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[CRITIQUE] : The Royal Hotel


Réalisatrice : Kitty Green
Acteur : Julia Garner, Jessica Henwick, Hugo Weaving, Toby Wallace,
Distributeur : -
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Australien, Britannique.
Durée : 1h31min

Synopsis :
Les deux amies américaines, Hanna et Liv trouvent un poste au "Royal Hotel", un bar dans une minuscule ville minière au fin fond de l'Outback australien. L'hôtel est connu pour son turn-over et son recrutement de jeunes femmes principalement. Bientôt, elles se retrouvent piégées au milieu de nulle part...



Critique :


Et si Kitty Green était la cousine américaine et résolument plus féministe, de notre Stéphane Brizé national ?
Le rapprochement est un peu (bon, beaucoup) vulgaire certes, mais pas si déconnant que cela sur certains points.

Après s'être penchée avec un réalisme foudroyant sur le sort abject réservé aux assistantes dans le milieu des grandes entreprises, dans un contexte furieusement Weinsteinien - The Assistant -, la cinéaste approfondit son exploration des dynamiques de pouvoir et de l'expérience (similaire à une survie au jour le jour) féminine dans un milieu professionnel sensiblement toxique, inconfortable et violent avec le fiévreux The Royal Hotel, qui fleure bon la poussière aride et hostile de l'Outback australien - et pas vraiment celui de Mick Dundee et de sa Geraldine.

Copyright Universal Pictures

La narration (fortement inspirée du brillant documentaire Hotel Coolgardie de Pete Gleeson, disponible sur Prime Vidéo) se fixe sur deux meilleures amies canadiennes, Hannah et Liv (solide tandem Julia Garner/Jessica Henwick), deux backpackers aux sensibilités opposées dont les envies d'ailleurs et de bousculer leur train-train du quotidien, vont les emmener à voyager en Australie, ou le dépaysement va vite aller de pair avec des économies épuisées.
Elles décident alors de s’inscrire à un programme de travail temporaire pour voyageurs, histoire de récupérer un peu de cash pour se balader auprès des kangourous et quitter la coûteuse Sydney.
Mais le dit programme va les emmener bosser en tant que serveuses dans une taverne reculée, au coeur d'une ville minière planquée au milieu de nulle part, tenue par le barbu et alcoolique Billy (le définitivement trop rare Hugo Weaving).

Un bar miteux qui fournit " des services " mais avant tout et surtout d'énormes quantités d'alcool au groupe de mineurs - mais pas que - des alentours, qui n'ont pas besoin de trop être imbibés de bibine, pour se montrer dérangeant.
Bien loin des vacances amusantes et sauvages loin de tout qu'elles espéraient, Liv et surtout Hannah, bien moins insouciante, vont vite réaliser qu'elles sont piégées dans un véritable enfer sur terre, dont rien ni personne ne pourra les sauver - sauf elles.

Copyright Universal Pictures

Dans l'ombre de Ted Kotcheff (comme souvent, Wake in fright n'est jamais loin), avec sa mise en images de la lente dilution d'une humanité qui connaît, affirme et n'a de cesse de nourrir la bête ivre qui est en elle, à laquelle elle plaque la même structure tendue et anxiogène que pour The Assistant - tout en poussant les potards du malaise encore plus loin -, Kitty Green fait de The Royal Hotel un cauchemar oppressant et hostile, catapultant son auditoire au plus près du calvaire vécu par ses héroïnes, au plus près d'une hostilité ouvertement violente qui les objectifie comme des bouts de viande, les harcèle, en fait des proies impuissantes à chasser, à posséder, à dominer.

Tout est une menace car tout - et tous - peut les atteindre (de la vulgarité des plus inoffensifs, aux comportements dangereux des prédateurs), la cinéaste accumulant crescendo les séquences sous tension pour mieux imprimer leur plongée dans les abîmes, expurgée de tout effet grand-guignolesque, jusqu'à un jouissif et cathartique renversement du pouvoir de domination (ce qui était refusé à l'héroïne de The Assistant), où le chaos répond par le chaos, où l'incarnation physique de la misogynie et de masculinité toxique - le bar - croulera sous le poids des flammes (le retour de bâton et l'expression de la rage bouillonnante des femmes).

Copyright Universal Pictures

Bifurquant avec plus où moins d'assurance sur le terrain de l'horreur sans pour autant y plonger tête la première (on est sur quelques petites touches discrètes, à l'opposée d'un proto-Wolf Creek aux accents féministes), The Royal Hotel, sous la chaleur écrasante d'une testostérone oppressante, incarne plus qu'un simple portrait laid et peu reluisant de l'Outback australien (misogynie, racisme, alcoolisme,...), celui d'une laideur universelle alimentée par un patriarcat dominant et (trop) rarement contesté.

Un survival féministe à combustion lente, un thriller puissant et socialement conscient comme on en voit peu, cruellement cantonné à une sortie en catimini dans l'hexagone.


Jonathan Chevrier