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[CRITIQUE] : Les Chambres Rouges


Réalisateur : Pascal Plante
Avec : Juliette Gariepy, Laurie Fortin-Babin, Elisabeth Locas, …
Distributeur : ESC Films
Budget : -
Genre : Thriller
Nationalité : Canadien
Durée : 1h58min

Synopsis :
Deux jeunes femmes se réveillent chaque matin aux portes du palais de justice de Montréal pour pouvoir assister au procès hypermédiatisé d’un tueur en série qui les obsède, et qui a filmé la mise à mort de ses victimes. Cette obsession maladive les conduira à tenter par tous les moyens de mettre la main sur l’ultime pièce du puzzle, qui pourrait permettre de définitivement confondre celui que l’on surnomme le Démon de Rosemont : la vidéo manquante de l’un de ses meurtres.


Critique :


Ses gestes semblent sûrs et répétés mille fois. Kelly-Anne se réveille à l’aube, après avoir dormi dans la rue. Elle se dirige vers le palais de justice, passe la sécurité avec son gros sac à dos, vérifie les salles des procès et gagne la salle qui l’intéresse pour y prendre une place de choix. Elle n’est ni juge, ni avocate. Elle ne fait pas partie des jurés, elle ne connaît personnellement ni l’accusé, ni les victimes ou les parents des victimes. Pourquoi, alors, a-t-elle fait tout ceci pour être sûr d’avoir une place ? Est-ce le procès qui l’intéresse, les mécanismes de la justice, cette enquête en particulier ?

Copyright Nemesis Films inc

Pascal Plante, qui réalise son troisième long-métrage avec Les Chambres Rouges, joue sur l’opacité des motivations de son héroïne, interprétée par une Juliette Gariépy marmoréenne. La caméra laisse de côté Kelly-Anne au profit du procès, afin de donner aux spectateurs toutes les informations nécessaires. La mise en scène épouse les dynamiques d’un procès : l'arrivée de l’accusé, curieusement enfermé sous verre, les dialogues des deux avocats et leur joug verbal. La colorimétrie, jusqu’ici assez appuyée par des couleurs primaires, laisse la place au blanc. Un blanc froid, glacial, chirurgical, au diapason avec le cadre, posé et rythmé comme un métronome.

Une fois les tenants et aboutissants posés, la caméra reprend son observation de Kelly-Anne et nous dévoile une toute autre personne quand on s’aperçoit qu’elle est loin d’être sans le sou. Mannequin, as du poker en ligne, hackeuse hors pair, Kelly-Anne a plus d’un tour dans son sac. Il faut lui rajouter une fascination malsaine pour les tueurs en série, notamment l’homme dont elle vient de voir le début du procès, accusé de tortures, viols et meurtres sur des jeunes femmes, en ligne, au sein des red rooms (les fameuses chambres rouges) du darknet. À force d’aller tous les jours au palais de justice, elle finit par se lier d’amitié à une autre femme, fascinée elle-aussi par l’accusé. Clémentine est aussi exaltée que Kelly-Anne est réservée. Persuadée de son innocence et amoureuse de lui – parce que ses yeux lui crient qu’il est victime d’une machination, Clémentine pense avoir trouvé en Kelly-Anne une comparse qui la comprend. Mais cette dernière est-elle aussi une “groupie” ? Ses motivations, toujours aussi nébuleuses, sont la première couche du suspense des Chambres Rouges.

La deuxième couche du suspense se tient sur les motivations du film en lui-même. Thriller, critique des groupies de tueurs en série, hommage au True Crime ? Pascal Plante aime jouer avec nos nerfs et distille, avec parcimonie, les enjeux du film. Deux séquences pivots nous aiguillent. La première, lorsque Clémentine appelle en live une émission qui ressemble, à s’y méprendre, à un Touche Pas à Mon Poste québécois. On accepte son appel uniquement pour se moquer de son point de vue et produire une séquence buzz qui, on le devine, sera reprise sur les réseaux sociaux. La deuxième est un simple plan fixe, où l’on regarde Kelly-Anne et Clémentine regarder le meurtre d’une des victimes. Éclairé de rouge, leur visage est le parfait opposé de l’autre. Celui de Clémentine se décompose tandis que celui de Kelly-Anne reste parfaitement neutre, même si on pourrait s’amuser à y lire du plaisir, par pur effet Koulechov. Là réside tout l’enjeu du film. Les Chambres Rouges nous pousse dans nos retranchements, sans même insérer une once d’image violente, pour nous enjoindre à réfléchir sur la représentation du mal. Pourquoi place-t-on les tueurs en série dans la lumière, et les victimes dans l’ombre, en comparaison ? Quels sont les mécanismes derrière cette fascination et comment les images que l’on produit, que l’on consomme, ont leur part de responsabilité ?

Copyright Nemesis Films inc

Outre la difficulté d’avaler la couleuvre sur notre responsabilité envers la médiatisation des tueurs en série, Les Chambres Rouges glace le sang grâce à son personnage principal, Kelly-Anne, qui pousse le curseur des représentations féminines dans le genre du thriller. À la manière d’une Lisbeth Salander, hackeuse professionnelle froide et sans scrupule, le personnage se déplace dans un monde d’homme (l’informatique, le poker) avec ses propres codes. Mais contrairement au personnage créé par Stieg Larsson, nous n’avons pas vraiment envie d’être du côté de Kelly-Anne. Quelque chose nous en empêche, quelque chose de viscéral dans sa façon de vouloir tout contrôler : son poids, son image, son argent, sa vie. Peut-être est-elle hantée par l’image de la femme, construite depuis des siècles, maudite et victime des hommes, comme le montre son fond d’écran, la représentation d’Elaine D’Astolat, morte d’amour dans le tableau de John Atkinson Grimshaw ou son pseudo du darknet, Lady of Shallot, l’héroïne du poème de Tennyson. Peut-être que sa fascination pour la violence est-elle un moyen de défense : plutôt qu’être une victime des hommes, autant participer à cette malédiction et en être l’actrice principale.


Laura Enjolvy


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