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[CRITIQUE] : La passion de Dodin Bouffant


Réalisateur : Trần Anh Hùng
Avec : Juliette Binoche, Benoît Magimel, Emmanuel Salinger, Galatea Bellugi,…
Distributeur : Gaumont Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Historique, Romance.
Nationalité : Français
Durée : 2h14min

Synopsis :
Eugénie, cuisinière hors pair, est depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin. Au fil du temps, de la pratique de la gastronomie et de l'admiration réciproque est née une relation amoureuse. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle.


Critique :


Reparti de Cannes 2023 avec le prix de la mise en scène, le nouveau long métrage de Trần Anh Hùng, La passion de Dodin Bouffant, a souvent été réduit à une histoire de pot-au-feu dans les critiques. Adapté du roman de Marcel Rouff La vie et la passion de Dodin Bouffant, publié en 1924, le film est, sans ambages, un hommage à la cuisine française, mélange de plaisir et de savoir-faire.

Copyright Stéphanie Branchu - 2023 CURIOSA FILMS – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA


Avec un nom pareil, Dodin Bouffant, le personnage ne pouvait être qu’un gourmet dont la vie tourne autour de la nourriture, surtout quand il s’agit de la manger. Le nom exprime un imaginaire grossier, une caricature du noble français qui ne ferait rien d’autre de ses journées que de manger. Comment Trần Anh Hùng, dont la filmographie est parsemée de délicatesse, a-t-il eu l’idée de mettre en image ce bon vivant français ? La recette semble bancale, peu propice à contenter nos papilles visuelles. Et pourtant, la magie opère.

Dans La passion de Dodin Bouffant, tout est une question d’harmonie. Le long métrage s’ouvre sur une préparation de repas et chaque détail, chaque plat sont composés avec minutie. Dans cette maison noble, dans cette cuisine aussi grande qu’un appartement étudiant parisien (si ce n’est plus), pas de hiérarchie entre Eugénie (Juliette Binoche) la cuisinière de la maison et Dodin (Benoît Magimel), le maître de demeure. Les deux personnages, aidés de la bonne Violette (Galatea Bellugi), forment un ballet culinaire, comme deux solistes en osmose. Il est presque évident que ces cuistots sont intimes tant leur corps se meuvent avec grâce et précision autour des poêles et du four. Les dialogues, ampoulés, sonnent presque faux quand le cadre sort de la cuisine, comme si parler de nourriture était aussi un art que peu de gens parviennent à réaliser à la perfection.

De quoi parle le film ? De cuisine ? Les séquences s’enchaînent, des plats sont créés puis sont dégustés, sont commentés avec différents niveaux d’expertise. Un menu est composé pour la venue d’un prince, des expérimentations sont effectuées sur le fameux pot-au-feu, la pièce maîtresse de ce menu singulier. Et pourtant, la cuisine n’est pas le sujet principal. Tout est dans le titre. Ce qui intéresse le cinéaste est bien la passion de Dodin, pour la cuisine évidemment, mais surtout pour la cuisinière qui fait battre son cœur. Eugénie est au centre du film, comme elle est au centre des préoccupations de Dodin, bien décidé à l’épouser après une vingtaine d’années de concubinage plus ou moins assumées. Celle-ci a toujours refusé les épousailles, par peur de devenir “la femme de” au lieu de son titre de cuisinière, auquel elle a l’air de tenir. Eugénie s’interroge sur la liberté d’une femme mariée, en particulier sur les questions de consentement. Pourra-t-elle toujours garder sa porte fermée, si l’envie n’est pas présente ? Dodin lui affirme que oui. Est-ce vrai cependant, quand on sait qu’à leur époque le viol conjugal n’était pas considéré comme tel ? Mais un mal la ronge et c’est peut-être parce qu’elle sent sa fin proche qu’elle finit par accepter, dans une demande en mariage mêlant romantisme et cuisine, Dodin confectionnant un dessert pour sa belle, avec une bague à l’intérieur.

Copyright Stéphanie Branchu - 2023 CURIOSA FILMS – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA


Ce romantisme s’échappe du récit et vient donner une douce atmosphère à la mise en scène. Celle-ci est comme évaporée, délicieuse et paisible, sans jamais un mouvement brusque ou un travelling trop prononcé, comme si Trần Anh Hùng ne voulait pas déranger ses personnages. Ironiquement, le film semble presque figé dans ses mouvements et sa lumière, qui ne quitte son ton orangé que pour se vêtir de sa couleur complémentaire, le bleu, lors de séquences nocturnes. La lumière et le cadre empruntent au style de Renoir (le peintre) son univers bucolique et joyeux de repas champêtre, mais chez les bourgeois. Dans cette séquence de repas à l'extérieur, on pense au tableau La Grenouillère. Puis dans la scène de promenade qui suit, ce sont les coups de pinceaux de La Promenade qui nous viennent en tête. Du côté des scènes plus intimes, c'est Manet ou le Rolla d'Henri Gervex qui nous viennent spontanément à l'esprit quand Dodin, vêtu, s'avance vers Eugénie, toujours dans son simple appareil.

Du pot-au-feu, nous ne verrons que des esquisses. La passion de Dodin Bouffant, loin de n’être qu’une simple ode à la cuisine française, est en réalité une douce histoire d’amour, basée sur une passion commune et l’absence d’une dynamique habituelle d’un couple du XIXème siècle. La cuisine y est donc importante, mais subalterne face aux sentiments puissants que les deux personnages se portent, à l’image de la séquence finale qui vient asseoir l’harmonie du couple, Eugénie voulant être sûre que son métier soit son existence, et non pas être “la femme de”. Un aspect que Trần Anh Hùng lui a concédé tout le long de son film.


Laura Enjolvy