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[CRITIQUE] : Beau is Afraid


Réalisateur : Ari Aster
Avec : Joaquin Phoenix, Nathan Lane, Henri Storck, Armen Nahapetian, Patti LuPone, Amy Ryan, Parker Posey,...
Distributeur : ARP Selection
Budget : -
Genre : Comédie, Aventure, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h59min

Synopsis :
Beau tente désespérément de rejoindre sa mère. Mais l’univers semble se liguer contre lui…



Critique :


Et si Ari Aster se servait du septième art comme d'une thérapie ?
Il ne serait évidemment pas le premier à le faire mais forcément est d'admettre que son troisième effort laisse à penser que le bonhomme à quelques problèmes familiaux, voire Œdipiens, qui le rongent, un sentiment qui était déjà lisible dès Hérédité, bijou de drame horrifique sous fond de traumatismes émotionnels, de relations toxiques et d'héritages familiaux tragiques transmis par la mère.

Si Midsommar jouait également sur les notions de traumatismes et de deuil famillal tout en embrassant langoureusement une horreur atmosphérique et folklorique, Beau is Afraid, aussi chargé en allégorie en symbolisme soit-il, revient plus frontalement à son complexe œdipien dans une plongée absurde, cauchemardesque et fiévreuse dans les méandres d'une psyché anxieuse et paranoïaque - la sienne ?

Copyright Takashi Seida

Comédie noire kafkaïenne qui épouserait les névroses, le désespoir existentiel et l'anxiété écrasante du cinéma béni de Charlie Kaufman, le tout avec quelques saillies Cronenbergiennes dans son ultime virage; le troisième long-métrage d'Aster, vrai et faux film d'horreur à la fois, se situe sur le fil tenu entre l'absurde et la noirceur absolu (comme un After Hours encore plus délirant et sous thérapie), une œuvre qui se métamorphose au fur et à mesure qu'elle avance via une narration surréaliste et pourtant paradoxalement assez simpliste, dont la pièce maîtresse s'avère le troisième acte, une pièce justement, extraordinairement méta dans laquelle se reflète subtilement la propre vie de Beau ainsi que certains de ses espoirs et rêves - pour la plupart réprimés.

On y suit les atermoiements de Beau Wassermann (un Joaquin Phoenix au jeu formidablement nuancé et plus investi que jamais), émotionnellement chétif et perturbé, dont le moindre ersatz d'autonomie est sapé par une mère autoritaire dont il est totalement terrifié - tellement qu'il va régulièrement en thérapie pour affronter ses problèmes la concernant.
Un homme névrosé et surmédicamenté dont le père est mort au moment même de sa conception, une perte qui a marqué à jamais sa vie, le laissant perdu dans une mer de paranoïa et d'incertitude.

Copyright Takashi Seida

Partant de ce point de départ, le film se déroule en plusieurs chapitres - comme autant de mini-films finalement - où chaque seuil que doit franchir Beau (et les évasions qui s'en suive) est frappé par son anxiété, son insécurité constante et ses douleurs profondes, transmises avec un sadisme méticuleux par un Ari Aster dont la mise en scène follement immersive et sensorielle distille une tension à la fois hilarante et inconfortable (entre gros plans embrassants, coupes rapides et plans qui s'attardent volontairement trop longtemps sur les visages).
Plus que de refléter le mal-être de Beau, il nous le fait vivre, nous fait vivre sa perception de sa vie.

Magnifique et déroutant, pure expérience surréaliste (utilisation particulièrement inspirée de Always Be My Baby de Mariah Carey à la clé) qui n'a absolument rien de définitif et qui intime à son auditoire de se délecter de ces mystères, de ces questions troublantes laissés en suspens, d'extrapoler ses propres réponses appelées pourtant à changer à chaque visionnage; Beau is Afraid se fait une odyssée imprévisible et épique à travers le temps et l'espace, vissée sur la terreur existentielle d'un homme qui tente de se frayer un chemin à travers un monde qui lui paraît continuellement menaçant et accusateur, un voyage déchirant alors qu'il perd lentement son emprise sur la réalité et qu'il réalise qu'il s'est totalement déconnecté de sa propre vie, tant l'isolement et l'aliénation l'ont laissé en proie à ses névroses.

Copyright Takashi Seida

Abrasif et dense, vision aussi profondément personnelle - jusque dans sa candeur hyper-confessionnelle - que troublante sur la capacité que peut avoir l'anxiété profonde à dominer notre psyché autant que notre imaginaire, au point que celui-ci projete et matérialise nos peurs intériorisées d'une manière si réelle que la réaliste elle-même ne semble plus avoir de sens; la nouvelle cuvée Aster, pas si éloignée d'une crise de panique durant trois heures bien tassées, bouscule et stimule comme rarement.

Une œuvre unique, radicale et profondément singulière où Aster se met à nu pour mieux s'émanciper d'une étiquette d'elevated horror qui lui collait déjà salement à la peau.
Si Beau a toujours peur, lui ne semble avoir plus peur de rien, tant mieux pour le cinéma...


Jonathan Chevrier


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