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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Ne pas avaler


Réalisateur : Gary Oldman
Avec : Ray Winstone, Kathy Burke, Charlie Creed-Miles,...
Distributeur : Mission
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h59min

Date de sortie : 5 novembre 1997
Date de ressortie : 16 août 2023

Synopsis :
L'histoire d'une famille ordinaire qui vit dans le sud de Londres. Film autobiographique, "je l'ai voulu honnete, vrai, sans concessions, declare le realisateur, comme l'album-photo de tous ceux qui m'ont touche et trouble dans ma vie" Gary Oldman.



Critique :


Vous connaissez sûrement Gary Oldman incarnant Gordon dans les Batman de Christopher Nolan, Stansfield dans Léon de Besson, Sirius Black dans la saga Harry Potter, Lee Harvey Oswald dans le JFK d'Oliver Stone, Churchill dans Les heures sombres, Dracula pour Francis Ford Coppola, etc... Vous connaissez sûrement Ray Winstone pour être un jeune rebelle dans Scum d'Alan Clarke, un ex amant violent dans Ladybird de Ken Loach, le cambrioleur Gal dans Sexy Beast de Jonathan Glazer, l'un des jeunes dans Quadrophenia de Franc Roddam, Mr French dans Les Infiltrés de Scorsese, etc...

Gary Oldman, dont c'est le premier film comme metteur en scène (un second a été annoncé), revient ici à ses racines : le quartier ouvrier de New Cross dans le sud-est de Londres. La première séquence donne déjà le ton : une dizaine de minutes dans un pub, c'est bruyant et les silhouettes s'amassent. Pourtant, il ne s'agit que d'hommes qui s'échangent des anecdotes (aux propos très perturbants), ou d'autres qui préparent leur « mauvais coup ». Les femmes sont dans une autre partie de l'espace, séparées des hommes. Le ton est donné : il y a une violence impénétrable.

Copyright Columbia Tristar/Sportsphoto/Allstar

Parce que Ne pas avaler est une chronique sociale au constat bien sombre. Juste après cette séquence, Gary Oldman montre l'environnement pauvre et délabré (ces immeubles vastes et pourtant comme délaissés au fin fond d'un paysage). Mais c'est pour mieux s'immerger dans le quotidien, celui où la vie en appartement ressemble en tous points à cette de pub. Sur le canapé dans le salon les hommes bavardent inlassablement entre eux, avec un même niveau de violence verbale. Tandis que les femmes sont malheureusement reléguées dans les autres pièces, elles sont reléguées dans le contre-champ. Sauf que (presque) tout est en gros plan : face à la misère de cet environnement miséreux, il y a l'afflux de paroles et la violence des regards / des gestes des hommes, et l'épuisement désespéré des femmes.

Sauf que le film ne tend vers rien, Gary Oldman ne cherche pas à porter un discours ou une morale, ni même à résoudre quoi que ce soit. Ne pas avaler est une observation. Celle de ces hommes vidés d'espoir et de dignité, de ces femmes qui subissent cette rage qui déborde. Ces hommes se réfugient dans l'alcool, la drogue et la violence. D'où les gros plans, car ils se referment sur eux-mêmes, et se laissent déborder par leurs émotions extrêmes. Les deux formes de violences (conjugale et vengeance) sont traitées avec tristesse et désespoir. Gary Oldman ne laisse rien dans la suggestion et dans le silence, tout est cru et choquant. Loin du ton survolté et tapageur de Trainspotting de Danny Boyle (qui fait le charme du film), Ne pas avaler est sur la corde âpre de cette chronique sociale qui fait vriller des âmes. Si bien qu'il n'y a pas vraiment le temps de respirer. Raymond et Bill sont les deux personnages qui permettent de glisser entre les deux univers observés : le domicile familial et le trafic en bande. Dans ce mouvement incessant, le film en devient bruyant.

Copyright Jack English/Groupe/Luc Besson/Kobal/Shutterstock

C'est ce côté bruyant qui fait de l'ambiance du film une expérience lourde, qui marque pendant longtemps. Les motifs familiers du réalisme (le délabrement, la pauvreté, les longues scènes de discussions) côtoient le bordel d'un environnement violent sans lumière, sans horizon. On pourrait même croire parfois que c'est un documentaire, tant il flirte avec la spontanéité et l'abstraction de sa continuité narrative. Plus le film progresse, plus il est évident que l'intrigue n'a pas réellement d'importance. Tout est question de moments, imprégnés par beaucoup d'improvisation. Même LA scène la plus marquante (mais aussi la plus violente, la plus choquante, la plus triste) du film est un choc par son authenticité, par son refus du pathos, par l'impuissance qu'elle dégage. Le pathétique et la violence se mêlent l'un à l'autre, jusqu'à la perte de mots.

Il y a quelque chose de vulnérable, de fragile et de douleur dans ces images : les gros plans sont un piège, les couleurs sombres et la brume où s'enfoncent les corps, tout est toujours question de panique, de sueur et de sang, comme si une rupture explosive peut survenir à tout moment. Parce que ce filme Gary Oldman, c'est l'impossibilité à communiquer, à faire glisser les âmes entre les mondes masculins et féminins, à créer un mouvement en dehors des artifices qui régissent la violence quotidienne. Il y a comme une plongée dans un imaginaire cruel, qui déconnecte Raymond de toute émotion et toute sympathie : l'idée que sa femme le trompe, l'univers du trafic de drogue, la plongée dans l'alcool, les rassemblements avec ses amis, etc. Mais c'est un film attristé, plutôt qu'un film à charge.

Copyright Alamy

Il y a de la douleur mais aussi de la tendresse. Il y a de la colère mais aussi de la délicatesse. Parce que ça reste un film sur un fantôme, un film qui relâche des traumatismes comme récemment The Souvenir de Joanna Hogg. Il s'agit de la jeunesse de Gary Oldman, de son père, de ses souvenirs qui lui collent comme les gros plans collent aux corps des acteurs & actrices. Des souvenirs qui lui collent comme les plans d'un environnement construit comme un cauchemar permanent. Anecdote sur le titre : « rien par la bouche » est une référence à l'alimentation par intraveineuse, à l'instruction hospitalière interdisant de manger ou de boire, que l'on peut voir dans une scène du film. Suite de l'anecdote : c'est donc la métaphore de ce père violent : son incapacité émotionnelle, ni par des bisous ni par des paroles. Le personnage Raymond se plaint même de son propre père « pas un baiser, pas un câlin », comme une empreinte (une image) qui reste, qui hante.


Teddy Devisme