[CRITIQUE] : La vie rêvée de Miss Fran
Réalisatrice : Rachel Lambert
Avec : Daisy Ridley, Dave Meherje, Parvesh Cheena, Marcia Debonis, Megan Stalter,…
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Comédie, Comédie dramatique, Drame, Romance.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h31min
Synopsis :
Fran est employée de bureau dans une petite entreprise portuaire de l’Oregon. D’une timidité maladive, cette célibataire mène une existence millimétrée, dénuée de toute fantaisie – exception faite des étranges rêveries auxquelles elle s’abandonne. Mais les choses changent le jour où Robert, nouvelle recrue fantasque et sympathique, fait mine de s’intéresser à elle…
Critique :
C’est parce que la cinéaste Rachel Lambert n’a pas peur de confronter son héroïne à la nouveauté, avec son absence de filtre, son imagination fertile et son originalité qu’elle n’essaie jamais de lisser, que #LaVieRêvéeDeMissFran est aussi délicieux à regarder. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/U2Q305atjI
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 8, 2024
« Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages » disait Agnès Varda. Si on ouvrait Fran, l’héroïne du nouveau long-métrage de Rachel Lambert, on la trouverait allongée sur le sable d’une plage ou dans une forêt, gisant morte. L’imagination macabre, quoique foisonnante du personnage, contraste avec son apparence froide et timide. La vie rêvée de Miss Fran la suit dans un quotidien morne, simple employée de bureau dans une ville côtière, calme et déserte, de l’Oregon. Fran est peut-être douée pour faire des tableaux Excel, mais elle échoue à construire des relations, même superficielles, avec ses collègues. C’est comme si le film, pour une raison qui nous échappe tout d’abord, avait voulu se tourner vers un personnage tout sauf cinématographique. Fran, c’est la collègue qu’on oublie toujours d’inviter à déjeuner, c’est la personne avec qui on a jamais échangé plus de deux mots. C’est la femme invisible qui n’a jamais connue d’aventures.
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L’ennui, au cinéma, n’est pas seulement l’apanage de Sofia Coppola. Rachel Lambert s’emploie à retranscrire le quotidien de Fran, avec des plans longs, des focales courtes et peu de dialogues. Elle le fait si bien qu’aucun spectateur ne pourrait dire qu’il envie l’existence du personnage. Le sentiment de solitude s’échappe de Fran comme du pus et semble éloigner tous les autres personnages du film. La solitude est si grande qu’elle place Fran en bord de cadre parfois, comme si c’était elle le personnage principal. Daisy Ridley, qu'on n’avait plus vu sur un écran de cinéma français depuis l’épisode IX de Star Wars, prête ses traits à cette Fran avec brio. Alors que rien n’est fait pour la rendre agréable, l’actrice britannique arrive à transformer ce personnage mutique et le rendre attachant, rien que par sa présence, presque magnétique. Drôle à son insu, Fran est aussi mystérieuse et profonde qu’un personnage de Virginia Woolf. On la verrait bien hanter les pages de To the lighthouse (La Promenade au Phare), avec son spleen et sa violente imagination autour de la mort.
La vie rêvée de Miss Fran avait tout pour être aussi peu avenant que Fran et pourtant, alors que les silences gênants s’accumulent, que Daisy Ridley ne dit jamais plus de cinq mots consécutifs en rasant les murs, le film s’illumine à l’arrivée d’un nouveau collègue, Robert. Il n’est ni beau, ni très intéressant, mais il possède une chose qui fascine Fran : la possibilité d’un renouveau. Il ne la connaît pas, veut se fondre dans ce nouveau bureau et apprendre à connaître tous ses collègues, dont Fran. Leur duo n’est ni un début de romance, ni un coup de foudre. Il est seulement une main tendue pour Fran, désespérément seule, dans une ville qui ne semble pas vibrer par ses lieux de rencontre. Par son biais, elle découvre les murder parties et y excelle, parce qu’elle y va à fond. Par son biais, elle découvre également qui lui faut mettre un peu du sien pour s’ouvrir aux autres, sans qu’elle ait besoin de changer quoi que ce soit à son caractère.
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Il est reposant de voir un film où l’héroïne n’est pas atteinte d’un trouble psychique quelconque ou d’un traumatisme d’enfance pour justifier son manque d’ouverture relationnel. Fran ne souffre pas de solitude, ce qui ne l’empêche pas de vouloir se connecter aux autres. C’est parce que la réalisatrice n’a pas peur de confronter Fran à la nouveauté, avec ses pensées et son originalité qu’elle n’essaie jamais de lisser (en résulte des quiproquos hilarants sur une conversation Slack) que La vie rêvée de Miss Fran est aussi délicieux à regarder. On se laisse déstabiliser avec plaisir par Fran, son absence de filtre et son imagination fertile, qui ne cesse de nous étonner. Sans cynisme aucun, Rachel Lambert explore les relations aux autres dans un espace aussi étriqué qu’un bureau en open space. Comme il est facile de cataloguer les gens ! Tout comme Fran, les gens, même les moins engageants, peuvent nous surprendre si on leur en laisse la possibilité.
Laura Enjolvy