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[FESTIVAL] : Retour sur la 43e édition du FIFAM



La 43e édition du Festival International du Film d'Amiens s'est déroulée du 10 au 18 Novembre 2023. Comme depuis ses débuts, le festival est connu pour mettre en lumière deux régions du monde via le cinéma : l'Afrique et l'Amérique latine. Cette année, peu de films africains, mais un fort accent mis sur les disparu-e-s de l'Amérique latine (à l'occasion de la 50e commémoration du coup d'état de Pinochet au Chili). En parallèle, la section phare de l'édition est consacrée aux présences de vaches au cinéma, définit comme un symbole de la féminité. Ce qui a donné lieu à l'affiche réalisée par les artistes amiénoises de Maison Cormeille. Puis, d'autres sections pour agrémenter la curiosité et toujours donner un état du monde à travers des valeurs d'inclusions et d'amitié entre les peuples : la gay rom-com, le cinéma de Davy Chou et les films cambodgiens qu'il produit via Anti-Archive, les coups de cœur du patrimoine et les avant-premières, les films réservés au jeune public. Mais aussi trois compétitions : une pour les longs-métrages, une pour les moyens-métrages, une pour les courts-métrages. Cet article ne reviendra pas individuellement sur chaque film vu, mais propose une réflexion en parcourant un thème qui alimente chacun d'entre eux, d'une façon ou d'une autre. Il est possible que toute la vingtaine de films vus n'entre pas dans ce texte.


Paysages et identités en conflit


Une caméra semble avoir parcouru le monde entier à la recherche de paysages en souffrance. Celle d'un festival qui trace une ligne entre toutes ses sections, entre toutes les cultures mises en avant dans la programmation. Une caméra sensible qui donne la voix à des disparus, à des vaches, à des minorités sous représentées, à des civilisations en colère ou dans la misère, etc... ayant pour point commun des identités cherchant à se faire une place dans le paysage. Que ce soit à travers la fiction ou le documentaire, voire parfois dans un mélange des deux, les films de la sélection 2023 montrent tous un intérêt commun pour ce qu'un espace (ou plusieurs, parfois) dit d'une personne / d'un personnage. Comment ce paysage définit l'être ou définit un mal-être. L'intime se confronte au collectif, le présent se confronte au passé, la misère ou la souffrance se confrontent à des rêves. Pour finalement que le paysage relaté dans un cadre soit le reflet d'un désir d'ailleurs.

C'est notamment le cas de Mory et Anta dans Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty (1973), essayant de quitter les quartiers pauvres de Dakar pour s'évader vers Paris. Face à l'ultra violence de cet environnement qui n'a rien à leur offrir, le cinéaste emporte ses personnages vers la désinvolture, vers le fantasme. Une chronique qui se transforme en fable, pour fuir une condition écrasante, afin que chaque nouvelle parcelle du paysage construise une nouvelle identité – entre autres avec les symboles (les cornes sur la moto) et les vêtements volés. Cette volonté de s'émanciper de l'endroit d'où l'on vient, pour pouvoir accéder à autre chose, est aussi au cœur de Rue Cases-Nègres d'Euzhan Palcy (1983). Des personnages envahis par ces cannes dépassant du cadre, par l'oppression de la colonisation, et par l'écrasement du peu d'espace disponible dans chaque case. Le jeune Assam ne peut que compter sur ses capacités scolaires pour poursuivre ses études ailleurs, et sur la détermination de sa grand-mère pour qu'il en ait les moyens. Malgré les opportunités qui se présentent à eux, Assam et sa grand-mère sont cesse rappelés par la misère, par la terre, par l'épuisement, par la débrouillardise.


Rue Cases-Nègres d'Euzhan Palcy - © JMJ International Pictures

L'espace à la fois comme ambition personnelle et empreinte d'une identité est au cœur de Chez jolie coiffure de Rosine Mbakam (2018). Au sein d'un centre commercial dans un quartier africain à Bruxelles, la coiffeuse Sabine détient un petit salon. S'y superposent son désir professionnel face à sa situation irrégulière, et les récits d'immigration des clientes qui se succèdent. Avec aussi quelques moments joyeux teintés de flirts ou de commérages bon enfants, ce salon de coiffure est un microcosme autant solaire que sous tension. A la fois pour cette vision si douce de ces personnes et leurs aspirations, mais également pour ces visions de cruautés (les agents de police qui circulent pour vérifier les papiers, des passants blancs qui s'arrêtent devant le salon en souriant comme s'ils regardaient un spectacle, …). On pense aussi aux oppressions contraignant toute liberté dans Le genou d'Ahed (Nadav Lapid, 2021) et Cow (Andrea Arnold, 2021), et réduisant les personnages à un conflit intime pour l'un et à une répétition tragique des mouvements pour l'autre.

C'est ainsi qu'une mélancolie ou un désespoir peuvent s'installer, avec la difficulté à s'affirmer et à trouver sa place. L'environnement où vivent les personnages peut sembler si limité pour réussir à s'émanciper, que seul l'imaginaire ou l'amour sont des marques d'identité. Dans Cronicas de una santa errante de Tomas Gomez Bustillo (2023, compétition), la chronique légère et parfois comique autour du quotidien de Rita se transforme en film fantastique. Cette seconde partie permet autant d'explorer l'attachement à un environnement, le deuil et évidemment l'affection au sein d'un couple, mais aussi de révéler toute une culture locale. Dans Les sœurs Munekata de Yasujirô Ozu (1950) tout récemment restauré, Setsuko et Mariko ont des envies très opposées. La première est pressée de se marier, et la seconde veut profiter de sa jeunesse. Mais entre tradition et modernité, les ressorts sentimentaux se ressemblent. Le destin des femmes dans cette société japonaise est aussi austère que la rigueur du cinéaste à peindre leur quotidien, où les aspirations et les sentiments se confrontent sans cesse aux barrières sociales et à la misère de l'après seconde guerre mondiale.


Les sœurs Munekata de Yasujirô Ozu © 1950 TOHO CO., LTD.

A propos des traces et des ruines que peut laisser le passé, il y a toutes ces personnes (et ces personnages, par extension) qui cherchent à le recomposer et le comprendre pour enfin vivre en paix. Patricio Guzman fait du rapport entre passé et présent une confrontation entre mémoire et modernité, dans Nostalgie de la lumière (2010). Dans un désert chilien, des astronomes observent les étoiles via une technologie de pointe. Mais dans ce même désert très sec, des restes humains sont conservés : il s'agit ceux d'hommes tués par le régime de Pinochet. Alors que les astronomes regardent vers le ciel, fuyant le sol, des femmes regardent en bas à la recherche des restes de leurs parents. Ce miroir entre le cosmique et l'organique est une rêverie technologique en même temps qu'une rêverie politique. La quête du ciel est une recherche des réponses sur l'infini, pendant que la quête des restes humains est une revendication de la mémoire. Cette dichotomie est le symbole d'un pays déchiré, d'une identité divisée, quand la quête des origines prend des formes différentes. Ce retour vers le passé est aussi au cœur de Bye bye Tibériade de Lina Soualem (2023, compétition). Des années après avoir quitté la Palestine pour poursuivre une carrière d'actrice en France, Hiam Abbass retourne dans le village où elle a grandi et vécu en compagnie de sa fille Lina Soualem. Là-bas, elle se raconte quatre générations de femmes au sein de leur famille, avec leur héritage commun où il a toujours été question de séparation et de recommencement. Les photos et les mots comme traces de la mémoire, et une identité qui retrouve ses traits dans les images d'un village et d'un appartement familial.

Le risque à ne pas retrouver les traces de la mémoire, ou de la négliger, est de voir à la fois un paysage et une identité s'effacer. Ou de les voir marginalisés. Face à la modernité, face à une certaine idée libérale du progrès, face à des discriminations mises sous silence, il y a des cinéastes qui mettent en lumière des paysages et des identités. Dans O Estranho (2023, compétition), Flora Dias et Juruna Mallon construisent une fiction – aux allures de documentaire – autour du plus grand aéroport brésilien de Guarulhos. Cet espace plein de béton (entre autres) est en fait bâti sur un territoire indigène, privant cette population d'une vaste partie de leur lieu d'habitation. Le film suit une membre du staff aux origines indigènes, en quête des traces de son passé qui constituent son identité, à travers les lieux qu'occupent actuellement les indigènes. Plus le film progresse, plus il s'embarque dans une sensorialité. Une manière de révéler une âme, de redonner un espace à quelque chose relégué au second plan. Il se passe la même chose dans le documentaire Rio rojo de Guillermo Quintero (2023, compétition), chronique de la vie colombienne autour de la célèbre rivière dont le surnom est dans le titre du film. Au nord de l'Amazonie, le cinéaste se fait témoin d'une vie paisible, tout en se faisant observateur d'une préservation territoriale menacée par l'arrivée de touristes et la négligence des politiques.

Bye bye Tibériade de Lina Soualem © Dok Leipzig

Le documentaire est presque un roman d'images en mouvements, pour aller chercher la beauté et l'essentialité dans les plus petites choses du quotidien, dans les détails du paysage. Il ne contient pas de témoignages, au contraire de La vie moderne de Raymond Depardon (2008). Dans le troisième volet de sa trilogie « Profils Paysans », le cinéaste et photographe français part à la rencontre d'agriculteurs dont la vie est difficile. Que ce soit à travers les portraits d'agriculteurs âgés qui ont passé leur vie dans ce travail, ou les portraits de jeunes qui souhaitent se lancer, le film montre comment l'agriculture est une vocation malgré les obstacles humains, financiers, matériels. Un corps de métier complètement délaissé, alors qu'il est montré comme une partie importante de ce paysage naturel. L'agriculture fait partie de l'identité française, mais le cadre n'y trouve que des corps épuisés, des ambitions freinées, et des animaux de moins en moins nombreux. Cet abandon se ressent aussi dans le documentaire Anhell69 de Theo Montoya (2022, compétition), où des personnes homosexuelles et transgenres cherchent désespérément leur place dans une société conservatrice. Au fil de portraits individuels et de réflexions plus générales sur l'état de la Colombie, le cinéaste crée une effervescence d'images là où ces personnes ne peuvent pas s'émanciper car constamment rejetées.

Défier les codes sociaux et politique d'un environnement, pour chercher sa place et affirmer son identité, est un geste pouvant contenir plein de poésie. Tout n'est pas nécessaire dramatique ou tragique. Il peut s'y trouver de la tendresse, de la délicatesse, une joie solaire. Cela vient forcément de la mise en scène, de ce que la caméra permet de retrouver de dignité et de place dans un paysage. Comme avec Foudre de Carmen Jaquier (2022, compétition) et Sans cœur de Nara Normande & Tião (2023, compétition), deux fictions venant de la Suisse et du Brésil, où des jeunesses sont en pleine initiations sentimentale et spirituelle. Deux fictions où des groupes de jeunes essaient de trouver leur liberté dans un environnement strict et cruel, dans un paysage de plus en plus délaissé et miséreux, tout en s'opposant à leurs familles. Alors qu'au Cambodge, le protagoniste adolescent de Diamond Island (Davy Chou, 2016) quitte la ruralité pour travailler sur les chantiers de cette île – promesse de paradis moderne. Il se lie d'amitié avec d'autres jeunes, et se forme aux responsabilités et aléas de la vie. Entre spleen, envoûtement et enivrement, c'est une identité en plein doute dans la naissance d'un nouveau monde.

Foudre de Carmen Jaquier © La Vingt-Cinquième Heure

Tous ces films montrent des personnages / des personnes en proie d'un rêve d'ailleurs. Celui d'un paysage où la mémoire et l'identité ne seraient plus des combats à mener. Celui d'un paysage où il n'y aurait ni frontière, ni barrière, ni rejet, ni aveuglement, mais plutôt une possibilité pour chacun-e d'avoir sa place en vivant dignement et librement.


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Palmarès


Qui dit festival, dit compétition. Voici le palmarès de la 43e édition du Festival International du Film d'Amiens :

Grand Prix long-métrage ex-aequo :

El castillo, de Martin Benchimol (Argentine) et Mon pire ennemi, de Mehran Tamadon (France, Suisse) – sortie française prévue le 28 février 2024.

Prix du jury long-métrage : 

Sans cœur, de Nara Normande et Tião (Brésil, France, Italie) – sortie française prévue le 6 mars 2024.

Grand prix du court-métrage :

Mast-Del, de Maryan Tafakory (Iran, Royaume-Uni)

Grand prix moyen-métrage :

Le bruit de l'eau, le gris du parking – le vert, de Théo Sauvé (France)

Prix documentaire sur grand écran :

Anhell69, de Theo Montoya (Colombie)

Prix du public :

Bye bye Tibériade, de Lina Soualem (France, Belgique, Palestine, Qatar) – sortie française prévue le 24 avril 2024

Prix du jury étudiants :

The bride, de Myriam Birara (Rwanda)

Mention spéciale du jury étudiants :

Mon pire ennemi, de Mehran Tamadon (France, Suisse) – sortie française prévue le 28 février 2024


Teddy Devisme