[CRITIQUE] : Sick of Myself
Réalisateur : Kristoffer Borgli
Avec : Kristine Kujath Thorp, Eirik Sæther, Fanny Vaager,…
Distributeur : Tandem
Budget : Comédie Dramatique.
Nationalité : Norvégien
Durée : 1h37min
Synopsis :
Signe vit dans l’ombre de son petit ami Thomas, à qui tout réussit. En manque d’attention, elle décide de faire croire à son entourage qu’elle est atteinte d’une maladie rare. Mais le mensonge fonctionne un peu trop bien, et elle est vite prise à son propre piège.
Critique :
Dégainé en salles un an après sa présentation cannoise, alors qu'une nouvelle édition vient même tout juste de se clore, Sick of Myself, estampillé second long-métrage du wannabe cinéaste norvégien Kristoffer Borgli, incarne l'une de ses petites curiosités qui émergent entre deux gros blockbusters rutilants made in Hollywood, de celles qui méritent toute notre attention tant elles nous hantent encore longtemps après vision.
Plongée cruelle et nihiliste au cœur d'un narcissisme toxique, celui qui fera passer une femme d'un comportement enfantin/capricieux un brin inofensif à une horrible expérimentation d'une détérioration corporelle volontaire (grâce à une drogue illégale et dangereuse sur laquelle elle a mis la main), pour attirer l'attention dont elle a besoin.
Soit Signe, qui cherche à tout prix à devenir le nouveau centre d'attention et de voler la vedette à son petit ami Thomas, un artiste plasticien dont les œuvres sont basées sur des objets volés.
Une relation purement et simplement toxique et, même s'il est difficile de comprendre ce qui les pousse à poursuivre une union aussi destructrice, la vérité est finalement qu'ils sont tous les deux taillés dans le même marbre : ils sont deux narcissiques prêts à tout pour gagner une reconnaissance publique.
Mais le succès sans précédent de Thomas dans une grande galerie d'art d'Oslo a lancé Signe dans une recherche désespérée de trouver un moyen de surpasser cette popularité et, consciente de la façon dont le monde d'aujourd'hui consomme avec un voyeurisme morbide, les histoires et les événements tragiques, mais surtout de l'attention que les victimes reçoivent tant sur les réseaux sociaux que dans les médias, Signe se met volontairement à ingérer des pilules d'origine russe, qui avaient été retirées du marché pour leurs effets secondaires nocifs.
Avec son visage totalement défiguré, mais avec en contrepartie l'intérêt médiatique qu'elle espérait tant, celle-ci tombe lentement mais sûrement dans une spirale autodestructrice qui se fait parfaitement et ironiquement, le symbole de l'obsession furieusement contemporaine des jeunes générations à vouloir atteindre coute que coûte une renommée instantanée et fugace, sans jamais mesurer les conséquences de leurs actes.
Dans la droite lignée de la nouvelle vague du cinéma norvégien porté par le tandem Joachim Trier/Eskil Vogt, Sick of Myself, porté par la performance remarquable de Kristine Kujath Thorp, se fait une étonnante et captivante comédie noire frappée de doux accents de body horror, pensée comme une critique incisive des normes qui régissent la société contemporaine.
Des films qui dissèquent nos petits soucis de bourgeois 2.0 et s’en moquent, plus ou moins, gentiment, il y en a une pelletée qui sort tous les ans. Surtout dernièrement. Doit-on s’en lasser pour autant ? Que nenni, surtout face à un bijou d’humour noir tel que Sick of Myself.
Signe est une jeune femme en manque d’attention. Elle ne supporte plus la réussite de son compagnon, artiste réputé qui fraye tranquillement son chemin dans le gratin de l'intelligentsia norvégienne. Elle tente par n’importe quel moyen d’attirer les regards vers sa petite personne : agresser un chien dans la rue, simuler une crise d’allergie et surtout sciemment ingurgiter en grande quantité un relaxant russe dont les effets secondaires connus sont une dégradation de la peau. Par ce moyen, elle recherche la pitié, la fascination. La combine fonctionne… En partie. Mais à quel prix ?
Le jeune réalisateur commence à se créer une patte qui lui est propre, tournant autour de thématiques actuelles : l'hyperphagie des médias qui bouffe autant le corps que l’âme, la revanche de ce même corps, la prépondérance d’un art qui dénature et oublie l’humanité du corps. En terme d’esthétique, le body-horror s’impose comme le véhicule parfait, agrémenté d’un humour noir cynique, d’une photographie froide, ainsi qu’un sens du suspense bien fichu.
Sick of Myself est le premier long-métrage (uniquement) de fiction de Kristoffer Borgli qui avant cela a pas mal creusé ses thématiques de prédilection. Il s’est essayé au documenteur méta avec Drib (2017) qui s’amusait déjà des médias de manière bien plus expérimentale en mêlant fiction et réalité. En premier lieu, il est passé par la case presque obligatoire du court métrage, de la publicité et du clip. Le corpus de tous ses films est déjà particulièrement cohérent. Nous retrouvons dans The Creature (2022), film qui aurait dû être une publicité mais a été considérée trop déroutante pour cela, un body-horror percutant, un regard noir distancié sur une situation violente et un sens du suspense et du hors champs maîtrisé. Ce dernier aspect se retrouve dans le film tourné pour le groupe Softcore qui joue en plus habilement avec ce qui doit être un clip.
Sick of Myself a joui d’une jolie carrière en festival. Après un passage remarqué dans la sélection Un Certain Regard, il sort sur nos écrans le 31 mai. Et pour cause, il rentre plutôt pas mal dans la case “film de festival”. Il est un peu poseur, son esthétique est arty juste ce qu’il faut et il aborde des thématiques sociétales sans trop de profondeur. Oui mais est-ce forcément un problème ? Et surtout, ce film est bien plus qu’un énième Sundance Movie.
La satire sociale est l’aspect le plus visible du film. Le message est clair : les médias font de jeunes bourgeois oisifs des créatures monstrueuses. Un peu victime, un peu coupable. Vous connaissez la chanson. Là où Sick of Myself tire son épingle du jeu est la distance prise avec son personnage : ni trop près, ni trop loin. Signe est un personnage détestable, effectivement, mais jamais traité comme le simple véhicule d’une idée. Elle tend au spectateur un miroir peu flatteur mais assez réaliste, qui permet une once d’empathie franchement désagréable pour le spectateur. À quel moment Dorian Gray a-t-il préféré renvoyer l’image du portrait plutôt que celui de la jeunesse éternelle pour étancher la soif de son égo ? Le diable est au chômage, les miroirs sont noirs et le monde est devenu bien triste. Car si l’humour noir est bien présent et si impactant c’est qu’il cache une véritable tragédie, le portrait d’une jeune femme bien seule
Sick of Myself brille par le portrait de femme qu’il dresse. Signe est une jeune femme privilégiéé, elle est jeune, jolie, bien habillée, éduquée et pourtant… Elle ne met rien en œuvre pour faire quoi que ce soit de sensé de sa vie. Elle comble le vide en elle grâce au regard des autres. Le film se focalise sur elle, mais son compagnon, l’artiste Thomas, reproduit un schéma similaire. Il a érigé en art l’acte de voler. Il expose dans des galeries des meubles qu’il a fauché dans des boutiques. L’un et l’autre sont des enfants qui usent de subterfuges pour attirer l’attention des adultes, la première faisant semblant d’être malade, le second en volant. Pour ne pas en faire de simples caricatures, le film s’arrête tout particulièrement sur les moments de solitude et de gêne en société qui sont une torture pour un grand nombre et particulièrement pour Signe, et dissémine des vision de sa vie fantasmée ne la rendant que plus humaine encore.
L’emploi du body-horror est alors, bien évidemment, un moyen de révéler qui elle est intérieurement : un monstre d’égo et de narcissisme, mais aussi, presque ironiquement, une personne malade. Car si ses marques sur sa peau ont été infligées de manière artificielle, Signe est bien malade, un mal plus pernicieux, invisible, qu’elle n’a pas su appréhender. Profitons-en pour saluer le travail du responsable effets spéciaux, Izzy Galindo, qui a été organique, minutieux, fascinant et a grandement participé à la qualité du film.
Sick of Myself est une belle proposition d’humour noir qui tient de bout en bout son récit. On peut lui reprocher son aspect trop “film de festival” à raison, peut-être. Ces défauts sont largement contrebalancés par une générosité dans les effets visuels et une distance parfaite avec son personnage pourtant assez désagréable.
Éléonore Tain
Avec : Kristine Kujath Thorp, Eirik Sæther, Fanny Vaager,…
Distributeur : Tandem
Budget : Comédie Dramatique.
Nationalité : Norvégien
Durée : 1h37min
Synopsis :
Signe vit dans l’ombre de son petit ami Thomas, à qui tout réussit. En manque d’attention, elle décide de faire croire à son entourage qu’elle est atteinte d’une maladie rare. Mais le mensonge fonctionne un peu trop bien, et elle est vite prise à son propre piège.
Critique :
#SickOfMyself, porté par la performance remarquable de Kristine Kujath Thorp, se fait une savoureusement perverse et captivante comédie noire frappée de doux accents de body horror, pensée et conçue comme une critique incisive des normes qui régissent notre société contemporaine. pic.twitter.com/lGllHXyCFT
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 31, 2023
Dégainé en salles un an après sa présentation cannoise, alors qu'une nouvelle édition vient même tout juste de se clore, Sick of Myself, estampillé second long-métrage du wannabe cinéaste norvégien Kristoffer Borgli, incarne l'une de ses petites curiosités qui émergent entre deux gros blockbusters rutilants made in Hollywood, de celles qui méritent toute notre attention tant elles nous hantent encore longtemps après vision.
Plongée cruelle et nihiliste au cœur d'un narcissisme toxique, celui qui fera passer une femme d'un comportement enfantin/capricieux un brin inofensif à une horrible expérimentation d'une détérioration corporelle volontaire (grâce à une drogue illégale et dangereuse sur laquelle elle a mis la main), pour attirer l'attention dont elle a besoin.
Soit Signe, qui cherche à tout prix à devenir le nouveau centre d'attention et de voler la vedette à son petit ami Thomas, un artiste plasticien dont les œuvres sont basées sur des objets volés.
Copyright Tandem Films |
Une relation purement et simplement toxique et, même s'il est difficile de comprendre ce qui les pousse à poursuivre une union aussi destructrice, la vérité est finalement qu'ils sont tous les deux taillés dans le même marbre : ils sont deux narcissiques prêts à tout pour gagner une reconnaissance publique.
Mais le succès sans précédent de Thomas dans une grande galerie d'art d'Oslo a lancé Signe dans une recherche désespérée de trouver un moyen de surpasser cette popularité et, consciente de la façon dont le monde d'aujourd'hui consomme avec un voyeurisme morbide, les histoires et les événements tragiques, mais surtout de l'attention que les victimes reçoivent tant sur les réseaux sociaux que dans les médias, Signe se met volontairement à ingérer des pilules d'origine russe, qui avaient été retirées du marché pour leurs effets secondaires nocifs.
Avec son visage totalement défiguré, mais avec en contrepartie l'intérêt médiatique qu'elle espérait tant, celle-ci tombe lentement mais sûrement dans une spirale autodestructrice qui se fait parfaitement et ironiquement, le symbole de l'obsession furieusement contemporaine des jeunes générations à vouloir atteindre coute que coûte une renommée instantanée et fugace, sans jamais mesurer les conséquences de leurs actes.
Copyright Tandem Films |
Dans la droite lignée de la nouvelle vague du cinéma norvégien porté par le tandem Joachim Trier/Eskil Vogt, Sick of Myself, porté par la performance remarquable de Kristine Kujath Thorp, se fait une étonnante et captivante comédie noire frappée de doux accents de body horror, pensée comme une critique incisive des normes qui régissent la société contemporaine.
Entre la victimisation excessive, le narcissme/égocentrisme exacerbé, la culture du like où la manière grossière dont les entreprises embrassent l'inclusion, le film, même s'il perd un brin de sa force dans son dernier tiers (où les résolutions tombent un brin comme un cheveu sur la soupe), est savoureusement pervers, cynique et inconfortable, un reflet cinglant de la culture de la popularité/gratification instantanée et de la célébration/vénération de l'égomanie.
Jonathan Chevrier
Jonathan Chevrier
Copyright Tandem Films |
Des films qui dissèquent nos petits soucis de bourgeois 2.0 et s’en moquent, plus ou moins, gentiment, il y en a une pelletée qui sort tous les ans. Surtout dernièrement. Doit-on s’en lasser pour autant ? Que nenni, surtout face à un bijou d’humour noir tel que Sick of Myself.
Signe est une jeune femme en manque d’attention. Elle ne supporte plus la réussite de son compagnon, artiste réputé qui fraye tranquillement son chemin dans le gratin de l'intelligentsia norvégienne. Elle tente par n’importe quel moyen d’attirer les regards vers sa petite personne : agresser un chien dans la rue, simuler une crise d’allergie et surtout sciemment ingurgiter en grande quantité un relaxant russe dont les effets secondaires connus sont une dégradation de la peau. Par ce moyen, elle recherche la pitié, la fascination. La combine fonctionne… En partie. Mais à quel prix ?
Copyright Tandem Films |
Le jeune réalisateur commence à se créer une patte qui lui est propre, tournant autour de thématiques actuelles : l'hyperphagie des médias qui bouffe autant le corps que l’âme, la revanche de ce même corps, la prépondérance d’un art qui dénature et oublie l’humanité du corps. En terme d’esthétique, le body-horror s’impose comme le véhicule parfait, agrémenté d’un humour noir cynique, d’une photographie froide, ainsi qu’un sens du suspense bien fichu.
Sick of Myself est le premier long-métrage (uniquement) de fiction de Kristoffer Borgli qui avant cela a pas mal creusé ses thématiques de prédilection. Il s’est essayé au documenteur méta avec Drib (2017) qui s’amusait déjà des médias de manière bien plus expérimentale en mêlant fiction et réalité. En premier lieu, il est passé par la case presque obligatoire du court métrage, de la publicité et du clip. Le corpus de tous ses films est déjà particulièrement cohérent. Nous retrouvons dans The Creature (2022), film qui aurait dû être une publicité mais a été considérée trop déroutante pour cela, un body-horror percutant, un regard noir distancié sur une situation violente et un sens du suspense et du hors champs maîtrisé. Ce dernier aspect se retrouve dans le film tourné pour le groupe Softcore qui joue en plus habilement avec ce qui doit être un clip.
Copyright Tandem Films |
Sick of Myself a joui d’une jolie carrière en festival. Après un passage remarqué dans la sélection Un Certain Regard, il sort sur nos écrans le 31 mai. Et pour cause, il rentre plutôt pas mal dans la case “film de festival”. Il est un peu poseur, son esthétique est arty juste ce qu’il faut et il aborde des thématiques sociétales sans trop de profondeur. Oui mais est-ce forcément un problème ? Et surtout, ce film est bien plus qu’un énième Sundance Movie.
La satire sociale est l’aspect le plus visible du film. Le message est clair : les médias font de jeunes bourgeois oisifs des créatures monstrueuses. Un peu victime, un peu coupable. Vous connaissez la chanson. Là où Sick of Myself tire son épingle du jeu est la distance prise avec son personnage : ni trop près, ni trop loin. Signe est un personnage détestable, effectivement, mais jamais traité comme le simple véhicule d’une idée. Elle tend au spectateur un miroir peu flatteur mais assez réaliste, qui permet une once d’empathie franchement désagréable pour le spectateur. À quel moment Dorian Gray a-t-il préféré renvoyer l’image du portrait plutôt que celui de la jeunesse éternelle pour étancher la soif de son égo ? Le diable est au chômage, les miroirs sont noirs et le monde est devenu bien triste. Car si l’humour noir est bien présent et si impactant c’est qu’il cache une véritable tragédie, le portrait d’une jeune femme bien seule
Copyright Tandem Films |
Sick of Myself brille par le portrait de femme qu’il dresse. Signe est une jeune femme privilégiéé, elle est jeune, jolie, bien habillée, éduquée et pourtant… Elle ne met rien en œuvre pour faire quoi que ce soit de sensé de sa vie. Elle comble le vide en elle grâce au regard des autres. Le film se focalise sur elle, mais son compagnon, l’artiste Thomas, reproduit un schéma similaire. Il a érigé en art l’acte de voler. Il expose dans des galeries des meubles qu’il a fauché dans des boutiques. L’un et l’autre sont des enfants qui usent de subterfuges pour attirer l’attention des adultes, la première faisant semblant d’être malade, le second en volant. Pour ne pas en faire de simples caricatures, le film s’arrête tout particulièrement sur les moments de solitude et de gêne en société qui sont une torture pour un grand nombre et particulièrement pour Signe, et dissémine des vision de sa vie fantasmée ne la rendant que plus humaine encore.
L’emploi du body-horror est alors, bien évidemment, un moyen de révéler qui elle est intérieurement : un monstre d’égo et de narcissisme, mais aussi, presque ironiquement, une personne malade. Car si ses marques sur sa peau ont été infligées de manière artificielle, Signe est bien malade, un mal plus pernicieux, invisible, qu’elle n’a pas su appréhender. Profitons-en pour saluer le travail du responsable effets spéciaux, Izzy Galindo, qui a été organique, minutieux, fascinant et a grandement participé à la qualité du film.
Copyright Tandem Films |
Sick of Myself est une belle proposition d’humour noir qui tient de bout en bout son récit. On peut lui reprocher son aspect trop “film de festival” à raison, peut-être. Ces défauts sont largement contrebalancés par une générosité dans les effets visuels et une distance parfaite avec son personnage pourtant assez désagréable.
Éléonore Tain