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[CRITIQUE] : Sans Jamais nous connaître

Réalisateur : Andrew Haigh
Avec : Andrew Scott, Paul Mescal, Claire Foy, Jamie Bell,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Britannique, Américain.
Durée : 1h45min

Synopsis :
A Londres, Adam vit dans une tour où la plupart des appartements sont inoccupés. Une nuit, la monotonie de son quotidien est interrompue par sa rencontre avec un mystérieux voisin, Harry. Alors que les deux hommes se rapprochent, Adam est assailli par des souvenirs de son passé et retourne dans la ville de banlieue où il a grandi. Arrivé devant sa maison d'enfance, il découvre que ses parents occupent les lieux, et semblent avoir le même âge que le jour de leur mort, il y a plus de 30 ans.




Critique :


Il n'est pas rare de se sentir merveilleusement à la dérive à la vision du dernier effort en date du cinéaste britannique Andrew Haigh, Sans Jamais nous connaître (seconde adaptation du roman Strangers de Taichi Yamada, après celle du nippon Nobuhiko Obayashi), un sentiment totalement conscient tant cette incertitude charmante et (presque) inhabituel, reflete justement ce que traverse au quotidien son personnage principal, catapulté au cœur d'une odyssée intérieure pour réconcilier ses traumatismes passées avec sa solitude et des douleurs d'aujourd'hui, dans un monde à la fois légèrement décalé et onirique.

Exit le regard tout en nostalgie et en regrets de la bourgeoisie nippone des années 80, Haigh réactualise, s'empare du roman de Yamada pour mieux y apporter sa propre sensibilité et des problématiques résolument plus contemporaines, l'adapte à son image pour mieux la sublimer autant que la trahir.
Ici, il nous fait le spectateur de la désorientation psychologique, sentimentale et intemporelle d’un scénariste londonien dont la frustration professionnelle est exacerbée par le sujet qu'il aborde (son propre passé), qui observe la capitale britannique depuis sa fenêtre sans être capable de l'atteindre ni de la saisir, à l'image de sa propre existence.

Copyright 2023 20th Century Studios All Rights Reserved.

Son appartement, perdu au cœur d'une gigantesque copropriété fraîchement construite dont il est l'un des rares habitants à avoir déjà emménagé, est à l'image de ce qu'il est réellement : perdu dans les limbes du temps, ou le moindre reflet vers l'extérieur (les immenses vitres de son appartement comme ses écrans), vide et sans vie, le renvoi à ses propres tourments, a son propre anonymat, sa propre inexistance.
Tout bascule lors d'une simple test incendie, ou il fait la rencontre d'un homme plus jeune mais tout aussi tourmenté que lui, Harry...

Jusqu'ici puissamment littérale, l'histoire embrasse dès lors lentement mais sûrement un romantisme et un onirisme passionné ou Adam, bloqué professionnellement et intimement parce qu'il est, paradoxalement, totalement tourné vers ses traumatismes d'enfance sans forcément les confronter en profondeur, va retrouver l'inspiration et guérir en recherchant physiquement son passé, en ravivant ses souvenirs pour mieux les réécrire, en se reconnectant avec ses parents disparus pour mieux leur partager son histoire d'hier et d'aujourd'hui.

Leur retrouvaille, à la fois étrange (ils apparaissent résolument plus jeune qu'Adam) et bouleversante, fruit de multiples allers-retours urgents d'Adam dans la maison familiale (des séquences fantasmagoriques que Haigh aborde avec un réalisme déchirant), permet au bonhomme de passé du stade emprisonné et emprisonnant du souvenir, à une reconstitution réparatrice et salvatrice tant il extrait de la banalité de ceux-ci, un amour sensible et partagée qui n'était jusqu'ici que supposé (une acceptation de ses traumatismes, de ses douleurs, de son homosexualité,...).

Copyright 2023 20th Century Studios All Rights Reserved.

Ou quand le scénariste se fait, métaphoriquement, le cinéaste de sa propre vie, qui élimine du montage de son existence les conflits et les angoisses liés à une parentalité qui n'est désormais plus autoritaire, mais aimante et profondément contemporaine, pour mieux se sentir " apaisé " et effacer l'effrayante solitude du présent, pour mieux sentir une présence, même fictive, dans un quotidien qui en est dénué.
Une solitude justement rompu par sa relation avec Harry, passant d'amitié timide et méfiante à quelque chose de plus sensuel et désespéré, ou les étreintes se mélangent aux évocations de leurs antécédents familiaux.

Magnifique et mélancolique ghost story qui fait fit de s'attarder sur l'inexplicable pour mieux exprimer l'inmontrable (où le grain du 35mm et les couleurs chatoyantes, ne font qu'accentuer la sensation d'une temporalité hors du temps), qui perd peut-être de sa puissance dans son pendant romantique (peut-être plus fonction et dramatiquement moins riche), quand bien même Haigh, croque ici une déclinaison fantastique de la romance familière (via un pont fragile et menaçant continuellement de s'effondrer, entre réalité et imagination); Sans Jamais nous connaître est un formidable mélodrame, un hymne vibrant et vivant au carpe diem, à l'idée de vaincre le confort de l'abandon à la nostalgie et au regret, pour mieux s'ouvrir, s'abandonner au monde et à son altérité, quitte à s'exposer à la déception et à la douleur.


Jonathan Chevrier