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[CRITIQUE] : The Whale


Réalisateur : Darren Aronofsky
Acteurs : Brendan Fraser, Sadie Sink, Hong Chau, Ty Simpkins,...
Distributeur : ARP Sélection
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h57min

Synopsis :
Charlie, professeur d'anglais reclus chez lui, tente de renouer avec sa fille adolescente pour une ultime chance de rédemption.



Critique :


Il était évident que la vision de The Whale ne laisserait pas totalement indemne, ne serait-ce qu'en connaissance de la vision souvent jusqu'au-boutiste et tortueuse de Darren Aronofsky, dont l'obsession pour la religion chrétienne à coup d'imageries et d'allégories bibliques, n'ont eu de cesse de croître depuis son maladroit Noé.
Reste qu'il pousse sensiblement les potards - à tous les niveaux - au maximum avec ce nouvel effort au point de décupler cette fois le malaise suscité par la dernière partie de son Mother !, à toute la durée où presque de son exposé misérabiliste une seconde fois vissée sur une personnalité excessivement vulnérable - une figure christique dont la superpuissance masochiste est d'absorber la cruauté de tous ceux qui l'entourent.

Aronofsky a toujours été du genre à défier son auditoire, souvent pour le meilleur même s'il n'a jamais fondamentalement peur du pire (ces deux dernières péloches le démontre totalement), et le fait qu'il s'attache cette fois frontalement au trouble de l'alimentation - ici l'hyperphagie boulimique - était un parti pris difficile à aborder visuellement, la faute à la grossophobie persistante de notre société, savamment perpétuée par les médias.

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S'il n'y a consciemment rien de consciemment sinistre dans pièce originale (elle était écrite par expérience), l'adaptation qu'en fait le cinéaste est non seulement cruelle, non seulement envers son personnage, mais également pour tous ceux atteint par cette maladie, pour preuve son titre même, profondément dégradant - " la baleine ".
D'autant que tout du long, Aronofsky ne semble peu où pas intéressé par le point de vue de son protagoniste, Charlie, un homme un divorcé d'âge moyen vivant dans un petit appartement dans le fin fond de l'Idaho, où il a du mal à se déplacer sans déambulateur, et enseigne la littérature en ligne sans jamais allumer sa caméra pendant ses cours (parce qu'il est obèse).

Il ne semble même pas autrement intéressé, pendant une bonne moitié du long-métrage, à ne montrer autrement son anti-héros que comme un monstre que l'on se doit de trouver répugnant dans sa manière de vivre, dans sa manière de s'auto-détruire à petit feu : un montage sonore accentué à chaque fois qu'il mange - sous une bande originale volontairement sentencieuse -, le cou et les lèvres constamment perlés de sueur, des t-shirts toujours sales et couverts de nourriture, sa manière récurrente de s'attacher à un essai sur Moby-Dick, sa tentative pathétique de se masturber,...

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Un walk of shame difficilement soutenable, un purgatoire infernal qui s'accentue dans les relations même qu'il entretient avec le peu de personnes qui gravitent autour de lui, que ce soit Thomas, le missionnaire évangélique s'intéresse moins à Charlie en tant que personne qu'en tant qu'âme à sauver, Liz son infirmière, qui partage son traumatisme lié à la religion et le soutien autant qu'elle facilite son suicide prolongé en continuant à le nourrir avec de la malbouffe; mais également Ellie, sa fille âgée de 17 ans, qui le méprise ouvertement et lui dit les choses les plus vicieuses auxquelles elle puisse penser pour punir de l'avoir quittée, elle et sa mère, Mary, alors qu'elle n'avait que 8 ans.
Un personnage qui, pour le coup, n'a rien de rachetable en dehors de l'amour que son père lui porte, lui qui insiste sur le fait qu'elle est sa plus grande réussite même si rien, en dehors de son optimisme inné, ne montre réellement la bonté potentielle de la chair de sa chair angoissée et (très) en colère.

Ce n'est que dans sa seconde moitié que le tandem Aronofsky/Samuel D. Hunter (qui adapte donc sa propre pièce de théâtre), révèle la " justification " de leur condescendance, de ce chaos où tout le monde est toujours en train de se crier dessus, de monologuer sa souffrance l'un contre l'autre mais jamais l'un avec l'autre : Charlie serait in fine une figure christique, une âme aimante et positive qui s'est laissé marché dessus par les autres afin de les absoudre de leur haine - et lui de ses péchés -, en avalant toutes leurs peurs, leurs souffrances, leur colère.
Et c'est là où le parallèle (grossier) avec Moby Dick prend tous son sens, avec la baleine qui catalyse elle-même tous les maux d'Achab, bien malgré elle.

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Pourquoi pas après tout, mais la chose la plus frustrante dans The Whale est que jamais la vision du cinéaste ne montre de la curiosité voire même de l'empathie pour les personnes comme Charlie, autrement que dans sa manière furieusement paternaliste de deviner plus que de comprendre leurs motivations - notamment dans leur volonté d'éviter tout traitements médicaux institutionnalisés où ils sont sujets à la cruauté du rejet et du rabaissement plus qu'à la compréhension.
Si tout le monde souffre, Charlie doit évidemment souffrir bien, bien plus que les autres, et ne rien dire même si le cinéma aurait pu/dû leur donner la parole.

Mais le plus douloureux est finalement de voir l'investissement profond de Brendan Fraser jamais totalement mise en valeur, aussi bouleversante soit-elle - tout comme celle chaleureusement piquante d'Hong Chau.
Il incarne Charlie comme un homme intelligent, drôle et réfléchi qui refuse de laisser les circonstances tragiques de sa vie le transformer en cynique, un homme qui voit le meilleur de chacun (même en Ellie, dont il contrecarre les insultes par des affirmations et du soutien), et la tristesse autant que l'inquiétude qui habitent souvent son regard, font de sa performance l'une des plus déchirantes de récentes mémoires.
Mais jamais le film ne semble s'intéresser à la vie émotionnelle intérieure de Charlie, aussi sensible que soit l'approche du comédien et sa volonté souvent perceptible, de voir au-delà du symbole qu'en fait et veut en faire Aronofsky.

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Affirmant ouvertement ses racines théâtrales (de ses dialogues sur-explicatifs à son cadre unique, tant toute l'histoire se déroule dans les limites de la maison et du porche de Charlie) autant que ses contours de mélodrame à la morale douteuse (il est presque de la responsabilité de l'abusé/victime d'aimer et de pardonner à ses agresseurs, que des martyrs imposés existent pour servir de dépositaires à la rage brutale et au mépris tout aussi violent de la société), The Whale impose presque son mépris comme une réflexion intellectuelle, intimant son auditoire à défendre cette vision loin d'être bienveillante de l'humanité où la haine se drape d'une fausse et étouffante cape d'empathie.

Un éloge funèbre sans espoir malgré le phare lumineux qu'est Fraser, dont le parcours douloureux et bien réel donne une résonnance toute particulière à ce come-back puissant et vibrant dont on ne peut discuter, à la différence d'Aronofsky, l'honnêteté.


Jonathan Chevrier


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