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[CRITIQUE] : May December



Réalisateur : Todd Haynes
Acteurs : Julianne Moore, Natalie Portman, Charles Melton,...
Distributeur : ARP Selection
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h53min

Synopsis :
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2023.

Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.


Critique :


La réception cannoise mitigée du dernier effort de Todd Haynes laissait penser, à demi mot, que le bonhomme avait sensiblement perdu son mojo, ne donnant jamais vraiment corps à l'or qu'il avait aussi bien entre ses mains - un sujet génial, entre le fait divers tout droit sortie tabloïds sensationnalistes et le pitch d'un téléfilm du début d'après-midi -, que devant sa caméra - deux des comédiennes les plus talentueuses de leur génération.

Monumentale erreur de jugement tant May December est, savoureusement, l'une des séances cannoises les plus denses et riches en lectures croisées de cette cuvée 2023, le cinéaste y arpentant une nouvelle fois l'un de ses territoires de prédilection : celui de la figure de la femme au foyer américaine, de sa vie à ses aspirations en passant par ses contradictions, sur lesquelles il bâtit généralement son existence cinématographique (Carol, Mildred Pierce, Loin du Paradis où encore Safe).

Copyright May December Productions 2022 LLC


Avec une nuance de taille cette fois, puisqu'il adopte une structure Bergmanienne en diable avec Persona comme ombre imposante (et un doigt du Souffle au Coeur de Louis Malle, dont le scandale en son cœur est sensiblement proche), nouée autour de la relation entre une femme au foyer, Gracie, emprisonnée par le passé pour avoir entretenu des relations intimes avec un jeune homme mineur (un môme même, de treize ans, dont elle est tombée enceinte), devenu depuis son mari, et Elizabeth, celle qui doit l'incarner à l'écran dans un long-métrage indépendant sur sa propre histoire, qui se rapproche d'elle, de son quotidien et de son environnement familial afin de comprendre les raisons de ses actes et de la personnifier de la manière la plus juste qui soit.

Du pur Bergman donc au sein de la diégèse narrative, tant Haynes orchestre un processus de vampirisation autour duquel une comédienne s'imprègne progressivement de la personnalité dont elle fait - littéralement - son minutieux objet d'étude, elle qui cherche à percer une vérité que Haynes lui-même ne laissera jamais immerger, préférant voguer avec malice et une ironie folle sur le territoire des ambiguïtés. 

Car la vérité, opaque tout du long, n'a pas d'importance dans la comédie dramatique délicieusement camp qu'est May December (excepté peut-être, lorsqu'il scrute l'insécurité chronique de Joe, ce garçon qui a subitement mûri), à la différence du vampirisme progressif et de la mécanique de l'incarnation, à cette manière lui-même qu'à Haynes de revenir aux sources de son cinéma, de parcourir les voies expressives du mélodrame qu'il conduit cette fois consciemment et avec une douce ironie, vers le domaine du téléfilm jusque dans avec facture feuilletonesque en diable et un cadre, Savannah, qui transpire le " afternoon movie ".
Il en adopte tous les excès savonneux avec une gourmandise folle, reproduisant ses formules aussi familières qu'hybrides, ses personnages excessifs qui manque d'engagement envers n'importe qui que ce soit, exceptés pour eux-mêmes, qui vivent dans l'opulence autant qu'ils réécrivent leurs histoires dans le déni le plus total.

Copyright May December Productions 2022 LLC

Du grand Haynes à la fois dense, mordant et sensiblement inconfortable, qui claque avec malice une petite chiquette sur la vanité hollywoodienne, le tout avec pour héroïnes so Almodóvar un tandem Julianne Moore/Natalie Portman des grands jours, parfaites en prédatrices qui consomment et consument pour mieux exister.


Jonathan Chevrier



Copyright May December Productions 2022 LLC


Le film May December est adapté de l'histoire vraie de Mary Kay Letourneau, une enseignante trentenaire qui défraya la chronique en raison de sa relation intime avec son élève de douze ans, devenu par la suite son mari et le père de ses enfants. Le film reprend les bases de ce fait divers en y ajoutant un twist. Elizabeth Berry (Natalie Portman), une actrice de renom, vient passer quelques jours avec Gracie Atherton (Julianne Moore), l'alter ego de Mary Kay Letourneau, pour l'étudier et l'appréhender, afin de pouvoir l'incarner à l'écran. Un jeu de miroir troublant s'instaure alors.

La filmographie de Todd Haynes, bien que très éclectique, comporte quelques thématiques récurrentes : la zone grise, la réalité distordue et l'identité trouble. Il s'est déjà joué de la réalité à plusieurs reprises : en 1998 avec le faux biopic sur David Bowie, Velvet Goldmine, et en 2007 avec le vrai biopic sur un Bob Dylan éclaté en mille acteurs et actrices. Dans May December, il s'attaque au difficile cas du fait divers morbide par le prisme même du regard cinématographique. Une mise en abîme vertigineuse qui perd son spectateur, servi par un jeu sur les codes du mélodrame, du thriller et de la comédie acide.


Copyright May December Productions 2022 LLC

Loin du paradis (2003), Carol (2015)... Todd Haynes se plaît dans le genre du mélodrame, surtout celui qui ne cache pas son aspect politique. Dans les deux films, l'action se déroule dans une société à l'apparence parfaite, lisse, agréable. Une vraie carte postale de l'American Way of life. Tellement parfaite qu'elle en devient suspecte. Le cinéaste y injecte un élément à l'identité marginale qui vient troubler ce parfait paysage et tenter de dévoiler une vérité. May December fonctionne en partie sur ce modèle. La jolie ville de Savannah semble idyllique : plages paradisiaques, demeures aérées à l'architecture coloniale, barbecues entre voisins... Un panorama trop parfait pour être vrai. Le fantôme du scandale passé hante toujours les lieux et le spectateur n'attend plus que l'arrivée de l'actrice pour faire éclater cette bulle. Que nenni. Si son passage va effectivement mettre le malaise au premier plan, ce ne sera pas au nom de la vérité, mais au nom du cinéma, surtout si cela lui permet de tenir le premier rôle. Peu importe le mal qu’elle pourra faire aux proches de Gracie. 

Commence alors une promenade dans la galerie des glaces des égos sans fond pour les deux protagonistes. Nos deux monstres de narcissisme s'observent, se calculent, se scrutent et finissent par se confondre. Si jeu de regard il y a, personne ne prendra la peine de se regarder en face. Le thème de la gémellité n'est pas nouveau au cinéma, May December faisant clairement référence au grand Persona. Cependant, cette version du thème est si bien exécutée qu'il n'est pas nécessaire de faire tellement plus original. May December offre une partition à deux voix sur mesure pour la perfectionniste Natalie Portman et l'incontournable Julianne Moore.
Au milieu de ce duo, l'agneau sacrificiel, Joe Yoo (Charles Melton). Ce jeune garçon qui n'a pas pu grandir. Manipulé par l'une et l'autre, le film le cantonne à un silence douloureux qui finira par devenir symptomatique et presque exploser. Seul personnage réellement touchant, à moitié conscient de qui il est, il tente d'élever ses enfants comme il élève ses papillons. Dans l'amour et la croyance qu'ils pourront, eux, grandir, s'épanouir et s'en aller. Créature d'un grooming, il est difficile de ne pas faire de lien entre May December et le film événement de ce mois de janvier : Pauvres Créatures de Yórgos Lánthimos. 

Si Joe est un adulte qui n'a pas pu grandir et a donc conservé des attitudes de petit garçon, Bella, le personnage de Pauvres Créatures, est littéralement une femme ayant un cerveau de bébé. Dans May December, Joe est prisonnier de son couple, enfermé par les attitudes maternantes de sa compagne. Sa première apparition est d'ailleurs assez troublante. Un barbecue est en cours chez les Atherton-Yoo. Gracie prépare un gâteau dans la cuisine. Joe et son fils, Charlie (Gabriel Chung), apparaissent l'un après l'autre. Gracie s'adresse à eux exactement de la même manière, avec un ton doucement autoritaire et maternant. La ressemblance et la jeunesse des deux acteurs sont troublantes. Impossible dans un premier temps de distinguer le père de l'enfant. Pauvres Créatures propose le récit inverse. Bella, qui avait tout pour être un être facilement manipulable, a profité d'une occasion pour prendre son envol et n'a pas été arrêtée ni par son père ni par son fiancé. Elle a pu vivre et apprendre, ce qui n'a pas été le cas de Joe. Si on s'arrête à la perspective de ce personnage, May December est un récit de mise en garde contre le grooming, ce procédé où un adulte manipule un enfant ou adolescent dans le but de recueillir ses faveurs.

Copyright May December Productions 2022 LLC

Todd Haynes joue avec les genres : le mélodrame et sa perfection prête à se briser, le thriller avec cette tension sourde insoutenable et ce suspense un peu macabre, mais aussi la comédie. Une comédie noire et acide grâce à un tempo parfait et à notre duo d'actrices au diapason. La comédie fonctionne aussi par la distance induite par le choix musical. Le réalisateur reprend le thème de Michel Legrand dans Le Messager (Joseph Losey / 1971), encore une histoire romantique aux marges du socialement acceptable qui joue avec la complicité de son spectateur. Ces quelques petites notes de musique ajoutent une distance qui remet le spectateur à sa place de voyeuriste, presque complice de ce jeu de regard perpétuel.

May December est un labyrinthe complexe de regards qui ne se croisent que rarement. Bien plus critique cynique d'un système hollywoodien vampirique que chronique d'un fait divers lugubre, le film offre deux superbes rôles complexes pour des actrices qu'on ne se lasse pas de regarder : Julianne Moore et Natalie Portman. Bien que les deux monstres d'ego prennent presque toute la place à l'écran, le personnage du groomé n'en reste pas moins touchant, bien écrit et, finalement, au centre du récit.


Éléonore Tain



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