[CRITIQUE] : Kokomo City
Réalisateur : D. Smith
Acteurs : -
Distributeur : Dean Medias
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h16min.
Synopsis :
Daniella, Dominique, Koko et Liyah se livrent sans tabou, avec humour et lucidité sur le travail du sexe, la communauté noire-américaine, la transidentité, les rapports femmes/hommes et l'amour. D. Smith, réalisatrice, elle-même concernée par ces enjeux, offre un regard cru, nerveux et rare sur la vie de ces femmes extraordinaires. Un documentaire coup de poing, surprenant et éclairant.
Critique :
Cousin naturel de Tangerine,#KokomoCity incarne un empathique portrait de femmes transgenres afro-américaines, systématiquement stigmatisées et soumises aux diverses violences d'une société contemporaine hypocrite, un beau plaidoyer engagé et puissant contre leur invisibilisation pic.twitter.com/G86oVMOIx2
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 10, 2023
Trois ans, c'est le temps qu'il aura fallu à la wannabe cinéaste D. Smith pour mener à bien son premier effort (sur lequel elle enchaîne les casquettes, du montage à la réalisation, en passant par la photographie), Kokomo City, documentaire aussi simple - mais point simpliste - en apparence qu'infiniment personnel, une plongée puissante et émouvante dans la vérité d'une poignée de femmes transgenres afro-américaines et travailleuses du sexe, au cœur d'une Amérique qui n'a de tolérance que les fausses promesses de son hypothétique rêve.
Entre New-York et l'État de Géorgie, embaumé dans un noir et blanc aussi sophistiqué qu'opportun (pas si éloigné des photographies chromées d'Helmut Newton), la cinéaste colle au plus près des visages et des corps, enchaîne le discours direct et rapproché de ses femmes qui ont vu dans la prostitution, autant une évasion tragique que leur seul moyen de survivre dans les méandres d'une précarité économique et sociale totale.
Copyright Magnolia Pictures |
Sans réelle ligne directrice ni véritable ordre thématique, Smith laisse tout du long voguer le court de ses discours courageux et vibrant, alternant habilement entre tragédie et humour, avec une énergie et une vitalité impressionnante, tant l'espace cinématographique qu'elle crée a tout d'une scène à la fois délicate et cotonneuse, propice à témoigner avec sincérité, sans aucun jugement ni orientation malsaine pour titiller l'émotion (ni fausse compassion), pour rechercher un quelconque effet narratif ou esthétique.
Grâce à l'intelligence et à la pureté de cette approche, expurgé de toute interférence argumentative ou structurelle, ses témoignages n'en sont que plus rafraîchissants et vrais, vissé sur ses âmes marginales qui ramènent sur la table des thématiques et questionnements essentielles (les notions de genre et d'identités sexuelles, le racisme et la - violente - masculinité toxique comme moteurs des inégalités socioculturelles, la lutte des classes, la criminalité présente à tous les coins de rue, la précarité et l'indifférence sociale, le corps comme seul outil de contestation,...), dans une conversation franche et désinhibée avec la caméra - et donc le spectateur -, profitant de cette petite bulle d'expression libre et spontanée totale qui leur est offerte.
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Cousin naturel, digne et authentique au Tangerine de Sean Baker, Kokomo City, jamais monotone et continuellement en mouvement, se fait un beau et empathique portrait de femmes systématiquement stigmatisées et soumises aux diverses violences d'une société contemporaine hypocrite qui les rejette, un plaidoyer politique nécessaire et audacieux contre leur invisibilisation.
Définitivement, l'une des plus belles découvertes de cette fin d'année ciné.
Jonathan Chevrier