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[CRITIQUE] : Rétrospective 5 Films noirs de l'âge d'or du cinéma mexicain


Rétrospective " 5 Films noirs de l'âge d'or du cinéma mexicain " : Le Médaillon du Crime de Juan Bustillo Oro (1942)Une Aube Différente de Julio Bracho (1943), Crépuscule de Julio Bracho (1945), Les Bas-fonds de Mexico de Emilio Fernández (1949) et Roberto la douceur de Fernando Méndez (1951).


Ils sont rares, les films de l'âge d'or mexicain (voire même mexicains, tout court) à atteindre nos contrées voire même à squatter nos salles obscures.
Raison de plus pour chérir le travail passionné et acharné d'un distributeur tel que Les Films du Camélia à proposer des œuvres inédites dans des conditions optimales, à nous offrir un coup de rétroviseur vers une époque lointaine et pourtant pas si éloignée dans ce qu'elle évoque.

Un vrai coup de projecteur sur l'histoire d'un cinéma qui se cherchait encore un peu dans sa volonté de voguer vers un ton plus sérieux, quitte à loucher sur un voisin ricain qui avait sensiblement entamé son incursion dans le polar noir.



Pour les spectateurs les plus curieux et avertis, depuis le 14 juin, il est possible de (re)découvrir cinq films, dont deux pépites de Julio Bracho, de loin le cinéaste mexicain le plus important de sa génération, avec Luis Buñuel et Roberto Galvadón.

Une Aube Différente tout d'abord (Distinto Amanecer, 1944) morceau de polar noir intemporel et étonnamment contemporain, avec son trio central inspirés (dont une Andrea Palma, sœur du cinéaste, absolument magnifique en simili-sosie de Marlene Dietrich) et animés par des idéaux politiques fort et sentiments nuancés, et son récit vissé sur un syndicaliste en fuite qui tente de lutter contre (tout en essayant de survivre) les dirigeants corrompus du gouvernement en place, et défendre les droits des ouvriers locaux.

Une Aube Différente de Julio Bracho / © Les Films du Camélia

Un sujet fort, qu'Elia Kazan embrassera à son tour dix ans plus tard avec Sur les quais.
Une vraie découverte délicate et rugueuse à la fois, rappelant gentiment Casablanca, sorti deux ans plus tôt, notamment dans sa manière de ne pas tant boxer dans le film politique - plus une toile de fond -, mais bien dans le récit romantique à trois cœurs, le tout porté par une photographie sans faille de la légende Gabriel Figueroa.
Le second grimpe sensiblement d'un cran niveau qualité, avec Crépuscule (Crepúscolo, 1945), sorti dans sa foulée, et qui inspirera le magnifique La Déesse Agenouillée de Galvadón deux ans plus tard, merveille de film noir à la chaleur érotique enivrante.

Crépuscule de Julio Bracho / © Les Films du Camélia

Emprunt de la même (bonne) foi théâtrale que Distinto Amanecer, à la fois glacial et chaud comme l'enfer, cocktail détonant entre érotisme et psychologie, le film se fait un incroyable mélodrame irrésistible et fascinant noué autour d'un chirurgien troublée, Alejandro (immense Arturo de Córdova) qui tombe profondément amoureux de Lucía, seulement un jour avant qu'il ne parte pour un voyage autour du monde.
Le hic, c'est que lorsqu'il rentre chez lui, il est surpris d'apprendre que son meilleur ami a épousé Lucía, et si la séduisante jeune femme essaie de les avoir tous les deux, Alejandro ne peut définitivement pas briser le cœur de son BFF.

Le Médaillon du Crime de Juan Bustillo Oro / © Les Films du Camélia

Mais tout se complique encore plus avec l'arrivée dans l'équation de Cristina, sœur cadette de Lucía, pour laquelle Alejandro n'ait pas du tout insensible...
De chaleur, il en est moins question avec le troisième film de cette rétrospective, Le Médaillon du Crime de Juan Bustillo Oro (El medallón del crimen /El 13 de oro, 1942), fable moraliste et sensiblement chrétienne, articulée sur les bifurcations dangereuses d'un homme frustré par sa condition, professionnelle comme intime (il noie le deuil de son enfant et son désir avorté d'une vie meilleure, dans le travail), qui embrasse l'ivresse (littéralement, à la suite d'une rencontre alcoolisé dans un bar) d'un hypothétique adultère, avant de se faire haper par une existence d'interdit qui n'était jusqu'ici pas réellement son monde.

Roberto la douceur de Fernando Méndez / © Les Films du Camélia

Une expérience étonnante, moins futile et inoffensive que pouvait le laisser présager son premier tiers.
Tout comme Roberto la douceur de Fernando Méndez, (El Suavecito, 1951), dont le titre, gentiment trompeur, vient vite infirmer tout ce que l'on peut penser de l'imbuvable dit Roberto (Victor Parra, dans un surjeu constant), proxénète décomplexé et passablement misogyne, qui vient mettre en pièce le cœur de la douce et généreuse Lupita, sa voisine/employée de magasin qui est follement éprise de lui.
D'un mélodrame plutôt cruel et prévisible, la narration - tout comme le ton -, bifurquera dès sa seconde moitié vers le polar urbain, qui rend d'autant plus piquante cette mise en abîme d'un amour impossible, dont les dés sont pipés d'avance.

Les Bas-fonds de Mexico de Emilio Fernández / © Les Films du Camélia

Fin de cette rétrospective avec Les Bas-fonds de Mexico de Emilio Fernández (Salón México, 1949), sorte de prémisse du film de cabaret qui se fait le cousin mélodramatico-noir du Stella Dallas de King Vidor, vissé autour des atermoiements d'une pure figure christique sacrificielle, Mercedes, entraîneuse du cabaret Salón México (superbe Marga López), qui amasse chaque semaine la somme d’argent nécessaire pour payer les coûteuses études de sa jeune sœur, Béatrice (définitivement plus terne et moins empathique), pensionnaire dans une institution huppée.
Personne ne connaît la double vie épuisante de Mercedes, à l’exception d’un agent de police, qui semble vouloir lui venir en aide et la protéger...
Énergique, filmant la danse d'une manière explosivement sensuelle tout en s'appuyant sur la photographie solaire de Gabriel Figueroa, Fernández croque ici un mélo incroyablement pessimiste dans sa vision du Mexique de l'époque.

Le clou d'une rétrospective si ce n'est essentielle, n'en reste pas moins fantastique à découvrir, condensé d'un âge d'or dont il nous tarde désormais, après la rétrospective Roberto Galvadón l'an passé, d'en decouvrir tous les secrets...


Jonathan Chevrier