Breaking News

[ENTRETIEN] : Entretien avec Nora El Hourch (HLM Pussy)


Pour son premier long-métrage, Nora El Hourch propose un cri du cœur résolument féministe parvenant à se construire dans un fond social riche. HLM Pussy pourrait en ce sens être un des films francophones indispensables de cette année, ce qui nous a conduit à discuter avec sa réalisatrice de ses intentions sur cette bombe politique lors de la dernière édition du Festival International du Film Francophone de Namur.

J’ai voulu déjà parler de cette nouvelle génération. Pour moi, quand je les vois agir, quand je les entends parler, je me dis tout le temps que c’est une génération qui est plongée dans des combats d’adultes qui sont de pire en pire. - Nora El Hourch

D’où est venue l’idée du film ?

J’ai voulu déjà parler de cette nouvelle génération. Pour moi, quand je les vois agir, quand je les entends parler, je me dis tout le temps que c’est une génération qui est plongée dans des combats d’adultes qui sont de pire en pire. On sent qu’ils se disent qu’ils n’ont peut-être pas forcément les bonnes armes mais qu’ils vont les prendre et tout faire pour affronter les problèmes que la génération précédente leur a laissés. Je suis peut-être utopique mais pour moi, ils ont les clés du monde d’après. J’étais hyper inspirée par cette génération et quand je les ai entendus parler de la situation avec #MeToo dans lequel ils sont bercés, garçons et filles, je me suis rendu compte qu’en fonction du milieu social dans lequel ils évoluent, ils n’ont pas la même façon de penser, les mêmes priorités, les mêmes armes pour ce même combat. Je trouvais ça hyper important à traiter de se rendre compte que pour un même combat, ils ne vont pas se servir des mêmes armes. Le film le dit : « OK, il faut écouter les différences, ne pas juger pourquoi telle ou telle personne est plus ou moins sensible à ce sujet, pourquoi elle va faire un contour peut-être pour s’occuper de ce sujet ». Au final, c’est l’unité, tout en prenant en compte les différences des autres, qui vont faire qu’on avance main dans la main.

Justement, dans cette captation de jeunesse, il y a beaucoup de mouvements, comme si tu voulais au mieux par ce moyen t’approcher de cette génération et de sa lutte.

En fait, à partir du moment où on filme la banlieue, on a tendance à résumer ça comme un « film de banlieue », ce qui est très connoté film de mec. C’est vrai que je voulais absolument ouvrir le film avec un stéréotype, une espèce de cliché. On arrive, on est avec deux mecs qui parlent de bagarre et de bouffe, on est focus sur eux. On entend les filles, on les filme très peu. On filme le monde actuel et vous êtes dans le champ de vision de ce monde mais ce n’est pas vous que je vais filmer mais ces deux mecs. Et donc du coup, je voulais un peu contrebalancer le truc en entrant comme dans n’importe quel film et, au fur et à mesure, les filles prennent plus de place, je vais les suivre et cela devient leur histoire. On a tendance à un peu les oublier quand on fait un film dit « de cité », même si je déteste cette expression pour un milliard de raisons.

Copyright Paname Distribution

Les filles de ce groupe sont en tout cas parfaites, on capte rapidement leur énergie. Comment est-ce que tu les as trouvées et comment as-tu travaillé avec elles ?

Pour tout acteur, qu’il ait un grand ou un petit rôle, j’ai besoin d’un coup de foudre. Vraiment, dans un sens propre. Je peux très vite savoir si ça va être la bonne personne pour interpréter le rôle de mon film. Même sans avoir besoin de jouer, juste le fait de parler avec quelqu’un, de voir comment il respire, il bouge, capter la lumière dans ses yeux et son regard, … Tout ça me permet de savoir s’il va être malléable ou pas pour ce film. Les trois filles, cela a été un coup de cœur pratiquement au premier regard. Une fois que je les ai trouvées, il était important de créer de l’amitié dans ce trio. Dès le matin, on s’amusait, on faisait plein d’activités durant le mois de prépa qu’on avait, et on répétait l’après-midi. Il y avait du boulot car c’étaient des comédiennes qui n’avaient pratiquement pas joué donc c’était double challenge. Il ne fallait pas que ça mente à l’écran, sachant qu’on avait un tournage très très très très court avec en moyenne 2 à 3 prises par plan donc je n’avais pas mille possibilités ! (rires) Il fallait que je trace. J’ai eu la chance de voir que ces filles se sont très vite entendues et sont aujourd’hui amies. C’était important pour moi.

Tu parlais d’un tournage très court, surtout que c’est un premier long-métrage. Y avait-il d’autres challenges en ce sens ?

Le challenge était assez frustrant car ça fait 10 ans que je bosse pour faire ce film et on a eu énormément de mal à trouver de l’argent. C’est une typologie de film compliquée… Ce n’est pas un Marvel ou un Disney ! (rires) Je n’ai donc pas eu beaucoup d’argent pour le faire. On l’a fait quasiment avec un demi-million, ce qui n’est rien du tout. On a dû se demander : « On a ça comme argent. Soit on le fait mais ça va être en mode guérilla, soit on ne le fait pas du tout ». J’ai répondu « Bien sûr qu’on le fait, ça va être la guerre mais on va bien le faire ». Quand tu dis Go, tu as un mois de prépa, alors qu’on a d’habitude plus. J’ai eu 22 jours de tournage, quasiment un mois de montage, un mois de montage son. Bref, en 4 mois, le film était presque plié, ce qui était très dur. C’était très frustrant en partie car une part de moi se disait qu’on m’a fait galérer pendant 10 ans et qu’on ne m’a pas donné forcément toutes les clés nécessaires pour faire le film que je voulais. Tu imagines bien que, lorsque j’ai eu le scénario et qu’on m’a dit qu’on n’avait que 500 000 €, j’ai dû réécrire pour que ça rentre et faire énormément de coupes et de choix. Mais la victoire est là. Je n’ai jamais lâché, j’ai fait mon film et quand, en plus, je suis sélectionnée à des festivals comme ça, c’est le bonus suprême.

Que ressens-tu avec ce passage au FIFF ?

Quand on fait un film, c’est déjà tellement dur que la première victoire est effectivement de le faire. Il y a des festivals comme le FIFF qui sont hyper prestigieux et honorifiques. D’un côté, on est hyper content d’une manière égotripée, et de l’autre, on se dit qu’une sélection ne tient à rien. Il faut être lucide. C’est quand même une part de chance et de timing donc je suis hyper contente d’être ici. Après, je fais des films pour qu’ils soient vus un maximum. J’essaie avec mes petits moyens de planter des graines, d’éveiller les consciences, de bousculer les idées reçues. Je suis alors trop contente. Le FIFF est surtout le premier festival francophone que je fais. Je vais être face à une salle où il y aura forcément des réactions que je n’ai pas encore vues ni entendues. Cela me stresse d’un côté et de l’autre, je suis hyper impatiente de voir ça.

En parlant de cinéma francophone, il subit beaucoup de préjugés par rapport à sa diversité. Quel est ton regard là-dessus ?

Je ne sais pas si c’est là où tu veux m’amener ou si c’est ce que tu dis mais moi, il y a juste quelque chose qui a tendance à me frustrer. C’est quand on parle de films de banlieue, ce que je disais au tout début. Si aujourd’hui, l’étiquette « film de banlieue » existe, c’est qu’on ne donne pas les moyens à des personnages issus de minorités d’exister dans une autre histoire que le fait d’être en banlieue. Ou alors, il faut le traiter, on n’a pas l’impression que ça peut être gratuit. Du coup, c’est quelque chose qu’il faut combattre et qui est combattu je crois. Il y a de plus en plus de diversités sans que cela ne soit un sujet dans le film mais il y a encore du boulot.

Copyright Paname Distribution

Par rapport à ça, le film dégage un énorme pouvoir sororal, quelque chose qui se trouve de plus en plus j’ai l’impression avec cette sororité poussant à l’engagement comme Annie colère ou Riposte féministe. À quel point est-ce important de voir de plus en plus de films de ce genre trouver leur voie mais surtout leur public ?

Le combat est durement mené, on parle beaucoup plus de sororités, de mouvements féministes, sans que ce ne soit forcément vulgaire ou quelque chose de mal. Le problème est que le combat est encore loin d’être gagné. Donc c’est très bien que ce soit de moins en moins tabou et qu’on fasse de plus en plus de films sur ça et il faut continuer car, malheureusement, ce n’est que le début. Pour l’anecdote, j’ai commencé à écrire ce film il y a très longtemps et j’ai vécu le mouvement #MeToo. J’ai réécrit et réadapté le film car il avait été écrit avant que le mouvement existe. Je me souviens avoir dit un jour à mon producteur que j’écrivais un film qui allait être obsolète au moment où on allait trouver des financements. Je pensais que, d’ici là, le #MeToo allait faire qu’il n’y allait plus avoir de problèmes. J’étais hyper naïve mais j’y croyais vraiment. D’un côté, j’étais en train de me dire que j’allais faire un film qui allait faire un flop car il serait hors du temps et arriverait trop tard. Et d’un autre, je me dis que le bordel est encore là mais c’est bien qu’il y ait de plus en plus de films comme ça. Je pensais que ce serait révolu en 2023 (rires).

Je suis à la fois content que le film soit là mais triste en effet là-dessus.

Voilà, que tant de temps après #MeToo, qu’il y ait encore autant de résonnances. De façon égoïste, je suis trop contente car du coup, je n’ai pas fait le film pour rien (rires). Mais la partie féministe de moi se dit « mince ». S’il a une telle résonnance, c’est qu’il y a encore un problème.

J’ai été touché par cette relation avec le père, notamment dans le choix de cadre au début. On isole vraiment le personnage avec sa mère…

Ah, tu es le seul qui me parle de ça ! Merci quoi !

Je suis content ! Mais désolé en même temps ! (rires)

Mais ouais, mes cadres racontent quelque chose, ce n’est pas gratos et personne ne le voit. Je suis très contente, merci !

Copyright Paname Distribution

Ça me touche et je suis profondément désolé en même temps car j’ai trouvé cela tellement impactant quand on la voit chanter du Bruel avec sa maman.

C’est quelque chose que j’ai vraiment vécu avec ma mère. C’était notre seule façon de se dire je t’aime en fait. C’est donc une scène que j’ai vécue un milliard de fois. Mais revenons à la relation avec le père.

La façon dont il pleure à la fin…

Attention spoilers ! (rires) Ce n’est pas grave.

Désolé ! Mais la manière dont il a tellement subi des violences qu’il les a intégrées en lui… J’ai été pris. Quel était le traitement par rapport à ça ?

Ça a en fait été hyper difficile de créer ce rôle, cette relation entre père et fille car il y a beaucoup de vrai, beaucoup de moi dans Amina, comme dans cette relation. Donc ça a été très dur. On a beaucoup réécrit avec Mounir Margoum, qui interprète le rôle du père, pour l’adoucir un peu. Dès la préparation, j’avais prévenu qu’il y avait une scène où il ne fallait que le minimum vital de l’équipe et c’était dans cette scène parce qu’elle était pour moi très importante d’un point de vue personnel et émotionnel. D’ailleurs, j’étais en larmes derrière mon combo. C’est toujours hyper compliqué de mettre de soi et de rester pro mais pour ça, Mounir a été incroyable dans ce qu’il a ramené avec le père. C’est donc du personnel et beaucoup de travail avec le comédien pour avoir cette scène.

Un autre point intéressant, c’est le fond social qui explose justement dans cette scène. À quel point cela était important pour toi d’aborder ça ?

En fait, je trouvais que c’était hyper important de montrer comme je te disais au tout début à quel point un même combat ne peut pas se faire avec les mêmes armes. Si tu veux, j’ai vécu un peu dans deux milieux toute ma vie car j’avais une partie de moi qui était avec mes potes de quartier populaire et une partie avec des amis qui sont plutôt aisés. Quand j’entendais comment un même sujet était débattu de façon complètement différente, je me demandais d’où venait le problème. Il y a un fond social à tout ça. Le fait que j’étais justement entre les deux, je me cherche aussi ou j’essaie avec certains de me fondre un peu dans la masse, être plus blanche que blanche, et avec d’autres être l’arabe. En fait, je me suis dit qu’il fallait absolument que je parle de ça. C’est un peu ce qu’on appelle l’intersectionalité si tu veux. Je voulais absolument raccrocher au sujet du #MeToo, qui était vraiment mon principal sujet, cette dualité un peu culturelle que je porte en moi et pousser un peu à travers ce débat autour de #MeToo ces deux mondes qui se regardent, s’affrontent, ne se comprennent pas forcément et se jugent.


Entretien réalisé par Liam Debruel.

Merci à l’équipe du FIFF pour cet entretien.

Aucun commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.