessibles au public, et sont accessibles à des cinéastes. Il y a certains cinéastes qui décident de s'emparer de ce matériel pour en faire quelque chose. Et ça aussi, c'est un travail intéressant. C'est presque un travail de plasticien, mais qui peut rentrer dans le cadre d'une œuvre, que ce soit une œuvre de fiction, d'ailleurs, ou une œuvre documentaire. On va essayer de balayer plusieurs sortes d'utilisations de l'archive. Et évidemment, toutes les questions éthiques que ça soulève, des films où l’on montre des choses terribles par exemple, des morts, la guerre. Persiste la question de savoir ce qu’on peut montrer. Il faut toujours expliquer le contexte de cette archive. Pourquoi est-elle est mise dans le film, à quel moment elle a été filmée, par qui, etc … Tous ces éléments font que, dans une narration, on va se poser des questions. Il est important de partager toutes ces interrogations avec un public averti, ou pas d'ailleurs.
Et après toutes les problématiques que vous venez de soulever, ça donne envie d'assister à cette table ronde ! Pour revenir sur la programmation, vous invitez chaque année un pays et cette année, c’est la Turquie. Un monteur turc, Erhan Örs, a été emprisonné pour avoir monté un documentaire produit par une ONG interdite par le pouvoir en place. Il a été relâché il n’y a pas longtemps. Je sais que votre association s’est mobilisée pour le soutenir. Est-ce que cette carte blanche offerte à l’association des monteurs turcs, Kuda, est une façon de poursuivre ce soutien ?
Oui nous avions été alertés par l'association Kuda. Sachant que, je fais juste une petite parenthèse, on fait partie de Tempo qui est en fait une association mondiale de monteurs. C’est grâce à Tempo que nous sommes en contact avec d'innombrables associations de monteurs à travers le monde. Et donc, Kuda nous avait contacté l'année dernière en nous disant “écoutez, on vit de grosses pressions en ce moment de la part du gouvernement turc et un de nos adhérents a été arrêté”. L’adhérent en question était, comme vous l’avez souligné, Erhan Örs. Le gouvernement l'a accusé de propagande, contre le gouvernement. On s'est dit qu’il fallait absolument se mobiliser face à ce problème. Lors de son procès, nous avons écrit des lettres pour s'insurger contre cet emprisonnement et on disait qu'en aucun cas, un technicien, un monteur, pouvait être accusé pour une œuvre sur laquelle il n’est pas considéré comme auteur, surtout pour des raisons fallacieuses. Suite à cela, on s'est dit que ce serait une bonne idée de les inviter, puisqu'on a déjà eu ce contact avec eux, pour mettre en lumière le problème qu'ils ont eu récemment. La bonne nouvelle, c'est que Erhan a été libéré et a été disculpé si je ne dis pas de bêtise. Parce qu'il y a eu une grosse pression internationale et que tout le monde s'est mobilisé autour de lui. Et donc, on s'est dit, pourquoi pas les inviter, et notamment l'inviter lui pour qu'il puisse nous parler de ça et puis nous parler aussi de son travail de monteur. C'est aussi pour ça que nous avons décidé de projeter un court métrage qu’il a monté, L’Adresse. C’est un film qui parle de la langue kurde, qui n’est pas reconnue par la Turquie. Les Kurdes sont une minorité opprimée. Et donc, il y a certains noms de lieux qui ont été changés par l'État. On change le nom des lieux sans en parler aux gens surtout, d'une manière très arbitraire. Dans le court métrage, on suit ce personnage de fiction, un professeur, qui est censé trouver l’adresse de l’école où il va devoir enseigner. Mais il ne la trouve pas parce que tout a été changé. C'est assez drôle, parce qu'en fait, c'est... Comment montrer d'une manière comique un problème social important en Turquie. Et le deuxième film qui a été choisi est un long métrage. Ça s'appelle Traduire Ulysse, et ça parle de la première traduction kurde du roman de James Joyce, Ulysse.
J’ai noté également qu’il va y avoir, pendant la semaine, une séance réservée aux lycéens. Quelle importance cela a-t-il pour le festival de parler à la jeune génération ?
Nous travaillons avec l’organisme Lycéen et Apprenti au cinéma, en collaboration avec l’Académie de Paris. On leur propose trois films de notre sélection et cette année, le film choisi est Dirty, Difficult, Dangerous de Wissam Charaf, monté par Clémence Diard. C’est un film qui parle, d'une façon plutôt humoristique mais aussi poétique, du problème des réfugiés syriens au Liban. Clémence Diard est une grande monteuse et elle adore discuter de son métier. C’est toujours intéressant d’échanger avec la nouvelle génération, surtout que le montage s’est beaucoup démocratisé avec les réseaux sociaux, avec Youtube. C’est une autre manière de monter évidemment, mais cela reste du montage. Et ça peut être intéressant de faire un pont entre nos métiers et leur utilisation de la technologie.
Le festival Les Monteurs s’affichent se tiendra du 13 au 18 mars inclus, au Luminor Hôtel de Ville. Toutes les informations sont à retrouver ici.
Rencontre avec Carole Borne, membre de l’association Les Monteurs Associés et également membre du comité de sélection de cette édition.
C’est l’occasion de donner de la visibilité aux films qui n’ont pas eu cette chance. Un film, c’est tellement d’heure de travail, pas seulement pour les monteurs mais pour toute l’équipe. L’exploitation est parfois un monde injuste où un film est déprogrammé au bout d’une semaine ou deux parce qu’il ne fait pas d’entrée. Tout ce travail pour seulement ce court temps où le film peut être vu au cinéma, c’est extrêmement dommage. Le festival est aussi là pour repêcher ces films qui, la plupart du temps, méritent de trouver leur public.
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Les Monteurs Associés ?
C'est une association, loi 1901, qui a été créée en 2001, si je ne me trompe pas. Donc elle a plus de 20 ans. C’était à l'époque du passage entre la fin de la pellicule et le début du montage par ordinateur, ce qu'on a appelé le montage virtuel. Un terme que nous n’aimons pas parce que ce type de montage n’a rien de virtuel justement, c'est très concret. Ce passage-là technique a engendré beaucoup de changements, des changements d'équipes et d'organisation au montage. On s'était réunis à l’époque pour défendre la place du stagiaire et de l'assistant dans la salle de montage. À la base, c'est un collectif qui essaye de défendre le métier et de mieux communiquer dessus. Et donc il y a quelques années — puisque là c'est la 6e édition du festival — nous avons pris la décision d’organiser un festival lié au montage parce que c'est un métier très méconnu du grand public, un métier très difficile à mettre en lumière. On s’est dit que ça serait bien de pouvoir expliquer au public ce qu’est le montage. Même les cinéphiles ne savent pas forcément comment un film se monte. Un festival permet de prendre le temps, de montrer des films et de pouvoir en parler de visu.
C’est vrai que la discussion est un peu au cœur du festival. Chaque projection est suivie par une rencontre entre le public, le monteur ou la monteuse du film, mais aussi avec le cinéaste.
En général, nous organisons une discussion en trois temps après chaque projection. On interroge d'abord le monteur, on l’interroge sur son travail, sur le montage, sur le film. Dans un deuxième temps, on fait venir le réalisateur ou la réalisatrice sur scène. C'est un peu dur de dire ça, mais souvent les réalisateurs prennent beaucoup la parole, les réalisateurs et les réalisatrices prennent beaucoup la lumière et la parole. On veut éviter une situation où le réalisateur s'accapare le micro. La parole est d’abord donnée aux monteurs et aux monteuses qui sont en général des gens plutôt de l'ombre, assez timides, qui n'osent pas trop défendre leur travail. On leur donne l'espace de le faire. Et dans un troisième temps, le micro circule dans le public, qui peut poser toutes sortes de questions. C’est important pour nous que ce micro circule, que ce ne soit pas seulement des présentations de film. D'ailleurs, souvent, c'est vraiment une discussion très ouverte, la plus pédagogique possible. Notre but n’est pas de faire un festival de l’entre-soi, réservé aux gens de la profession. Notre but est de s’ouvrir au plus large public possible. C’est un challenge parce que nous avons conscience du côté obscur du montage. Souvent, les questions posées sont très basiques, mais … Je trouve que c'est toujours intéressant d'expliquer en quoi consiste le métier le plus concrètement possible, ça diffuse la bonne parole du montage, si je puis dire.
Peut-être une question un peu bête mais la présence du réalisateur ou de la réalisatrice, lors de ces projections, est-il aussi un moyen de faire venir un public non-initié au métier de monteur ?
Évidemment, c'est un appel. C'est-à-dire que l’on sent l’influence de la présence d’un réalisateur sur la venue ou non du public. Par exemple, je sais que pour Chien de la casse, qui a eu le César du meilleur premier film récemment, c'est évident que si Jean-Baptiste Durand peut venir, ça va créer un petit événement. D’ailleurs, je ne sais pas s’il sera là, sa présence n’est pas encore confirmée, je préfère le préciser [rires] Mais Perrine, sa monteuse, est passionnante et ce qu'elle a à dire est formidable. Mais pour le grand public, elle est une inconnue. Les réalisateurs et les réalisatrices sont là aussi pour appeler le public.
En parlant de Chien de la casse, j’aimerais que vous me parliez de la programmation de cette année. Au total, on pourra voir huit longs métrages. Pour commencer, je voulais savoir si des critères de sélection s’appliquent chaque année et si oui, lesquelles ? On remarque par exemple que ce sont des films plutôt récents, j’ai vu que le plus vieux date de 2021.
C'est ça. Alors, il y a plusieurs critères de sélection. Le tout premier est qu’il faut que le film soit monté par un ou une de nos adhérents. Les adhérents de notre association, Les Monteurs Associés, où nous sommes environ trois cent monteurs. L'idée est de mettre en avant le travail des monteurs de l'association. Ensuite, le deuxième critère, c'est le fait de montrer des films qui ont eu très peu d'audience, que ce soit à la télé ou au cinéma. Si je ne dis pas de bêtises, ce sont des films qui ont fait moins de cent mille entrées en salles de cinéma. Pour la télévision, les chiffres sont plus flous mais on sait quels films sont laissés de côté, comme ceux qui ont été programmés après onze heures du soir. Souvent, ce sont des documentaires qui ne sont jamais mis en avant à la télévision et dont l’audience, on le sait, est moindre par rapport aux films diffusés en première partie de soirée. Ce sont nos deux critères importants. Nous ne voyons pas l'intérêt de projeter des films qui ont déjà bénéficié d’une belle couverture médiatique et qui ont eu la chance de rester des semaines visibles au cinéma. C’est l’occasion de donner de la visibilité aux films qui n’ont pas eu cette chance. Un film, c’est tellement d’heure de travail, pas seulement pour les monteurs mais pour toute l’équipe. L’exploitation est parfois un monde injuste où un film est déprogrammé au bout d’une semaine ou deux parce qu’il ne fait pas d’entrée. Tout ce travail pour seulement ce court temps où le film peut être vu au cinéma, c’est extrêmement dommage. Le festival est aussi là pour repêcher ces films qui, la plupart du temps, méritent de trouver leur public. Le festival a lieu tous les deux ans, nous faisons un appel à film, dans cette intervalle, des films qui sont sortis depuis deux ans. Et je n’ai pas parlé d’un autre critère, qui est assez logique, c’est un critère de qualité. Formellement, le montage est important. Nous évitons de choisir des films trop formatés. Et puis, nous sommes des spectateurs avant tout. Il est aussi important que les films nous plaisent collectivement. Nous étions quatorze cette année dans le comité de sélection qu’on a décidé d’appeler l’atelier festival. C’est une décision… J’allais dire démocratique [rires].
C’est vrai que la discussion est un peu au cœur du festival. Chaque projection est suivie par une rencontre entre le public, le monteur ou la monteuse du film, mais aussi avec le cinéaste.
En général, nous organisons une discussion en trois temps après chaque projection. On interroge d'abord le monteur, on l’interroge sur son travail, sur le montage, sur le film. Dans un deuxième temps, on fait venir le réalisateur ou la réalisatrice sur scène. C'est un peu dur de dire ça, mais souvent les réalisateurs prennent beaucoup la parole, les réalisateurs et les réalisatrices prennent beaucoup la lumière et la parole. On veut éviter une situation où le réalisateur s'accapare le micro. La parole est d’abord donnée aux monteurs et aux monteuses qui sont en général des gens plutôt de l'ombre, assez timides, qui n'osent pas trop défendre leur travail. On leur donne l'espace de le faire. Et dans un troisième temps, le micro circule dans le public, qui peut poser toutes sortes de questions. C’est important pour nous que ce micro circule, que ce ne soit pas seulement des présentations de film. D'ailleurs, souvent, c'est vraiment une discussion très ouverte, la plus pédagogique possible. Notre but n’est pas de faire un festival de l’entre-soi, réservé aux gens de la profession. Notre but est de s’ouvrir au plus large public possible. C’est un challenge parce que nous avons conscience du côté obscur du montage. Souvent, les questions posées sont très basiques, mais … Je trouve que c'est toujours intéressant d'expliquer en quoi consiste le métier le plus concrètement possible, ça diffuse la bonne parole du montage, si je puis dire.
Peut-être une question un peu bête mais la présence du réalisateur ou de la réalisatrice, lors de ces projections, est-il aussi un moyen de faire venir un public non-initié au métier de monteur ?
Évidemment, c'est un appel. C'est-à-dire que l’on sent l’influence de la présence d’un réalisateur sur la venue ou non du public. Par exemple, je sais que pour Chien de la casse, qui a eu le César du meilleur premier film récemment, c'est évident que si Jean-Baptiste Durand peut venir, ça va créer un petit événement. D’ailleurs, je ne sais pas s’il sera là, sa présence n’est pas encore confirmée, je préfère le préciser [rires] Mais Perrine, sa monteuse, est passionnante et ce qu'elle a à dire est formidable. Mais pour le grand public, elle est une inconnue. Les réalisateurs et les réalisatrices sont là aussi pour appeler le public.
En parlant de Chien de la casse, j’aimerais que vous me parliez de la programmation de cette année. Au total, on pourra voir huit longs métrages. Pour commencer, je voulais savoir si des critères de sélection s’appliquent chaque année et si oui, lesquelles ? On remarque par exemple que ce sont des films plutôt récents, j’ai vu que le plus vieux date de 2021.
C'est ça. Alors, il y a plusieurs critères de sélection. Le tout premier est qu’il faut que le film soit monté par un ou une de nos adhérents. Les adhérents de notre association, Les Monteurs Associés, où nous sommes environ trois cent monteurs. L'idée est de mettre en avant le travail des monteurs de l'association. Ensuite, le deuxième critère, c'est le fait de montrer des films qui ont eu très peu d'audience, que ce soit à la télé ou au cinéma. Si je ne dis pas de bêtises, ce sont des films qui ont fait moins de cent mille entrées en salles de cinéma. Pour la télévision, les chiffres sont plus flous mais on sait quels films sont laissés de côté, comme ceux qui ont été programmés après onze heures du soir. Souvent, ce sont des documentaires qui ne sont jamais mis en avant à la télévision et dont l’audience, on le sait, est moindre par rapport aux films diffusés en première partie de soirée. Ce sont nos deux critères importants. Nous ne voyons pas l'intérêt de projeter des films qui ont déjà bénéficié d’une belle couverture médiatique et qui ont eu la chance de rester des semaines visibles au cinéma. C’est l’occasion de donner de la visibilité aux films qui n’ont pas eu cette chance. Un film, c’est tellement d’heure de travail, pas seulement pour les monteurs mais pour toute l’équipe. L’exploitation est parfois un monde injuste où un film est déprogrammé au bout d’une semaine ou deux parce qu’il ne fait pas d’entrée. Tout ce travail pour seulement ce court temps où le film peut être vu au cinéma, c’est extrêmement dommage. Le festival est aussi là pour repêcher ces films qui, la plupart du temps, méritent de trouver leur public. Le festival a lieu tous les deux ans, nous faisons un appel à film, dans cette intervalle, des films qui sont sortis depuis deux ans. Et je n’ai pas parlé d’un autre critère, qui est assez logique, c’est un critère de qualité. Formellement, le montage est important. Nous évitons de choisir des films trop formatés. Et puis, nous sommes des spectateurs avant tout. Il est aussi important que les films nous plaisent collectivement. Nous étions quatorze cette année dans le comité de sélection qu’on a décidé d’appeler l’atelier festival. C’est une décision… J’allais dire démocratique [rires].
Et chose assez rare dans un festival de films, vous ne faites aucune distinction entre la fiction et le documentaire.
La parité entre fiction et documentaire est quelque chose de très important pour nous. Parce qu’on estime que le documentaire est trop souvent relégué dans l’ombre, tout comme les monteurs. Le documentaire, c'est un film. C’est tellement considéré comme autre chose, la plupart du temps, qu’on en oublie le principal. Le documentaire est bien un film, au même titre que la fiction. On raconte des choses aussi et des histoires. On confond souvent documentaire et reportage. Nous essayons de mettre en avant ce qu’on appelle le documentaire de création, c’est-à-dire des réalisateurs ou réalisatrices qui essayent d'avoir une vision du monde assumée et une véritable esthétique. Cela demande du travail et évidemment, le travail de montage au documentaire est très important parce que la plupart du temps, il n'y a pas de scénario écrit. Enfin, rarement. Quand on arrive en salle de montage, c'est nous qui allons construire l'histoire avec les rushs et avec le réalisateur ou la réalisatrice. L’engagement du monteur est vraiment très important. Cette narration, qu'il va falloir construire, se fait au montage. C'est quelque chose que l’on veut promouvoir dans le festival. Le fait de programmer des documentaires permet d’en parler et permet d'expliquer au public qu'un documentaire, c'est aussi une construction très précise au montage. Et que le scénario se fait au montage, si je puis dire. Nous avons choisi six films montés par nos adhérents, trois de fiction, trois documentaires. Vous parliez de huit longs métrages tout à l’heure. Cette année, nous clôturons le festival par l'avant-première du film Knit’s Island, l’île sans fin. Et comme chaque année, nous offrons une carte blanche à une association de monteurs d’un autre pays. Cette année, c’est la Turquie et ils sont venus avec un court métrage et un long, Traduire Ulysse.
Et dans ces huit films, il y a six premiers films. Est-ce un fait inhabituel pour le festival ?
Ce n’est pas courant pour nous. Pour le coup, ce n’est pas un critère qu'on a retenu spécifiquement. C'est un hasard. Cela veut dire que les jeunes cinéastes sont talentueux. C'est bien, c'est prometteur pour la suite.
Je n’ai pas pu m’empêcher d’observer une certaine parité entre les monteurs et monteuses, dans la programmation de cette édition. Est-ce un sujet qui apparaît dans la préparation du festival ?
Ce n’est pas notre critère principal mais nous sommes attentifs à cette problématique. C’est-à-dire que si on a le choix entre des films équivalents et que nous observons que nous avons uniquement des hommes ou alors l’inverse, uniquement des femmes – un fait assez rare [rires] – nous allons choisir en conséquence.
Nous avons parlé des longs métrages, mais vous mettez aussi en lumière les courts métrages, avec une soirée spéciale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dans l’atelier festival, nous avons deux pôles, le premier pour les longs métrages dont j’ai fait partie cette année et le deuxième pour la sélection des courts. Mais je sais qu’ils ont visionné une centaine, au moins, de courts métrages et qu’ils ont, à peu près, les mêmes critères que nous, à l’exception de l’audience, car le monde du court métrage est encore plus obscur que le documentaire, ils ne sont vus nulle part, en part en festival. Le critère de la durée leur est par contre primordial. Pour que nous puissions en projeter plusieurs, il ne faut pas que les films dépassent la vingtaine de minutes. Mis à part ce critère de durée, ils ont la même envie que nous de partager avec le public des choix formels forts, un regard sur le monde, la vision d’un cinéaste, etc …
Vous l’avez signalé tout à l’heure, Les Monteurs s’affichent a lieu tous les deux ans. Et c’est un peu singulier pour un festival. Pourquoi ce choix ?
Oui c’est vrai ! Pour le festival, nous travaillons tous et toutes bénévolement parce que ce n’est pas notre travail principal. Toute l’année, chacun bosse sur ses montages, sur ses films. Tout ce qu’on entreprend avec l’association est aussi bénévole. On s’est vite aperçu qu’un festival demande un temps considérable, c’est un boulot à plein temps ! Il est devenu impossible de le faire tous les ans. Nous n'avons ni le temps, ni l’énergie pour. On s’est dit que d’organiser Les Monteurs s’affichent tous les deux ans nous permettaient de continuer sereinement la tenue du festival. Cela nous donne aussi du temps pour voir les films, les sélectionner et ne pas travailler dans l’urgence. Cette année, nous avons visionné entre cinquante et quatre-vingt films pour n’en choisir que six et nous avons commencé à les regarder en mars de l’année dernière. En réalité, si jamais on devait le faire tous les ans, il faudrait dès maintenant commencer la sélection des films !
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En plus des projections de films se tient chaque année une table ronde avec un thème précis. Le thème de cette année est l’utilisation des archives.
C'est un thème que l’on voulait aborder depuis longtemps. En tant que monteur, surtout en documentaire, on a beaucoup l'occasion de monter avec des archives. Et il y a énormément de films avec des archives qui passent à la télé. On s'est dit que ça serait bien d'éclairer un peu le grand public là-dessus. Donc, encore une fois, c'est toujours une démarche hyper didactique et hyper... j'allais dire, œcuménique, c'est-à-dire d'expliquer aux gens comment travaille-t-on concrètement avec des archives. En quoi ça consiste exactement ? Qu'est-ce qu'on a le droit de prendre, qu'est-ce qu'on n'a pas le droit de prendre. Comment ça marche dans une narration le fait de mettre des images qui datent de telle époque ou telle autre, etc … En fait, toutes les questions qu'un public pourrait se poser. L’idée est de réunir trois invités différents si je ne me trompe pas, ce n'est pas moi qui organise cette table ronde, mais il me semble que c’est trois invités. Des monteurs, des cinéastes, par exemple, qui ont l'habitude de travailler avec des archives. Qui utilisent des archives historiques pour des films historiques justement. Mais il y a aussi des gens qui vont utiliser des archives familiales par exemple. Vous savez, il y a des fonds d'archives, Ciclic ou La Mémoire de Marseille aussi. Ce sont des fonds d'archives familiales. Vous pouvez tout à fait déposer vos archives, n'importe qui. Ces archives-là sont accessibles au public, et sont accessibles à des cinéastes. Il y a certains cinéastes qui décident de s'emparer de ce matériel pour en faire quelque chose. Et ça aussi, c'est un travail intéressant. C'est presque un travail de plasticien, mais qui peut rentrer dans le cadre d'une œuvre, que ce soit une œuvre de fiction, d'ailleurs, ou une œuvre documentaire. On va essayer de balayer plusieurs sortes d'utilisations de l'archive. Et évidemment, toutes les questions éthiques que ça soulève, des films où l’on montre des choses terribles par exemple, des morts, la guerre. Persiste la question de savoir ce qu’on peut montrer. Il faut toujours expliquer le contexte de cette archive. Pourquoi est-elle est mise dans le film, à quel moment elle a été filmée, par qui, etc … Tous ces éléments font que, dans une narration, on va se poser des questions. Il est important de partager toutes ces interrogations avec un public averti, ou pas d'ailleurs.
Et après toutes les problématiques que vous venez de soulever, ça donne envie d'assister à cette table ronde ! Pour revenir sur la programmation, vous invitez chaque année un pays et cette année, c’est la Turquie. Un monteur turc, Erhan Örs, a été emprisonné pour avoir monté un documentaire produit par une ONG interdite par le pouvoir en place. Il a été relâché il n’y a pas longtemps. Je sais que votre association s’est mobilisée pour le soutenir. Est-ce que cette carte blanche offerte à l’association des monteurs turcs, Kuda, est une façon de poursuivre ce soutien ?
Oui nous avions été alertés par l'association Kuda. Sachant que, je fais juste une petite parenthèse, on fait partie de Tempo qui est en fait une association mondiale de monteurs. C’est grâce à Tempo que nous sommes en contact avec d'innombrables associations de monteurs à travers le monde. Et donc, Kuda nous avait contacté l'année dernière en nous disant “écoutez, on vit de grosses pressions en ce moment de la part du gouvernement turc et un de nos adhérents a été arrêté”. L’adhérent en question était, comme vous l’avez souligné, Erhan Örs. Le gouvernement l'a accusé de propagande, contre le gouvernement. On s'est dit qu’il fallait absolument se mobiliser face à ce problème. Lors de son procès, nous avons écrit des lettres pour s'insurger contre cet emprisonnement et on disait qu'en aucun cas, un technicien, un monteur, pouvait être accusé pour une œuvre sur laquelle il n’est pas considéré comme auteur, surtout pour des raisons fallacieuses. Suite à cela, on s'est dit que ce serait une bonne idée de les inviter, puisqu'on a déjà eu ce contact avec eux, pour mettre en lumière le problème qu'ils ont eu récemment. La bonne nouvelle, c'est que Erhan a été libéré et a été disculpé si je ne dis pas de bêtise. Parce qu'il y a eu une grosse pression internationale et que tout le monde s'est mobilisé autour de lui. Et donc, on s'est dit, pourquoi pas les inviter, et notamment l'inviter lui pour qu'il puisse nous parler de ça et puis nous parler aussi de son travail de monteur. C'est aussi pour ça que nous avons décidé de projeter un court métrage qu’il a monté, L’Adresse. C’est un film qui parle de la langue kurde, qui n’est pas reconnue par la Turquie. Les Kurdes sont une minorité opprimée. Et donc, il y a certains noms de lieux qui ont été changés par l'État. On change le nom des lieux sans en parler aux gens surtout, d'une manière très arbitraire. Dans le court métrage, on suit ce personnage de fiction, un professeur, qui est censé trouver l’adresse de l’école où il va devoir enseigner. Mais il ne la trouve pas parce que tout a été changé. C'est assez drôle, parce qu'en fait, c'est... Comment montrer d'une manière comique un problème social important en Turquie. Et le deuxième film qui a été choisi est un long métrage. Ça s'appelle Traduire Ulysse, et ça parle de la première traduction kurde du roman de James Joyce, Ulysse.
J’ai noté également qu’il va y avoir, pendant la semaine, une séance réservée aux lycéens. Quelle importance cela a-t-il pour le festival de parler à la jeune génération ?
Nous travaillons avec l’organisme Lycéen et Apprenti au cinéma, en collaboration avec l’Académie de Paris. On leur propose trois films de notre sélection et cette année, le film choisi est Dirty, Difficult, Dangerous de Wissam Charaf, monté par Clémence Diard. C’est un film qui parle, d'une façon plutôt humoristique mais aussi poétique, du problème des réfugiés syriens au Liban. Clémence Diard est une grande monteuse et elle adore discuter de son métier. C’est toujours intéressant d’échanger avec la nouvelle génération, surtout que le montage s’est beaucoup démocratisé avec les réseaux sociaux, avec Youtube. C’est une autre manière de monter évidemment, mais cela reste du montage. Et ça peut être intéressant de faire un pont entre nos métiers et leur utilisation de la technologie.
Propos recueillis par Laura Enjolvy le 13 mars 2024
Merci à Paul Chaveroux
Le festival Les Monteurs s’affichent se tiendra du 13 au 18 mars inclus, au Luminor Hôtel de Ville. Toutes les informations sont à retrouver ici.