[CRITIQUE] : La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar / Le Cygne / Le Preneur de rats / Venin
Réalisateur : Wes Anderson
Acteurs : Benedict Cumberbatch, Ralph Fiennes, Rupert Friend, Dev Patel, Ben Kingsley, Richard Ayoade,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Comédie, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 0h37min - 0h17min - 0h17min - 0h17min.
Savoureusement absurde et caustique autant qu'il est, Anderson oblige, gentiment mélancolique et loufoque,#LaMerveilleuseHistoireDeHenrySugar, sensiblement dans la même veine que les récents The French Dispatch et Asteroid City, se fait une (courte) fable douce et pleine d'esprit pic.twitter.com/a1ntLey3KA
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 27, 2023
Tous ceux ayant un minimum survolé le cinéma de Wes Anderson, sauront pour sûr que le bonhomme n'est pas étranger à l'univers merveilleusement baroque de Roald Dahl : il en est un invité de marque depuis son merveilleux Fantastic Mr. Fox.
Qu'il s'aventure à l'adapter de nouveau, en le ramenant vers son propre format bidimensionnel et impeccablement conçu, du côté de chez Netflix (qui a racheté pour la petite bagatelle de 700 millions de dollars, la Roald Dahl Story Company - l'ensemble des œuvres du légendaire bonhomme), est même presque une continuité naturelle, à une heure où il réfléchit judicieusement à repenser son cinéma sans forcément renier ses codes familiers - là où, ironiquement, bon nombre pensent qu'il stagne et ne propose rien de neuf.
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Car s'il s'applique une nouvelle fois à user du récit gigogne avec une histoire sur plusieurs histoires (comme pour The French Dispatch et le tout récent Asteroid City), en se limitant au carcan étriqué du court/moyen-métrage, l'obligeant à arborer une narration allant strictement à l'essentiel, sans forcément laisser de côté ses désirs de fidélité extrême à la prose de Dahl.
Un défi qui, pour cette première expérience qu'est La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar (qui en appelle au moins trois autres), est relevé avec force, Anderson poursuivant sa mutation opérée depuis The French Dispatch, en usant avec intelligence d'un montage vif et d'une narration privilégiant l'esquisse, le phrasé rapide et un humour aussi drôle que sec (cher à l'auteur britannique) comme un coup de trique.
Petite gourmandise, il invite même Road Dahl à l'écran (formidable Ralph Fiennes) pour jouer l'un des nombreux narrateurs, comme pour mieux consolider son pendant narratif face à son formalisme ludique et éclatant (avec une nouvelle fois, un mélange d'animation et de prise de vues réelles) auquel on n'a de cesse de ramener (au point de ne résumer, vulgairement, son cinéma qu'à celui).
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Savoureusement absurde et caustique (l'histoire est celle d'un milliardaire asocial qui découvre, lors d'une soirée au club exclusif auquel il appartient, tombe sur un étrange pamphlet, le récit détaillé d'un rapport médical dans lequel un médecin indien affirme avoir rencontré le cas surprenant - et médicalement vérifié - d'un homme pouvant voir sans user de sa vue) autant qu'il est, Anderson oblige, gentiment mélancolique et loufoque, La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, peut-être moins génialement inventif que sa précédente adaptation de Dahl, se fait une fable douce et pleine d'esprit, une entrée délicieuse et charmante à un dîner en quatre étapes.
Avec Ralph Fiennes, Rupert Friend, Asa Jennings,...
Synopsis :
Dans cette nouvelle de Roald Dahl pour jeunes adultes, un garçon brillant et chétif est tyrannisé par deux grandes brutes épaisses.
#TheSwan frappe en plein cœur par sa cruauté, par la justesse sombre et enchanteresse qu'ont Dahl et Anderson de pointer la bêtise et la brutalité sourde de l'humanité, de transformer l'horrible en absurde dans un douloureux et épuré récit sur la perte de l'innocence. pic.twitter.com/HsiY0LP7la
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 29, 2023
On peut déjà l'affirmer, alors que l'on se retrouve à la mi-temps des adaptations de Roald Dahl chapeauté par Wes Anderson du côté de la firme au Tudum : au travers des nouvelles de l'auteur, le cinéaste dégaine sa vision de l'Angleterre, comme il l'avait avec la France pour The French Dispatch, et l'Amérique via Asteroid City.
Une vision sèche et désenchantée, qui prend encore plus de sens avec The Swan - Le Cygne en VF -, résolument plus rude et mélancolique que La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, qui avait pour lui quelques saillies d'humour gentiment salvatrice.
Inspiré de faits réels, l'histoire se concentre sur Peter Watson, un jeune garçon frêle et extrêmement doux qui adore observer les oiseaux, mais qui est douloureusement torturé/harcelé par deux brutes de son quartier, Raymond et Ernie, qui vient de recevoir un fusil pour son anniversaire et veut voir ce qu'il peut « tuer » avec...
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Tout comme La merveilleuse histoire d'Henry Sugar, l'histoire, qui nous est ici à nouveau contée dans un mélange d'animation et de prise de vues réelles, à travers des décors en mouvement (comme si elle était pleinement tissée devant nous, ce qui rend, de facto, encore plus fabuleuse la (re)découverte du travail de Dahl), se fait un formidable et douloureux récit sur la perte de l'innocence, les ravages de la violence et l'adversité qui nous marque et nous change (auquel le Wes apporte quelques subtiles nuances par rapport à son matériau d'origine), une nouvelle fois - en partie - narrée par un Ralph Fiennes/Dahl nous assurant de l'importance cruciale de cette histoire, qui se substitue pendant quelques secondes à un Rupert Friend définitivement fait pour le cinéma du papa de The Grand Budapest Hotel.
Contre toute attente, le comédien détonne en narrateur principal (soit Peter Watson adulte) dont l'apparence résolument impassible et le discours faussement réconfortant (et aux émotions savamment refoulée), est constamment tranché par une voix fluctuante, capable d'insuffler avec brio la peur où même l'impuissance au détour d'une poignée de mots.
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Épuré (17 minutes au compteur) et à la symétrie toujours aussi parfaite, Le Cygne frappe en plein cœur par sa cruauté, par la justesse sombre et enchanteresse qu'ont Dahl et Anderson de pointer l'absurdité et la brutalité sourde de l'humanité, de traiter de la violence et du harcèlement par la fantaisie, sans jamais en atténuer la puissance ni même la déraciner du réel.
De tout simplement transformer l'horrible en absurde, de vaincre l'inhumanité par l'humanité.
De loin l'effort le plus sombre, intense et cathartique du cinéaste à ce jour.
Avec Ralph Fiennes, Richard Ayoade et Rupert Friend.
Synopsis :
Une nouvelle moins connue de Roald Dahl sur un dératiseur qui adore exterminer les rongeurs.
#TheRatCatcher se fait un cousin pas si éloigné de Fantastic Mr. Fox, de sa fantastique animation en stop-motion à son regard malicieux et complice mais continuellement à hauteur d'enfants, pointant ici le mépris d'une humanité pour tout ce qui lui paraît différent et inférieur. pic.twitter.com/K4FOaxWErF
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 30, 2023
Troisième des quatre entrées dans la collection d'adaptations Dahlesque en courts-métrages chapeautée par Wes Anderson, The Rat Catcher aka Le Preneur de rats en VF (traduction bateau, on est d'accord), partage la même unité de temps avec Le Cygne - 17 minutes, montre en main -, la même épure (décors, distribution, écriture) mais aussi la même et incroyable efficacité narrative.
Sensiblement moins sombre et cruel cela dit - quoique - que son plus récent aîné, mais tout aussi ingénieux et charmant (voire même tout aussi ambiguë et ouvert à l'interprétation), on y suit les atermoiements de deux hommes fatigués - un écrivain et un mécanicien -, qui font appel aux services d'un dératiseur qui ressemble étrangement à ses propres proies, pour lutter contre ce qui est plus ou moins infestation de rongeurs, au coeur de leur pittoresque petit village anglais.
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Lorsque le bonhomme, surnommé Rat Man (un Ralph Fiennes quasiment en mode Peter Pettigrew sauce Voldemort, et qui reprend également sa personnification de Dahl), débarque, il tente de résoudre le problème, tout en démontrant ses bizarreries et autres excentricités en cours d'exécution (comprendre : il se fait tout simplement rat pour attraper les rats).
Vissé sur l'obsession d'un homme qui, bien qu'il soit plus proche d'eux que de ses propres congénères, adore détruire les rats (un anti-Willard, pour les initiés à la gentille bisserie qui tâche), dans ce qui peut presque se voir comme une comédie horrifique et sinistre sous certains aspects, ou Anderson n'a aucun mal à rendre attachant et emphatique un petit rat doux et (vraiment) mignon, ne cherchant juste qu'à vivre sa vie dans le monde des hommes (il n'est une menace pour personne, et ne cherche jamais à l'être); Le Preneur de rats se fait un cousin pas si éloigné du génial Fantastic Mr. Fox, de sa mise en scène (très) théâtrale aux cadrages symétriques à son regard malicieux et complice mais continuellement à hauteur d'enfants, en passant par une fantastique animation en stop-motion, et une propension à jouer avec l'imagination de son auditoire (et la capacité de ses comédiens à vendre ce même imaginaire).
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Une nouvelle fois, le style d'Anderson ne submerge jamais la substance (simple mais limpide), et le cinéaste voit plus loin que la confrontation - déjà totalement improbable sur le papier -, entre un rat et Rat Man, en pointant habilement l'absurdité d'une humanité incapable de vivre avec la faune qui l'entoure, d'une humanité projetant son propre regard mortifère sur un monde qu'il pense uniquement sien, son mépris pour tout ce qui lui paraît différent et inférieur - ici les rongeurs, mais aussi Rat Man.
L'homme est un loup pour l'homme, mais aussi pour les rats.
Avec Ralph Fiennes, Benedict Cumberbatch, Ben Kingsley et Dev Patel.
Synopsis :
Dans cette adaptation de la célèbre nouvelle de Roald Dahl, un homme découvre un serpent venimeux endormi dans son lit.
Allant droit au but dans une urgence captivante, #Venin fait preuve d'une épure salutaire et d'une subtilité étonnante dans sa manière d'aborder, comme #TheRatcatcher, le mépris de l'homme, quand la peur fait instinctivement ressortir la haine, la méfiance et le mépris des autres pic.twitter.com/OsCUE5K8wC
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 30, 2023
Si chacun des courts-métrages avait - en partie - pour but de mettre en avant ses comédiens (Benedict Cumberbatch pour le premier, Rupert Friend pour le second et Ralph Fiennes, le seul à être présent à la distribution des quatre, pour le troisième), c'est cette fois Dev Patel qui vole sensiblement le show (bien qu'un Cumberbatch alité, en impose gentiment aussi), lui dont le jeu, tout comme Friend finalement, colle et répond parfaitement aux excentricités du cinéaste.
Quatrième et dernière adaptation d’une histoire de Roald Dahl, par l'orfèvre Wes Anderson, a pointer le bout de son nez sur la plateforme au Tudum, Poison - Venin en VF - démontre, toujours sur une durée ne dépassant pas les 17 minutes (comme Le Cygne et Le Preneur de rats donc, avec qui il partage également le même final abrupte, ambiguë et volontairement ouvert aux interprétations) la propension du cinéaste à gentiment renouveler les codes de son cinéma que beaucoup considérait - évidemment à tort - comme redondant et balisé.
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Toujours avec ses multiples narrateurs en bandoulière, il capture au cœur des 50s, les mésaventures d'un britannique - Harry - en Inde, qui découvre qu'un serpent venimeux mortel s'est glissé dans son lit.
Ne sachant que faire et par peur d'être mordu, il reste immobile alors que son associé et un médecin se précipitent pour le sauver...
Allant droit au but, peut-être encore plus que les deux précédents opus - résolument plus abstrait -, dans sa manière de lier un rythme urgent à sa mise en scène fluide et enlevée, Venin fait preuve d'une épure salutaire et d'une subtilité étonnante dans sa manière d'aborder, comme The Rat Catcher, le mépris de l'homme, et plus particulièrement le racisme latent et post-colonial de l'Angleterre sur l'Inde.
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Ou quand la peur fait instinctivement ressortir la haine, la méfiance et le mépris des autres, le point final amer et percutant à une magnifique anthologie.
Avec la puissance de la plume de Dahl et sa vision sombre de l'Angleterre, Anderson a arpenté de nouveaux horizons fascinants, gonflant la profondeur sociale et culturelle de son cinéma.
Pourvu qu'il continue dans cette voie à l'avenir...